Samuel Fuller est un réalisateur qui n’a pas peur d’aborder plusieurs sujets tabous au sein de la société américaine. Le fait qu’il fasse des films à l’extérieur des gros studios hollywoodiens est bien sûr un facteur de la liberté qu’il a de traiter de ces sujets. Shock Corridor ne fait pas exception. Probablement son film le plus connu, il deviendra célèbre avec un personnage afro-américain qui affirme être le fondateur du Ku Klux Klan, rien de moins. Ce n’est que l’une des multiples facettes du film qui rivalise d’audace avec The Naked Kiss, lui aussi assez populaire.

L’histoire suit principalement Johnny Barrett (Peter Breck), un journaliste qui aspire au Pulitzer. Il croit tenir un bon sujet en tentant d’élucider le meurtre de Sloan, un patient dans un asile psychiatrique qui a été mystérieusement assassiné. Pour en venir à bout, Barrett voudra se faire interner afin d’enquêter de l’intérieur et ainsi dévoiler le coupable au grand jour. Pour ce faire, il complotera avec un psychiatre, son éditeur en chef et sa compagne (Constance Towers) qui se fera passer pour sa sœur, alertant ainsi les autorités sur sa présumée relation incestueuse avec elle. Une fois appréhendé, on l’enferme dans l’asile, et l’enquête débute.

Comme on peut s’y attendre, plus Barrett passera de temps dans le corridor, plus il doutera de sa santé mentale. Il enquête tour à tour sur Pagliacci (Larry Tucker), un chanteur d’opéra, un ancien prisonnier de guerre en Corée qui se croit désormais le général sécessionniste J.E.B. Stuart (James Best), Trent (Hari Rhodes), un afro-américain suprémaciste blanc, ainsi qu’un scientifique ayant travaillé sur la bombe atomique mais depuis retombé à l’enfance (Gene Evans). En plongeant au cœur des récits imaginaires de ses témoins, Barrett parviendra tant bien que mal à obtenir des bribes d’informations qui lui serviront à trouver le coupable.

On est tenté d’associer l’histoire de Shock Corridor à ceux de films plus connus comme One Flew Over the Cuckoo’s Nest et Shutter Island. Si ces deux films sont meilleurs que celui de Fuller, force est d’admettre que son film est précurseur en la matière. Aborder l’inceste, la maladie mentale et la ségrégation raciale dans une Amérique déchirée par la lutte des droits civiques, aux prises avec les relents de la guerre de Corée et celle du Viêt-Nam à venir, ainsi qu’avec l’assassinat de John F. Kennedy, ce n’est pas rien! En faire une histoire prenante en plus? On ne peut demander mieux.

On peut aisément analyser les patients comme le legs d’une Amérique en guerre. Si d’autres films avant lui avaient abordé le sujet (notamment The Mandchurian Candidate), Fuller démontre assez bien la désillusion qui règne chez plusieurs Américains à l’époque. En fait, le réalisateur semble moins porter attention à la résolution du cas qu’à la descente progressive de Barrett vers la folie. Cette folie, elle est créée par les traitements aux chocs électriques, mais aussi en côtoyant les autres patients désillusionnés, aliénés. Le film regorge aussi de ces moments très kitsch qui sont la marque de commerce des pulp novels (romans à 10 cents) : phrases chocs (« Ever since I was a kid, my folks fed me bigotry for breakfast and ignorance for dinner »), images sensationnalistes et situations surréalistes sont au rendez-vous. On a notamment droit à une attaque de nymphomanes, plusieurs introspections assez risibles ainsi que des hallucinations qui nous prennent parfois par surprise, notamment avec l’usage de la couleur (dans un film en noir et blanc). On nous présente également une très belle scène où le fameux corridor est pris d’assaut par un orage fictif.

Fuller est réputé donner des rôles à des acteurs assez méconnus (et qui le demeurent par la suite). Ce film ne fait pas exception. Si la performance de Breck est somme toute adéquate, ce sont plutôt celles des acteurs de soutien qui font toute la différence. Tucker est très attachant en tant que « homme-enfant », Best, Rhodes et Evans sont quant à eux très crédibles. Towers, moins présente que dans The Naked Kiss sorti l’année suivante et dans lequel elle brille, livre tout de même une performance admirable.

En somme, Shock Corridor s’avère un très bon film, similaire sur plusieurs points à The Naked Kiss, mais que j’ai moins aimé que ce dernier. C’était peut-être parce que l’élément de surprise n’était pas au rendez-vous, puisque j’ai déjà vu plusieurs autres films de ce genre auparavant. N’en demeure pas moins qu’il est un film de genre typique de Samuel Fuller, et comporte assez d’éléments inusités pour nous tenir investi tout du long. Quoi qu’il en soit, il m’a donné encore plus le goût de poursuivre mon exploration du cinéma de Fuller, et qui sait me procurai-je peut-être l’un de ses romans, qui doivent être tout aussi déjantés!

Fait partie de la Collection Criterion (#19).

Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.

1 commentaire

  1. La Collection Criterion (#11-20) – Ciné-Histoire sur juillet 21, 2020 à 3:47 am

    […] Shock Corridor de Samuel Fuller […]

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