Le monde de la musique a fasciné de nombreux cinéastes. Ses interprètes, fictifs ou non, sont souvent très charismatiques, et donc attirants quand vient le temps de présenter des études de personnages. C’est exactement dans cette veine que nous amène le réalisateur Darius Marder avec son premier long métrage Sound of Metal. Il forge ici un récit des plus authentiques qui voit son protagoniste perdre sa principale raison d’être, et qui doit littéralement réapprendre à vivre dans sa nouvelle réalité. L’adaptation sera longue et ardue, mais surtout parsemée de déceptions.

Ruben (Riz Ahmed) est un jeune batteur dans un duo de musique métal qu’il forme avec sa copine Lou (Olivia Cooke). Vivant dans leur VR, ils voguent au rythme des spectacles d’une tournée qui les amène aux quatre coins du pays. Un jour, subitement, Ruben perd environ 80% de ses capacités auditives, et les médecins lui annoncent qu’il pourrait perdre complètement l’ouïe d’ici peu. Tentant de dissimuler le plus longtemps possible la nouvelle à Lou, il doit néanmoins se résigner après une performance désastreuse. Évaluant les options, Lou l’incite à joindre une communauté de malentendants dirigée par Joe (Paul Raci) au Missouri, qui lui propose non pas de guérir, mais d’apprendre à vivre avec la surdité. Réticent au départ, Ruben n’aura d’autre choix que de s’y joindre, d’autant plus qu’une opération lui permettant de retrouver l’ouïe s’avère trop couteuse pour ses modestes moyens.

Le réalisateur Derek Cianfrance travaille depuis 2009 sur un docufiction du même sujet. Toutefois, le film ne parvenant pas à voir le jour, il propose à Marder, son scénariste sur The Place Beyond the Pines, de finalement transposer le projet à un film de fiction. Le résultat est une étude de personnage très intéressante, portée à bout de bras par l’excellent Ahmed (The Night Of, Nightcrawler). Il forge ici un personnage complexe, multidimensionnel et introspectif. C’est le genre de film où la caméra est continuellement braquée sur lui, et dont le succès dépend entièrement de sa performance. Ahmed semble véritablement comprendre la psyché de Ruben, et ne ressent pas le besoin de trop en faire. Il parvient à nous faire ressentir sa détresse sans avoir besoin de la nommer explicitement ou de la montrer avec des excès de rage typiques. Quand on apprend (sans surprise peut-être) que son personnage est un ancien héroïnomane, on comprend rapidement que le courage dont il fait preuve face à cette adversité peut s’effriter à tout moment, ce qui pourrait le faire rechuter. Tout se joue ici dans les silences (contrairement au titre du film), nombreux, et plus criants que n’importe quel dialogue.

Parlant de silences, Sound of Metal est l’un des rares films à tirer profit du son, que l’on prend souvent pour acquis au cinéma. Oui, la caméra à l’épaule nous fait nous sentir comme si nous étions avec Ruben dans toutes les situations, mais plus encore, Marder veut nous faire vivre ce que son personnage vit, et cela passe évidemment par l’ambiance sonore, l’une des plus inventives qu’il m’ait été donné d’entendre ces dernières années. Des silences, on passe aux bruits de distorsions (l’équivalent d’être plongé sous l’eau), et on va aussi loin que de nous présenter le monde tel qu’entendu par ceux et celles qui se font finalement poser l’implant cochléaire qui permet de contourner le travail de l’oreille et ainsi retrouver l’audition. Il est dommage de ne pas voir ce film sortir au cinéma (du moins d’ici les prochains mois), car il me semble que l’expérience en salles aurait grandement contribué à plonger à fond dans cet univers sonore déstabilisant. Conseil à ceux et celles qui visionneront Sound of Metal dans le confort de leur salon : ne vous laissez pas distraire par vos téléphones, car vous passerez à côté de l’objectif du film.

Il ne faut pas s’attendre à un film dramatique très axé sur la musique comme Whiplash, car ici l’aspect musical sert davantage à dramatiser la perte de l’audition (terrible pour quiconque, mais particulièrement chez quelqu’un qui gagne sa vie avec elle) qu’autre chose. Ahmed a toutefois cru bon d’apprendre à jouer de la batterie, ce qui élève son interprétation déjà sublime à un niveau supérieur. Combinée à son apprentissage du langage des signes, personne ne pourra reprocher à l’acteur de ne pas s’être investi corps et âme dans le projet. Sound of Silence est pour tous les amateurs d’études de personnage, et ouvrira les portes d’un monde avec lequel on est peu familier. Il nous gardera étonnamment investi tout du long de ses deux heures, ce qui est un exploit vu la nature du projet. Parions que le film pourra bénéficier d’une faible année cinématographique pour s’attirer quelques nominations (toutes méritées) en vue des prestigieux galas du début 2021.

Fait partie de la Collection Criterion (#1151).

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