Batman Returns
Trois ans après le premier film à gros budget de sa carrière, le réalisateur américain Tim Burton, fort du succès d’Edward Scissorhands, est en quelque sorte poussé à réaliser la suite des aventures de Batman par Warner Bros. Avouant lui-même qu’il n’avait aucun intérêt à replonger dans l’univers du super-héros, il accepte tout de même le projet, obtenant en contrepartie le financement manquant pour terminer son projet chéri : The Nightmare Before Christmas. Le résultat est, comme on pourrait s’y attendre, une suite en deçà des attentes, bien qu’on ne peut lui reprocher d’avoir tenté une nouvelle approche, rafraîchissante d’une part, mais qui rend au final peu hommage au célèbre héros.
Le film s’ouvre en nous présentant l’un des deux vilains du film : le Pingouin. L’un des antagonistes les plus célèbres de Batman, il est également celui qui cadre le mieux avec la vision de Tim Burton. Rejeté dès la naissance en raison de son aspect difforme, ses parents (Paul Reubens et Diane Salinger) jettent leur bambin dans le cours d’eau d’un zoo désaffecté. Se retrouvant dans les égouts, le Pingouin (Danny DeVito) est élevé par les animaux du même nom, qui se sont approprié les lieux. Plusieurs années ont passé et, lors d’une attaque qu’il planifie durant l’illumination de l’arbre de Noël de Gotham, il est approché par Max Shreck (Christopher Walken), qui veut capitaliser sur l’histoire d’horreur du Pingouin pour le rendre sympathique auprès de la population et ainsi le lancer dans une campagne électorale pour le faire élire maire, le manipulant au passage pour faire approuver un projet énergétique qui assurerait la richesse de Shreck. Comme si nous manquions de protagonistes, Batman Returns marque également le début de Selina Kyle, alias Catwoman (une sublime et dévouée Michelle Pfeiffer), l’assistante de Shreck, que ce dernier a tenté d’assassiner. Batman en a donc plein les bras pour s’assurer d’assainir à nouveau les rues de Gotham, au milieu des festivités de Noël.
Alors que dans Batman on assiste à un duel entre le Joker et lui, nous sommes ici en présence de nouveaux vilains dans cette franchise naissante. C’est un pari grandement risqué, et à demi relevé, que s’est lancé Burton ici. Comment bien présenter une origine distincte à chacun des nouveaux antagonistes et détailler leurs motivations tout en faisant évoluer le personnage de Batman/Bruce Wayne, et tout faire tenir dans un film de deux heures? Malheureusement, c’est le héros qui est mis de côté cette fois, alors que Batman est pratiquement relégué aux oubliettes, ses scènes étant aussi anecdotiques qu’inintéressantes. Burton se sent véritablement plus investi par ses vilains que par celui qui devrait être la tête d’affiche de son film. On pourrait être tenté de lui pardonner puisque Batman possède probablement les antagonistes les plus intéressants de tous les super-héros (à égalité peut-être avec Spider-Man), mais en ne misant pas sur lui, on délaisse une grande partie de l’auditoire qui souhaite qu’on approfondisse davantage le personnage. À quoi bon faire une suite, si ce n’est pas d’amener notre protagoniste ailleurs?
A contrario, les antagonistes au centre du récit sont réellement bien exploités, et c’est pour le mieux. Jack Nicholson était difficile à surpasser dans le premier opus, mais il était impossible de compatir avec lui et ses motivations. Ici, c’est tout le contraire, du moins en ce qui concerne le Pingouin et Catwoman. En fait, le véritable vilain est Shreck, un personnage aussi exécrable qu’unidimensionnel, qui démontre que les méchants ne portent pas toujours des déguisements. Il est celui qui manipule le Pingouin à se lancer sous les projecteurs alors qu’il tente par-dessus tout de demeurer dans l’ombre, et Shreck provoque le changement de personnalité de Selina Kyle en tentant de l’assassiner. On est donc triste pour eux, et on souhaite surtout que justice leur soit rendue. Burton affirme qu’il tente de provoquer un attachement émotionnel entre le public et ses protagonistes dans chacun de ses films. Si on peut oublier tout de suite une quelconque connexion avec le stoïque Michael Keaton, ici nous sympathisons davantage avec les vilains, ce qui fait changement des films de super-héros traditionnels, mais qui nous fait redouter l’issue du récit. Il faut donc saluer le travail de DeVito et Pfeiffer à cet égard, qui livrent d’excellentes performances.
Fidèle à lui-même, Burton reprend l’esthétisme inspiré de l’expressionnisme allemand dans ses décors et sa direction artistique. Le résultat est toujours convaincant, même si on ne nous donne pas à voir beaucoup de Gotham, l’action étant très concentrée sur le repaire du Pingouin, l’appartement de Kyle, la Batcave (irréelle à souhait) et les toits d’immeubles. Le tout donne l’impression d’un huis clos, sans nous faire sentir que Gotham est la réelle métropole des bandes dessinées. Certains aimeront cette sobriété, d’autres seront déçus que Batman Returns ne soit pas à la hauteur du premier opus à ce niveau.
Est-ce que cette suite mérite d’être discréditée? Pas du tout. C’est un très bon film d’action (auquel j’accorde possiblement plus de mérite en raison d’un attachement émotionnel venant du nombre incalculable de visionnements auxquels je me suis adonné étant petit) mais qui tente malgré tout d’être original. N’oublions pas qu’il a été réalisé à une époque précédant l’explosion des films de super-héros, faisant donc figure de proue en total contraste avec le Batman: The Movie des années 1960. Le détachement de Burton envers le projet est relativement palpable, mais on sent qu’il tente de faire du mieux qu’il peut avec le scénario qu’il a. Le résultat pourrait être bien pire (pensons au Batman & Robin à venir), mais c’est un film plus préoccupé à nous faire compatir envers ses vilains que nous faire apprécier son héros, et c’est là où le bât blesse.
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