BlacKkKlansman
La réputation de Spike Lee n’est plus à faire. Le scénariste et réalisateur a bâti son nom avec des films mettant de l’avant les droits des Noirs dont les distributions se centrent autour d’acteurs d’origine afro-américaine, tels que Malcom X, Do the Right Thing ou encore le tout récent Da 5 Bloods. BlacKkkKlansman, inspiré d’une histoire vraie, s’inscrit donc en continuité avec son illustre filmographie.
Nous sommes dans les années 1970, dans la ville de Colorado Springs. Ron Stallworth (John David Washington) est le premier afro-américain à joindre la police locale. Il commence comme plusieurs en travaillant aux archives, mais il souhaite par-dessus tout devenir un détective infiltré. Après avoir approché son sergent à cet effet, Stallworth essuie d’abord un refus, puis se voit finalement octroyer un mandat. Il doit infiltrer une conférence donnée par un membre influent des Black Panther. Il y fera la rencontre de Patrice (Laurie Harrier), présidente de l’organisation étudiante responsable de la tenue de la conférence. Après les précieuses informations qu’il parvient à soutirer, Stallworth intégrera finalement le service de renseignements du poste. Alors qu’il lit le journal, il remarque une publicité pour joindre le Ku Klux Klan. Sur le coup, il décide de leur téléphoner et réussit à planifier une rencontre avec le leader de la branche locale, Walter Breachway (Ryan Eggold). Il expose son plan d’infiltration à ses supérieurs qui décident de lui confier les rênes de la mission. Stallworth donne le mandat à Flip Zimmerman (Adam Driver) de se faire passer pour lui et de joindre en son nom « l’organisation » (comme l’appellent ses membres). Stallworth, Zimmerman et Jimmy Creek (Michael Buscemi) travailleront donc afin de découvrir les plans du K.K.K. et ses principaux membres.
La distribution de BlacKkKlansman est tout simplement impeccable. John David Washington (Tenet, Ballers), d’abord, est très convaincant pour un premier rôle principal au cinéma. Il joue son personnage d’une manière assez sérieuse tout en amenant une touche d’humour bienvenue dans un film aux thématiques aussi lourdes. Notons par exemple le moment où il annonce à son sergent (Ken Garito) qu’il a réussi à planifier une rencontre avec un membre du K.K.K, qui est particulièrement savoureux à cet égard. Washington et Garito nous offrent l’une des meilleures scènes du film. Adam Driver (Star Wars, Marriage Story), qui semble prendre part à tous les projets d’envergure des dernières années, est tout aussi excellent dans le rôle du policier juif. Il possède une prestance, un grand charisme, qui transcendent l’écran à chacune de ses présences. Les acteurs qui interprètent les membres du K.K.K. sont aussi très efficaces et nous donnent à la fois des frissons dans le dos et quelques moments d’exaspération. Mentionnons ici l’excellent jeu de l’acteur finlandais Jasper Pääkkönen (que l’on peut aussi apercevoir dans Da 5 Bloods), jouant le rôle du bras droit du leader de la branche locale de l’organisation. Chacune de ses répliques nous glace le sang et la méfiance qu’il entretient envers Zimmerman tout du long nous procure plusieurs moments de tensions intéressants. Paul Walter Hauser (I, Tonya, Richard Jewel) ajoute au ridicule du groupe, alors que Topher Grace (That 70’s Show) interprète stoïquement nul autre que David Duke (le leader du K.K.K. et aspirant à la présidence américaine). Il n’a pas dû être facile pour ces acteurs de jouer leurs rôles de suprématistes blancs. Chacun semble plonger à fond dans la vision que Lee a de son film et du ton qu’il souhaite lui donner. Mentionnons en terminant la présence d’Isiah Whitlook Jr (The Wire), qui y tient un petit rôle, mais qui nous offre sa fameuse réplique : « Sheeeeeeee-it », toujours aussi drôle à entendre (ceux qui ont le référent le liront avec la même intonation, j’en suis sûre)!
Une grande partie du succès de la distribution revient au scénario exemplaire gagnant d’un Oscar. Certes, les situations ne sont pas si originales, mais ce sont surtout les dialogues qui accompagnent chaque scène qui sont savoureux. C’est une histoire qui allie à la fois l’action, la revendication, l’humour et le ringard, dans un amalgame parfait et dosé à souhait. La tension est si bien construite que chaque confrontation entre un Noir et un Blanc nous laisse dans l’expectative. Un scénario remarquable pour un film remarquable.
BlacKkKlansman nous offre aussi plusieurs effets de montage très réussis. Pensons à la scène où le personnage de Jerome Turner (joué par le musicien Harry Belafonte), grand militant des droits civiques des Noirs, raconte le lynchage d’un jeune Noir à des militants afro-américains. Les segments du récit de cette scène sont entrecoupés d’une réunion des membres du K.K.K. qui visionnent des extraits du film The Birth of a Nation, notoire film raciste de D.W. Griffith. Ce montage superposé, outre la dualité des thématiques qu’il présente, illustre également le côté sobre (et même pacifique) des rencontres chez les manifestants des Black Panther, en opposition à l’énervement chez les membres du Klan qui crient, rient et lancent du popcorn sur l’écran dès qu’un Noir y apparaît. Ces deux ambiances totalement à l’opposé, font aussi bien écho aux manifestations du mouvement Black Lives Matters.
La bande sonore du film nous offre plusieurs belles chansons telles que « Brandy (You’re a Fine Girl) », (présente également dans Gardians of The Galaxy 2), ainsi que « Too Late to Turn Back Now ». Cette dernière apparaît dans une belle scène de danse entre Ron et Patrice et fait justice à l’émotion du moment. La trame sonore signée Terence Blanchard est également exceptionnelle. La guitare électrique toute en puissance sied à ravir l’ambiance aux limites de la blaxploitation du film. Un peu plus et on se retrouve dans un film de Tarantino!
Dès qu’on voit les premières images, on sent que le film véhicule un message actuel. Celui-ci s’ouvre en effet avec un passage de Gone with the Wind, grand classique controversé des années 1930 en raison de la représentation très stéréotypée des Afro-Américains qui y est faite. Le visionnement du film nous montre que des conflits qui faisaient rage dans les années 1970 aux États-Unis ne sont pas réglés et prennent de l’ampleur. BlacKkKlansman est d’ailleurs sorti un an jour pour jour après les émeutes de Charlottesville en Virginie, où une voiture a foncé sur des manifestants et a fait plusieurs blessés et une victime. Le film se termine d’ailleurs sur les images de cet événement, nous laissant sans mots. Finalement, lors de mon premier visionnement du film, plusieurs manifestations faisaient rage aux États-Unis (et partout dans le monde) à la suite de la mort de George Floyd. Je crois que cela a fait en sorte que le film m’a laissé une très forte impression. Comme toute l’oeuvre de Lee, BlacKkKlansman souhaiterait instiguer une grande réflexion sur la présence du racisme dans notre société actuelle. Deux ans après sa sortie, force est d’admettre que la discussion a cédé le pas à la désobéissance civile, et que les États-Unis sont peut-être même plus divisés que jamais.
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.
Fait partie du top 50 de Camille (#1).
Fait partie du top 250 d’Alexandre (#95).