« When you’re in love with a married man, you shouldn’t wear mascara.« 

Billy Wilder est l’un des réalisateurs les plus réputés de l’histoire du cinéma. Des six Oscars qu’il a remportés, 3 proviennent de The Apartment, un méconnu gagnant des grands honneurs à la cérémonie de 1961. Abordant l’adultère assez ouvertement, le film parait très avant-gardiste pour son époque, surtout en présentant le tout sous forme de comédie. C.C. Baxter (Jack Lemmon) est un employé d’une grande compagnie d’assurance new-yorkaise. Dans l’espoir d’un avancement professionnel, il prête souvent son appartement à ses supérieurs qui y emmènent leurs maîtresses. Un jour, Sheldrake (Fred MacMurray), le chef du personnel, le convoque et lui apprend qu’il sait tout… pour lui demander aussi sa clé. Baxter est enfin promu. Mais ce que Baxter ignore, c’est que le chef du personnel emmène dans son appartement la femme dont il est amoureux, Fran Kubelik (Shirley MacLaine).

Dès les premiers instants du film, on comprend qu’on a affaire à un scénario très habile. La narration (qui rappelle par exemple celle de Kevin Spacey dans American Beauty) nous apprend entre autres que si l’on mettait bout à bout toute la population de la métropole, on pourrait joindre New-York à Karachi, au Pakistan, ou encore que sa compagnie emploie 31 259 employés, soit davantage que la population de Natchez, Mississippi. Puis, la première heure du film défile comme une comédie classique, qui met à l’honneur l’interprète de Baxter. Il tente tant bien que mal de gérer sa vie et l’horaire des « locations » de son appartement, passablement chargé. On rit ici de l’adultère des hommes d’affaires américains de la façon la plus ouverte qu’il m’ait été donné de voir dans les années 1960. On a l’impression de regarder un épisode de Mad Men tourné en sitcom. Puis, à mi-chemin, la comédie laisse place au drame, alors que Fran tente de se suicider dans l’appartement de Baxter. Ce changement de ton est brutal, et donne un second souffle au récit, dont les situations comiques commençaient à s’épuiser après la première heure. On aperçoit ici tout le talent de MacLaine, qui peut aussi bien jouer la comédie que le drame.

Alors que dans la première heure on rit beaucoup de l’adultère et du grossier détachement des dirigeants envers leur tromperie, dans la deuxième on nous amène à considérer les impacts réels de celles-ci sur les femmes et les amantes des hommes. La citation qui ouvre le présent texte en dit long, et le scénario de The Apartment regorge de one-liners très ingénieux. Voici quelques autres phrases qui témoignent de la poésie des dialogues :

Baxter : « The mirror… it’s broken. »
Fran : « Yes, I know. I like it that way. Makes me look the way I feel. »

[…]

Fran : « Why do people have to love people anyway? »

[…]

Sheldrake : « Ya know, you see a girl a couple of times a week, just for laughs, and right away they think you’re gonna divorce your wife. Now I ask you, is that fair? »
Baxter : « No, sir, it’s very unfair… Especially to your wife.« 

Dans un certain contexte, ces dialogues pourraient être particulièrement clichés, mais ici, ils collent parfaitement au cynisme face à l’amour, thème inhérent au récit. Wilder, qui co-signe le scénario avec I.A.L. Diamond, tenait mordicus à ce qu’aucun acteur ne déroge d’un seul mot au scénario, ce qui démontre qu’il savait exactement ce qu’il voulait faire avec le film. Le texte donne droit à de nombreuses accroches qui nous restent en tête après le visionnement (« That’s the way it crumbles… cookie-wise« , cette syntaxe étant utilisée à outrance avec des mots comme « decency-wise« , « Kubelik-wise« , « October-wise » et même « otherwise-wise« ). Le produit final est digne des meilleures comédies de Woody Allen.

Il y a beaucoup à admirer dans ce film sobre en apparence. Nommé à 10 Oscars, il en remportera finalement cinq, mais chaque aspect du film a été étudié avec minutie. Les décors sont magnifiques (les décorateurs de Mad Men doivent avoir étudié assidûment ce film, les bureaux de la compagnie d’assurance étant par moments quasi identiques à ceux de Sterling-Cooper), les jeux d’ombres et de lumières le sont également, et on a véritablement l’impression de voir se transposer à l’écran l’année 1960. Dernier film en noir et blanc à remporter l’Oscar du meilleur film avant The Artist (ou Schindler’s List, si on pardonne les quelques scènes en couleurs), on sent que le directeur photo sait pleinement comment mettre en valeur cet esthétisme.

The Apartment est méconnu du grand public, mais très apprécié chez les cinéphiles. Pourtant, il mériterait d’être connu davantage, puisque sa construction est très contemporaine et au final peu différente des films du même genre sorti ces dernières années. Fort d’une distribution hors pair, on se délecte des mimiques de Lemmon, de la tendresse de MacLaine, du découragement de Jack Kruschen (qui joue le voisin de Baxter, Dr. Dreyfuss) ou de la nonchalance de MacMurray, scène après scène. Malgré quelques longueurs dans sa seconde moitié, on s’investit assez facilement dans les péripéties de Baxter et Kubalik. Certaines scènes sont prévisibles, mais on se laisse porter par le charisme des deux interprètes, et c’est pour le mieux.

Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.

1 commentaire

  1. Les faux films du Temps des Fêtes – Ciné-Histoire sur novembre 21, 2020 à 10:46 am

    […] The Apartment (1960) de Billy Wilder […]

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