La réputation de David Cronenberg le précède. En plus d’être l’un des plus grands réalisateurs canadiens, il est l’un des cinéastes les plus estimés et appréciés du public, ici comme à l’international. L’un des « créateurs » du genre body horror, il a depuis passé à autre chose, présentant plutôt de nos jours des thrillers réalistes comme A History of Violence et Eastern Promises. Dead Ringers se situe à mi-chemin entre les deux phases du réalisateur. Thriller psychologique empruntant quelques éléments à l’horreur, le film s’éloigne du film de genre que Cronenberg nous avait habitué auparavant.

Dès le générique d’introduction, on sent que ce sera un film particulier. Sur fonds rouge sang, les noms défilent, entrecoupés d’étranges instruments que l’on découvrira plus tard. Le film s’ouvre sur les jumeaux Mantle, alors enfant, qui discutent ensemble de notions d’anatomies. « Well, fish don’t need sex because they just lay the eggs and fertilize them in the water. Humans can’t do that because they don’t live in the water. They have to – internalize the water. Therefore we have sex. » En discutant ainsi à dix ans, on sait tout de suite que nous n’auront pas droit à une relation normale entre deux frères. On les voit grandir et devenir médecins, gynécologues pour être plus précis. Ce sont les meilleurs de leur profession. On ne le sait pas alors, mais Beverly est le plus sensible des deux, alors qu’Elliot est plus extraverti (les deux sont joués à merveille par Jeremy Irons). Leur dynamique est chamboulée lorsque Claire (Geneviève Bujold), actrice de série B, vient les consulter pour avoir des enfants. Beverly découvre alors qu’elle a une « mutation » faisant en sorte qu’elle possède un utérus tricorne, ce qui la rend malheureusement stérile. Les jumeaux sont évidemment impressionnés par cette malformation inédite, et s’intéressent de plus en plus à son cas.

En fait, Claire tombe en quelque sorte amoureuse de Beverly, du moins le croit-elle, puisque les jumeaux partagent tout, de leur cabinet de Toronto à leur appartement, de leurs conquêtes amoureuses à leurs expériences. C’est une relation particulière qu’entretiennent frères Mantle, qui sera chamboulée par cette histoire amoureuse qui se crée entre le véritable Beverly et Claire. Lorsqu’elle s’aperçoit leur stratagème, elle sera évidemment choquée, mais voudra tout de même poursuivre une relation exclusive avec Beverly, ce que les jumeaux acceptent. Toutefois, leur synergie, leur « synchronisme » (comme ils l’appellent) n’est pas respecté, et Beverly développe une addiction aux médicaments, et il sombrera dans l’enfer de la dépression lorsque Claire devra quitter pour un tournage en Géorgie.

Le point fort du film est véritablement l’ambiance angoissante qui règne du début à la fin. Les jumeaux entretiennent une relation qui nous rend mal à l’aise. L’obsession qu’ils entretiennent envers l’anatomie est perverse, même si elle s’exerce au nom de la science. L’angoisse est renforcée par les costumes sortis d’un film d’horreur stylé (quel médecin opère en soutane rouge?), les décors sont fades et nus, trop épurés pour que ce soit normal, et les accessoires (spécialement les Instruments for Operating on Mutant Women) sont tout simplement horrifiants. Ajoutez à cela la musique d’Howard Shore (qui signe également la trame sonore de Silence of the Lambs) et vous vous trouvez devant un film qui a tous les éléments d’un film d’horreur.

Pourtant, on se trouve plus dans un thriller psychologique qu’autre chose, et les vrais moments d’horreur ne surviennent que très tard dans le film. En fait, c’est plus un film sur la dépression, les problèmes de drogue et la quête identitaire. Il pose en quelque sorte la question : si j’avais un frère/sœur jumeau/jumelle, voudrais-je vivre exactement les mêmes choses que lui/elle, ou voudrais-je avoir mon identité propre? Pour certains, le seul fait d’avoir quelqu’un qui soit identique à eux provoque son lot d’angoisses. Pour Beverly, la situation devient de plus en plus invivable, et il veut se sortir de cette relation toxique qu’il entretient avec Elliot.

Irons est impeccable dans son interprétation des deux frères. Il parvient à leur forger une identité propre, tout en étant assez subtil pour confondre par moment le public. Le but avoué du film est de toujours entretenir un doute sur l’identité des frères, et c’est totalement réussi. C’est un rôle pivot pour Irons, qui le fera connaître en Amérique. Il remportera d’ailleurs son seul Oscar trois ans après, en 1991. On peut également remercier l’équipe technique et leurs effets spéciaux novateurs qui ont rendu possible la juxtaposition des deux Mantle au sein d’un même plan, ce qui ajoute fluidité et crédibilité au film. Bujold est également très charismatique, et on se désole de la voir quitter le récit pendant la majorité de la seconde moitié du film. On aurait aimé qu’elle soit là pour rassurer Beverly, qui sombre dans la dépression dès son départ. On se doute toutefois que ça n’aurait pas donné lieu à la même fin…

Cette fin, elle est un peu décevante d’ailleurs, ou plutôt ce qui enclenche la dépression de Beverly. Digne d’un quiproquo de comédie romantique moyenne, on s’étonne qu’un si petit événement puisse entraîner sa descente aux enfers de la sorte. Une accumulation de petits événements aurait été plus crédible, à mon avis, d’autant plus qu’il devient particulièrement psychotique en considérant ses patientes comme étant anormales. « There’s nothing the matter with the instrument, it’s the body. The woman’s body is all wrong! » Cette psychose est dépeinte de manière appréciable, et enclenche un processus particulier ou Elliot, pour conserver sa synchronie, doit également ingérer ces drogues et vivre les mêmes émotions que Beverly. Quelle relation étrange!

Cronenberg est passé maître dans l’art du film d’horreur. Alors qu’on s’attend à ce que Dead Ringers soit relativement gore, on se retrouve essentiellement face à un thriller qui côtoie le drame. L’élément déclencheur est vraiment la faiblesse du film, et fait perdre beaucoup de crédibilité à la fin de l’histoire, malheureusement. Le film est toutefois très bon, et mérite d’être vu pour la performance d’Irons à elle seule. Toutefois, je crois que je préfère pour l’instant les films plus récents du réalisateur. Je m’attendais à un film d’horreur traditionnel, mais j’ai plutôt eu droit à un film qui ne sait pas quel siège choisir. À mon avis, Cronenberg aurait dû opter soit pour un genre, soit pour l’autre. Cela étant, ça demeure l’un des films les plus angoissants que j’ai vu.

Fait partie de la Collection Criterion (#21).

Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.

1 commentaire

  1. La Collection Criterion (#21-30) – Ciné-Histoire sur septembre 8, 2020 à 12:35 pm

    […] Dead Ringers (1988) de David […]

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