Tenet
La réputation de Christopher Nolan n’est plus à faire. Il nous a démontré qu’il pouvait bâtir une histoire déconstruite avec un budget minime (Memento), qu’il est capable de mener à terme des superproductions grand public originales (Inception, Interstellar) ou adaptées (la trilogie The Dark Knight), et enfin qu’il peut forger un intense récit historique inventif (Dunkirk). Que reste-t-il en banque pour le réalisateur anglais? Un James Bond, selon toute vraisemblance. Nolan n’a jamais dissimulé son amour pour les films d’espionnage et pour le légendaire 007, et Tenet pourrait être la ligne qu’il manquait à son C.V. pour finalement atteindre son objectif. L’univers qu’il conçoit ici est désarçonnant, mais s’apprécie beaucoup mieux comme un simple(?) film d’espionnage qu’une véritable science-fiction.
Un peu à la James Bond, le film débute par une scène introductive qui n’a pas vraiment de lien avec la trame principale et qui permet de plonger directement dans l’action. On se retrouve plongé dans une prise d’otage au sein de l’opéra de Kiev, où le Protagoniste (John David Washington), un agent de la CIA doit tenter de subtiliser un objet non identifié pour le remettre aux autorités russes. Il est toutefois mené en embuscade et capturé, puis torturé, avant de prendre une capsule de cyanure et se suicider. Heureusement pour lui, tout n’était qu’un test pour voir s’il pouvait suivre les ordres et être un agent de confiance. Ce faisant, on l’informe d’une nouvelle mission cruciale : tenter d’empêcher la Troisième Guerre mondiale en s’attaquant à Sator (Kenneth Branagh), un riche oligarque russe qui met en péril l’existence humaine. Dès lors, on l’informe d’une technologie qui permet à certains objets de se mouvoir à reculons dans le temps et qui sont désormais vendus sur le marché noir. Il recrute alors Neil (Robert Pattinson) et les deux partent arrêter celui qui est à l’origine de cette technologie.
C’est une histoire qui en l’apparence semble très simple, mais qui ne l’est pas. Ou du moins, l’objectif final est clair, mais les étapes pour y arriver ne le sont pas. D’entrée de jeu, plusieurs éléments font en sorte que Tenet est moins percutant que les précédents films de Nolan, à commencer par le scénario. Il aime bien, habituellement, partir d’une émotion et construire ses concepts autour d’eux. Dans Inception, il était question de culpabilité, dans Interstellar, c’était l’amour. Ici? Eh bien, on ne le sait pas. En fait, il semble que l’attention est surtout mise sur l’histoire et moins sur les protagonistes (pardonnez la blague gratuite). Certes, Nolan a conçu une histoire des plus originales alliant voyage dans le temps (ou plutôt inversion du temps) et film d’espionnage. Oui, il y a ces scènes d’action spectaculaires et audacieuses que même un Tom Cruise au sommet de sa forme ne pourrait effectuer dans un énième Mission: Impossible. Mais le tout manque de motivation, d’un fil conducteur cohérent et tangible. Même si on ne décelait pas toutes les pièces du puzzle dans Inception, on pouvait tout de même comprendre le but de l’histoire et se régaler des scènes d’action, pour qu’ainsi la confusion laisse place au spectacle. Dans Tenet, chaque nouvelle scène d’action a le potentiel de vous exaspérer tout simplement parce qu’on ne comprend pas totalement ce qui justifie ces segments. Oui, on nous explique qu’on tente de prévenir la Troisième Guerre mondiale, et on saisit véritablement l’aspect « mondial » de l’enjeu par la multiplicité des lieux de tournage exploités. Pourtant, on dirait que plus le film avance, plus on se sent détaché face à ce qui se passe. En fait, toutes les lignes de dialogues ne servent qu’à tenter d’expliquer l’histoire, et malgré cela on demeure toujours confus. C’est comme si Nolan savait que nous n’y comprendrions rien, ce qui fait qu’il s’enfonce dans un puits de justifications qui déshumanise son récit. Ces explications sont lourdes, et laisse peu de place à l’élaboration de ses personnages, critère essentiel à mon avis pour tout film qui se respecte. C’est probablement en constatant cela qu’il ajoutera une histoire entre Kat (Elizabeth Debicki) et son fils, trame narrative tellement bâclée que c’en est ridicule. Je ne pense même pas que le fils ait une ligne de dialogue, par ailleurs.
La distribution est également à blâmer par moments. Pour l’une des rares fois dans sa carrière, Nolan a fait appel à des acteurs et actrices avec lesquels il n’a jamais travaillé auparavant, mis à part Michael Caine (qui y fait une apparition de moins de cinq minutes, au plus). La plupart de ses films nous avaient habitués à des performances exceptionnelles comme celles de Heath Ledger, Christian Bale, DiCaprio et surtout Matthew McConaughey. Ici, rien de tout ça. Certes, Washington (le fils du légendaire Denzel) nous démontre assurément qu’il peut être pris au sérieux dans des rôles physiques (opportunité qu’un film comme BlacKkKlansman ne présente pas). Toutefois, son jeu est sans émotion, et particulièrement rigide. Lorsqu’il ne court pas ou ne se bat pas, il est très statique à l’écran. On le sent presque crispé, inconfortable dans un plan qui lui demande d’être immobile. Ce faisant, il est très difficile de s’attacher à son personnage, ou à tout autre personnage, par ailleurs.
Du lot, c’est l’élancée Elizabeth Debicki qui offre la plus touchante performance, quoi que l’amour inconditionnel (et déconnecté par moments) qu’elle voue à son fils peut verser dans le ridicule. Elle crève toutefois l’écran à chaque présence par sa stature imposante et son charisme transcendant. Robert Pattinson, sans être époustouflant, est tout de même convaincant, et laisse percer quelques facettes de son jeu qui seront assurément recyclées dans The Batman. Il est au carrefour entre un rôle physique et celui d’un anglais distingué, le dernier correspondant davantage aux rôles qui ont propulsé sa carrière. Un dernier mot sur Kenneth Branagh, qui lui aussi semble en manque d’énergie. En tant qu’antagoniste principal, on se serait attendu à un peu plus de charisme de sa part, lui qui interprète un Russe aussi stoïque que Dolph Lundgren dans Rocky IV. Il manque cruellement d’éclat, mais on se dit qu’il correspond en fait au typique vilain de l’univers de James Bond, au fond.
Ce manque d’émotion probablement rehaussé par la cacophonie qui règne dans la totalité du film. Rappelant Dunkirk à plusieurs niveaux, l’ambiance sonore du film est à la fois impressionnante et énervante. On peut comprendre la plus-value d’un tel mixage sonore dans un film de guerre épique, mais ici on peine à l’accepter. La basse est beaucoup trop présente, et la froide et superficielle trame sonore de Ludwig Göransson (Black Panther) nous fait nous ennuyer de la musique d’Hans Zimmer, elle aussi grandiose et électronique, mais toujours envoûtante. Si le cinéma dans lequel vous allez visionner Tenet fait jouer le film à la bonne intensité sonore, attendez-vous à rater quelques lignes de dialogues, à entendre les hauts-parleurs grésiller, et à sortir avec un mal de tête, soit causé par cette cacophonie ou par la lourdeur scénaristique du film.
J’ai passé la bonne partie de ce texte à démontrer les aspects négatifs du film, mais contrairement à ce que je peux laisser paraître, j’ai tout de même apprécié mon visionnement. Certes, on est loin du chef-d’oeuvre à la Inception (l’un de mes films préférés), et on peine à trouver un sens à l’histoire. Certains films vous laissent confus pour les bonnes raisons, d’autres pour les mauvaises. Je n’ai pas encore déterminé dans quelle catégorie Tenet se situe, mais je suis porté à faire confiance à Nolan. Il passe beaucoup de temps non seulement à élaborer les effets spéciaux de son film, mais également à écrire une histoire cohérente, mais déconstruite. Il m’a rarement déçu, et je suis d’avis que si certaines clés me manquent pour démystifier le film, c’est que je n’ai pas su me concentrer suffisamment. Il faudra probablement plusieurs visionnements pour tout comprendre, car au premier on est occupés à apprécier le spectacle qui nous est présenté.
Les combats inversés, les scènes vécues de plusieurs points de vue et l’image en format 70mm vous en mettront assurément plein la vue (et les oreilles). Ici comme jamais, Nolan s’est assuré que chaque cascade soit faite avec le moins de CGI (Computer Generated Imagery) possible. Il est l’un des rares qui s’entête à utiliser des effets visuels réalistes et captables à l’écran. Il est en quelque sorte l’un des derniers qui peut se permettre de faire les choses de cette façon, car bien peu de studios osent investir autant d’argent pour un film original. Nolan est l’un des derniers nostalgiques qui voient une valeur ajoutée à l’élaboration de ce type d’effets spéciaux, un peu comme Tim Burton avec son style d’animation stop-motion, pratiquement disparue avec l’arrivée de l’ordinateur. Est-ce que cet entêtement à faire les choses plus grandes que nature aura finalement eu raison de Nolan et sa capacité à rédiger des scénarios hors norme? Peut-être bien…
Tenet pourra probablement plaire à ceux et celles qui adorent visionner un film à répétition pour en décoder tous les aspects. Si le film a définitivement ce potentiel, encore faut-il qu’on nous donne de bonnes raisons pour le faire. Étant l’un des plus grands amateurs de Nolan, je me risquerai à une seconde, peut-être même à une tierce écoute. La grande majorité des spectateurs n’auront toutefois pas cette ambition, et, avouons-le, je doute encore qu’il y ait cet élément, cette clé m’ayant échappé et qui pourrait m’ouvrir d’autres niveaux d’analyse. Quoi qu’il en soit, je vais toujours préférer un film d’action qui sort du cadre traditionnel du cinéma hollywoodien qu’un plus traditionnel. J’admire ceux qui osent prendre des risques, et Nolan en prend un très grand ici. Une vaste majorité de l’auditoire préférera un film qui suit la recette et qui le conforte dans ses habitudes. Il est toutefois rafraîchissant de se trouver en présence de Tenet, un film unique qui nous offrira, en bien ou en mal, une expérience unique.
Les images sont une courtoisie de Warner Bros.
Fait partie des 1001 films à voir.