Nous vivons actuellement une période assez trouble. Oui, il y a le Grand Confinement qui nous oblige à demeurer chacun chez nous, mais il y a depuis quelques semaines une intensification des tensions raciales aux États-Unis et ailleurs. La sortie du nouveau projet de Spike Lee semble donc fortuite, d’autant plus que le réalisateur a été au cœur de l’actualité cinématographique un peu plus tôt cette année en étant désigné comme le prochain président du jury du Festival de Cannes (qui a malheureusement été reporté à 2021). Sur fond de guerre du Viêt Nam (ou guerre américaine, selon le point de vue), Da 5 Bloods se veut autant un film d’actualité qu’un baume pour ceux et celles qui attendent impatiemment la réouverture des cinémas. Voguant sur la vague de son plus récent succès critique et commercial BlacKkKlansman, Lee nous propose un nouveau film d’époque malheureusement trop peu différent de ce dernier.

La guerre du Viêt Nam a été désastreuse à plusieurs niveaux. C’est une guerre qui a été perdue par les États-Unis, mais qui a causé des dommages incontestés dans les deux camps. Il s’agit également de la première guerre télévisée, ce qui a causé tout un émoi et un élan de manifestations de la part d’une population jeune et pacifiste. C’est de plus une guerre où la population afro-américaine a joué un grand rôle, un fait que l’on tend à oublier, mais qui est souligné avec brio par Lee. Da 5 Bloods suit en effet 4 des 5 membres des Bloods (nom informel d’un commando) : Paul (Delroy Lindo), Otis (Clarke Peters), Melvin (Isiah Whitlock Jr.) et Eddie (Norm Lewis), qui retournent au Viêt Nam près de 50 ans après la guerre pour retrouver les restes de Norman (Chadwick Boseman), leur ancien chef d’escadron, mais également un coffre rempli de lingots d’or que les Bloods avaient déniché lors de leur premier passage, mais dont ils ne retrouvaient plus l’emplacement en raison des bombardements fréquents qui leur ont fait perdre leurs points de repère. Se joint au groupe le fils de Paul, David (Jonathan Majors), qui a accompagné secrètement son père pour l’aider à trouver le trésor.

Le film a évidemment la prétention d’être plus qu’un simple film d’aventure en nature à la A Walk in the Woods. Il veut en effet faire état de deux guerres qui ne sont pas totalement terminées encore aujourd’hui : celle du Viêt Nam et la lutte pour les droits civiques. Sur papier, Da 5 Bloods a tout pour réussir. Par contre, l’exécution me rend pas justice à l’idée. Si on le prend seulement comme un film d’aventure comique, il s’avère particulièrement banal, sinon mauvais, vu la panoplie de raccourcis scénaristiques employés, le peu de charisme de ses personnages (mais surtout de ses vilains), et la totale absence de surprise. Cela faisait longtemps que je n’avais pas regardé un film dans lequel je sais exactement quand un personnage va mourir, ou comment l’histoire va se dérouler. L’humour n’est pas non plus au point. La réaction des personnages est télégraphique, et parfois insensée. Paul semble détester son fils, et l’histoire derrière cette haine ne vous surprendra assurément pas, mais vous agacera probablement. Si vous voulez un film sur des aînés qui vivent une aventure, je serais plus tenté de vous conseiller Last VegasThe Bucket List ou même Book Club, tous assez moyens, mais supérieurs à Da 5 Bloods pour le genre qu’il revendique.

Oui, il y a un message qui est criant de nos jours concernant le racisme qui règne aux États-Unis et partout dans le monde. C’est peut-être le seul apport véritable du film, mais il n’amène aucun élément nouveau qu’il devient pratiquement une parodie de lui-même. Jean Reno, personnifiant le parfait colonialiste, porte la fameuse casquette « Make America Great Again » dans une scène finale aussi ridicule qu’ennuyante. Il me semble qu’on ait dépassé le stade de la casquette dans la revendication anti-Trump. Le film est probablement entré en pré-production à l’arrivée de Trump au pouvoir, mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, et cela rend le message beaucoup moins puissant que désiré. Lee présente tout de même Paul, le personnage principal, comme un partisan du Président ; discours qui n’a pas été souvent représenté au cinéma comme ailleurs. Était-il nécessaire? Je ne pense pas. En fait, j’ai l’impression que Lee a voulu recréer l’engouement de BlacKkKlansman et son message choc entremêlant fiction et archives. Alors que c’est efficace dans le premier, cela devient redondant dans Da 5 Bloods.

Même en tant que film de guerre, Da 5 Bloods n’a pas grand chose à amener sur la table. Faisant hommage à de nombreuses reprises à Apocalypse Now (LA référence cinématographique sur la guerre du Viêt Nam), il en reprend de nombreux éléments, tout en affichant explicitement une image du film. Lee s’est gâté en ajoutant des scènes d’action plus grandes que nature (ou que nécessaire) où les aînés côtoient le jeune Norman en se rappelant certains combats des Bloods au cours de la guerre. Les scènes sont violentes et tournées dans un format différent (ratio de 4:3 avec un visuel granuleux). Cela amène un peu de dynamisme au film, surtout quand le format change au cours d’un même plan. Je peine toutefois à percevoir l’effet désiré, outre que pour bien représenter la différence d’époque.

Le film n’est pas dénué de qualités, toutefois. L’ambiance sonore et visuelle est au point, et rend le tout particulièrement stylé. Delroy Lindo offre une excellente performance, bien que j’aie trouvé son personnage détestable, et le toujours excellent Clarke Peters fait honneur à sa réputation. La fin est également puissante et significative, bien qu’on soit en mesure dès les premiers instants du film de se douter du dénouement. C’est toutefois bien peu à se mettre sous la dent, et qui ne récompense pas l’attente de plus de deux heures de visionnement.

Je suis déçu d’être aussi critique envers Da 5 Bloods. J’ai l’impression que plusieurs personnes vont adorer ce film, mais il n’est absolument pas venu m’atteindre. J’ai même omis de parler de LAMB, un organisme qui s’occupe de déterrer des bombes et des mines enfouies pendant la guerre, mais je me rends compte que ce groupe est un autre élément inutile au film, et on a l’impression qu’il n’existe que pour donner un rôle à Paul Walter Hauser et Jasper Pääkkönen (qui étaient tous deux dans BlacKkKlansman). Je crois qu’en temps normal j’aurais attribué au film 2 1/2*, mais qu’en raison du fait que c’est l’une des seules nouveautés du confinement et qu’il est très d’actualité, je me suis senti plus généreux. Visionnez plutôt BlacKkKlansman ou Do The Right Thing, vous en sortirez plus grandis.

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