Quand on pense aux films de Christopher Nolan, on ne peut s’empêcher de remarquer plusieurs similitudes entre ses différents projets. Puisant ses inspirations du réalisateur Nicolas Roeg, Nolan a vraisemblablement trouvé sa niche dans les films à construction narrative non linéaire, pour le plus grand plaisir des spectateurs qui verront les récits se dérouler sans en comprendre nécessairement toutes les subtilités jusqu’aux révélations finales. À ce moment, on se retrouve confronté à l’ingéniosité d’un scénario plus grand que ce que l’on avait anticipé jusqu’ici, et on a envie de revisionner le film pour identifier les multiples indices qu’on a pu manquer plus tôt. Avant de se faire offrir les gros budgets nécessaires à la réalisation de ses plus récents blockbusters tels Inception ou Tenet, Nolan décide de financer lui-même son premier film en 1998, Following. Premier, certes, mais duquel se dégagent déjà des thématiques et une construction caractéristiques de ses futurs projets.

Le récit, bien que déconstruit, est somme toute assez simple. Un homme qu’on ne nomme jamais (Jeremy Theobald), fait du « shadowing« , c’est-à-dire qu’il suit des gens qu’il croise dans la rue pour les observer et, l’espère-t-il, se donner des idées pour son roman à venir. Son ambition n’est jamais de voler ces personnes, ni d’être violent avec elles. C’est la traque qui l’intéresse. Question de bien encadrer ses pratiques, il s’est imposé quelques règles, notamment ne jamais suivre la même personne plus d’une fois. L’histoire que l’on regarde commence lorsque cette règle n’est pas respectée. L’homme rencontre alors Cobb (Alex Haw), un voleur qui l’amène avec lui dans un appartement qu’il compte dérober pour lui enseigner les rudiments de son art. Les deux hommes deviendront rapidement amis et partenaires, jusqu’à ce que le suiveur développe une relation amoureuse avec l’une des femmes dont l’appartement a été fouillé par les voleurs (Lucy Russell). Pour l’aider à échapper à son ancien amant, un propriétaire de bar dangereux (Dick Bradsell), l’homme acceptera de voler le coffre-fort du bar, mais les choses ne se dérouleront pas tout à fait comme prévu.

On peut déjà voir en Following les talents de scénariste de Nolan. Dès le début, il faut porter attention à ce que l’on regarde, car rien n’est aussi unidimensionnel qu’il n’y paraît. Rapidement, on perd le contrôle, et on se pose de multiples questions sur ce que l’on est en train de voir. Pourquoi nous montre-t-on tel objet plutôt qu’un autre? Pourquoi les protagonistes n’ont jamais les mêmes vêtements, ou la même coiffure? À quel moment de l’histoire se déroule la scène que l’on est en train de regarder? Nous nous poserons tous ces questions au cours du visionnement et, si la plupart de celles-ci seront répondues au cours du récit, la finale nous réserve des revirements supplémentaires qui ajoutent encore quelques couches au mystère.

On peut ainsi remarquer trois temporalités dans le récit. Mais la force du film réside dans le fait qu’elles ne sont pas si faciles à identifier. On se surprendra souvent à se dire qu’on a déjà vu tel personnage ou objet avant, et on essaiera rapidement de reconstituer la mosaïque, qui, une fois qu’elle a été présentée entièrement, aurait pu être réorganisée de n’importe quelle façon sans qu’on perde l’objectif de vue, chaque moment étant séparé des autres par des fondus au noir. Following fait en ce sens un excellent travail dans son montage décousu, et si certains à sa sortie ont vu en cela un truquage, une illusion qui donne l’impression d’un scénario aux nombreuses failles, Nolan, dans l’édition Criterion du film, nous propose un montage linéaire des événements, ce qui enlève évidemment quelques éléments de surprise, mais qui témoigne de l’ingéniosité de son écriture. Après un premier visionnement, on saluera une histoire ambitieuse réalisée avec les moyens du bord (on parle d’environ $10 000 de budget) qui récompense les multiples visionnements.

Il est difficile d’écrire la critique de ce film sans en dévoiler les mystères. On retrouve dans Following le même type d’épiphanie dans la scène finale que dans The Prestige, bien que le peu de budget fasse en sorte de limiter certaines ambitions. Le film nous permet cependant à plusieurs égards de constater dès lors l’intuition du réalisateur, ses capacités à s’adapter selon la situation pour rendre le meilleur résultat qui soit. En lisant sur le film, on apprend que le choix du noir et blanc, en plus de tirer ses influences des films noirs américains, permet de limiter grandement les variables qui laissent entrevoir un film à peu de budget. En tournant ainsi, on a moins à se soucier de l’éclairage des scènes. De même, la plus grande difficulté selon le réalisateur est la captation du son. Ce faisant, il a décidé de tourner en studio la scène d’introduction, permettant ainsi de contrôler toutes les variables et de faire accrocher l’auditoire à l’histoire et de détourner leur attention des nombreux problèmes de son du reste du tournage. Cela témoigne une fois de plus de la minutie du réalisateur, et on ne s’étonne donc pas de l’avoir vu gravir les échelons à une vitesse fulgurante par la suite.

Following permet donc de poser les bases du style de Nolan, avec un montage alterné énigmatique et efficace, plusieurs temporalités et une histoire aux multiples ramifications. Ce film n’étant pas destiné à la distribution de grande échelle, il aura cependant permis de garnir le c.v. du réalisateur qui, avant même sa consécration à Slamdance, a vendu le scénario de Memento pour la coquette somme de $500 000, et on connait la suite.

 Fait partie de la Collection Criterion (#638).

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