La pandémie malmène le milieu du cinéma depuis quelques mois. Si plusieurs productions ont décidé de repousser leur date de sortie, quelques-unes ont eu la chance de voir les salles de cinéma rouvrir juste à temps pour pouvoir conserver leur sortie originale. Tel est le cas de Suspect numéro un qui, par un heureux hasard, est le premier film « québécois » à sortir sur nos écrans, et a littéralement le champ libre pour pouvoir espérer des recettes au-delà des attentes. Vous aurez remarqué les guillemets à québécois, puisque si la grande majorité de la production est québécoise (à commencer par son réalisateur Daniel Roby, qui fait un retour attendu en sol québécois après l’immense succès de Louis Cyr), la distribution, elle, est principalement anglophone. On note toutefois la présence d’Antoine-Olivier Pilon (Mommy) et Rose-Marie Perreault (Avant qu’on explose), qui complètent brillamment les Josh Hartnett (Lucky Number Slevin), Jim Gaffigan (Chuck) et Stephen McHattie (A History of Violence). Roby nous propose une histoire digne du grand écran et dirigée de belle façon, mais qui manque toutefois d’éclat pour s’élever au rang des meilleurs films du genre.

Inspiré d’une histoire vraie se déroulant en 1989, Suspect numéro un suit trois histoires interconnectées. L’ex-héroïnomane Daniel Léger (Pilon) est poussé par une fausse organisation criminelle dans une histoire d’importation d’héroïne de la Thaïlande vers le Canada.  Le policier Frank Cooper (McHattie) mène une enquête incognito bâclée sur le trafic de narcotiques pour augmenter la performance de son équipe. Enfin, le journaliste d’enquête Victor Malarek (Hartnett) est forcé de réévaluer ses convictions profondes et ses méthodes hors normes à la suite d’un gros changement dans sa vie : la naissance de sa fille. Après avoir été réaffecté à la rédaction d’articles de routine, Malarek déniche une histoire au filon intéressant. Suivant son intuition, il se rend en Thaïlande, où il tente d’élucider les accusations qui pèsent contre Léger, qui y est emprisonné. Plus Malarek creuse cette histoire, plus elle prend des proportions plus grandes que nature.

On est ici au croisement entre The Post et Spotlight, deux drames journalistiques qui veulent jeter la lumière sur des situations célèbres (le Watergate et la pédophilie au sein de l’église catholique respectivement). Suspect numéro un a les mêmes ambitions, mais il s’attaque à une histoire moins connue (ou oubliée) de l’histoire policière québécoise : l’affaire Alain Olivier. Nous n’en dévoilerons évidemment pas les grandes lignes question de conserver certaines surprises, mais disons qu’elle fait écho, tout en étant différente, aux problèmes qui gangrènent la police décriés massivement depuis la mort de George Floyd. Cette histoire, comme tant d’autres, témoigne du microcosme qui s’est créé au sein des divers corps policiers.

Roby nous sert un autre film biographique destiné au grand public, sans éclat mais sans réels défauts non plus. Le rythme est bon, alternant entre scènes dramatiques et scènes d’action, ce qui nous permet de rester bien investi tout au long de ses deux heures quinze minutes. Toutefois, votre expérience pourrait être considérablement différente si vous visionnez le film en français ou en anglais. En effet, la grande majorité de la distribution étant anglophone, elle est doublée par des acteurs bien établis dans le milieu. Tel n’est pas le cas des Québécois du film, qui se doublent eux-mêmes, question de conserver le ton des scènes où ils parlent en français. Roby s’est en quelque sorte peinturé dans un coin en utilisant des acteurs anglophones et francophones, car dès ce moment il devenait évident que Pilon et Perreault devaient utiliser un style de doublage à la québécoise (pensez à un Slap Shot moins vulgaire), qui contraste avec le français plus soigné des autres acteurs doublés. Le résultat est peu convainquant, et il me brise le cœur de vous dire d’opter pour la version anglophone de ce film québécois (c’est de cette façon que le film est conçu pour être vu, et dans le doute, la version originale est toujours la meilleure option!)

Malgré qu’on n’outrepasse jamais cette dissonance de ton, la distribution demeure efficace. Antoine-Olivier Pilon, qui ne s’est toujours pas défait de son image de vilain garnement héritée de Mommy, joue une fois de plus un dur à cuire plus ou moins en contrôle de ses moyens. Il livre une solide performance, et parvient à nous faire ressentir le mal-être de son personnage. Hartnett, que l’on a perdu de vue depuis ses succès du milieu des années 2000, nous rappelle qu’il a autrefois été un bon acteur. Gaffigan troque brièvement la comédie en interprétant Picker, un informateur dur à cuire qui veut faire un coup d’argent sur le compte de Léger. Perreault est elle aussi assez séduisante, mais trop peu présente pour qu’on puisse vraiment approfondir son personnage. Les divers policiers sont également très efficaces, mais aucun ne ressort du lot.

S’il est évident que Suspect numéro un se compare à la négative aux autres films du genre, il demeure tout de même un très bon divertissement qui vient amorcer de belle façon cet été cinématographique marqué par un report des grosses productions hollywoodiennes. Il s’avère une option intéressante et pertinente, et vous fera connaître cette histoire pratiquement oubliée, sans toutefois vous en apprendre plus sur les déboires dont est capable la police. En attendant Tenet ou No Time to Die, ce film est une alternative de choix pour agrémenter vos après-midis pluvieux ou vos soirées caniculaires.

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