Après The Trial of the Chicago 7 sorti il y a quelques mois à peine, voilà qu’un autre film s’intéresse à la lutte pour les droits civiques des Noirs en Illinois dans les années 1960. Autant leurs thématiques s’entrecoupent, autant nous avons droit à deux films assez différents l’un de l’autre. Judas and the Black Messiah raconte l’histoire de William O’Neal (LaKeith Stanfield), un informateur du FBI qui a le mandat d’infiltrer la cellule locale du Black Panther, qui a à sa tête le leader charismatique Fred Hampton (Daniel Kaluuya). O’Neal doit observer les faits et gestes de Hampton, au profit de l’agent Roy Mitchell (Jesse Plemons), mais plus son implication avec le regroupement s’intensifie, plus l’informateur se questionne sur son rôle de délateur et commence à se rallier à certaines idées des Black Panther.

Cette infiltration nous permet du même coup d’en apprendre davantage sur Hampton, dont le nom est bien moins connu que celui d’autres icônes du mouvement tels Martin Luther King Jr. et Malcolm X. En ce sens, Judas and the Black Messiah permet de réhabiliter un personnage central du parti des Black Panther, car si la prémisse laisse présager un thriller, l’objectif du film est d’abord et avant tout biographique. On présente donc la vie de Hampton, de sa relation avec Deborah Johnson (Dominique Fishback) à son emprisonnement, mais également sa vision du mouvement, des politiques qu’il préconisait et des moyens d’action à adopter. Comme le titre l’indique, c’est également le personnage de O’Neal que le réalisateur Shaka King tente de mettre en lumière, de réhabiliter, d’une certaine façon. Je ne suis pas familier à son histoire, mais j’ai tendance à croire qu’il a été stigmatisé auprès du mouvement pour ses agissements, qui ont éventuellement mené à la mort de Hampton. Le film tente d’ajouter de la nuance dans ce personnage qui, comme on pourrait s’en douter, a été rongé de remords toute sa vie. On comprend mieux les manipulations derrière ses actes de la part du FBI (Mitchell laisse planer plusieurs années d’emprisonnement pour s’être fait passer pour un agent de police dans une tentative de vol de voiture).

Kaluuya et Stanfield font partie de cette relève qui s’établit peu à peu à Hollywood. Chaque nouveau rôle qu’ils acceptent semble meilleur que le précédent et Judas and the Black Messiah représente en quelque sorte une consécration, surtout pour Kaluuya. Il faut une compréhension parfaite du personnage et un certain charisme pour nous faire adhérer à son interprétation, et il vise juste à tous les niveaux ici. Les discours qu’il prononce sont tout simplement envoûtants et l’énergie qu’il insuffle à Hampton transcende l’écran. L’acteur britannique pourrait fort bien remporter l’Oscar du meilleur acteur de soutien le mois prochain, lui qui a remporté le même prix aux Golden Globes plus tôt cette année. Stanfield, un peu plus sobre dans son interprétation, fait lui aussi un excellent travail pour rendre la torture interne que vit O’Neal. Par contre, si c’est ce dernier qui occupe la plus grande place dans le récit, on aurait souhaité que ce soit l’inverse, puisque Hampton est franchement le personnage le plus intéressant du lot. Fishback, excellente dans The Deuce, brille une fois de plus, parmi une distribution de soutien qui n’est cependant pas au niveau de son tandem principal.

Il y a beaucoup de rapprochements à faire entre la trame narrative de ce film et celle de The Departed ou encore BlacKkKlansman, Shaka King ayant lui-même affirmé avoir voulu proposer une intrigue d’infiltration pour mieux faire accepter son film biographique sur Hampton, et c’est peut-être là que le film m’a le plus déçu. J’ai trouvé le récit passablement fade, notamment en raison du fait que c’est une histoire qui a été racontée à de nombreuses reprises auparavant, et souvent d’une meilleure façon. La plupart des péripéties ont un air de déjà-vu, et très peu de scènes sont mémorables (outre les discours de Hampton, qui sont en tout point réussis). À un certain moment, lorsqu’on comprend que l’objectif est avant tout biographique, on perd un peu d’intérêt, et le film ne parvient jamais véritablement à nous raccrocher.

Judas and the Black Messiah aurait gagné à pleinement assumer ses visées biographiques, et si les interprétations de son duo d’acteurs peuvent à elles seules justifier le prix d’entrée, reste que le film possède plusieurs problèmes de rythme qui viennent miner l’expérience de visionnement. J’ai trouvé que le film manquait grandement d’audace, ce qui l’aurait aidé à se démarquer des autres récits du même genre. Qu’importe, son sujet d’actualité est grandement pertinent et suffisamment rassembleur pour intriguer un vaste auditoire, et c’est tout ce dont le film a besoin pour atteindre ses objectifs.

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