Musashi Miyamoto. S’il n’y a qu’un seul samurai que vous vous devez de connaître, c’est Musashi Miyamoto (ou seulement Musashi). C’est assurément le plus célèbre rônin de l’histoire japonaise, et sa vie haute en rebondissements a inspiré de nombreux romans, films et anime. Seulement en 1954, deux films à gros budget sur ce personnage sortent simultanément au Japon. Si l’un d’eux a passablement été oublié, le premier film de la Samurai Trilogy est pour sa part devenu extrêmement populaire, au Japon comme ailleurs dans le monde. Remake d’une trilogie tournée par Hiroshi Inagaki au début des années 1940 et détruite pendant la guerre, le réalisateur est un habitué des films de jidai-geki (mélodrames japonais de la période Edo du Japon, soit de 1603 à 1868 environ). En choisissant Toshirô Mifune (l’un des plus grands acteurs japonais de tous les temps) dans le rôle-titre, il décide de tourner l’entièreté de la trilogie en couleur, chose exceptionnelle pour l’époque. Le succès du premier film (qui remportera un Oscar honorifique en 1956) contribuera au succès des deux autres, qui, s’ils n’ont pas été tournés en bloc, peuvent difficilement se prendre individuellement. C’est pourquoi ce texte se veut une critique des trois films, tout en les analysant comme un tout cohérent, indivisible.

Samurai I : Musashi Miyamoto

Le premier opus de la série de situe tout juste après la bataille de Sekigahara de 1600, qui précède de quelques années l’établissement du shogunat de Tokugawa. On y suit Takezo (Toshirô Mifune) et son ami Matahachi (Rentaro Mikuni) qui, se retrouvant du côté perdant de la bataille, deviennent en quelque sorte des fugitifs. Ils trouvent refuge auprès d’une veuve et de sa fille, Oko (Mitsuko Mito) et Akemi (Mariko Okada), dans une maison de campagne non loin du champ de bataille. Elles les accueillent, avec réticence d’abord, avant que toutes deux s’éprennent de Takezo. Après quelques péripéties qui séparent Takezo de Matahachi, Takezo décide de retourner à son village natal, Miyamoto, pour annoncer à la famille de Matahachi qu’il est toujours vivant, puisqu’il est promis à Otsu (Kaoru Yachigusa), qui attend désespérément son retour. Takezo sera cependant un hors-la-loi au sein du village, notamment parce qu’il a attaqué certains hommes du seigneur en tentant de passer sur un chemin sans ses papiers. Il parvient tout de même à retrouver la famille de Matahachi, dont la mère lui tend un piège pour qu’il se fasse arrêter.

Le reste de l’histoire est un mélange d’évasion de Takezo, de la naissance d’une histoire d’amour entre Otsu et lui, ainsi, ultimement, de sa transition de simple combattant à samurai, grâce au prêtre bouddhiste Takuan (Kuroemon Onoe). Un simple visionnement, sans recherche préalable, nous permet tout de suite de suspecter que l’histoire de la vie de Takezo – qui deviendra éventuellement Musashi – semble assez romancée. Une recherche confirmera le tout sans l’ombre d’un doute. Aucune histoire d’amour n’a en effet eu lieu dans la vie de Musashi, alors que dans ce premier film, comme dans toute la trilogie d’ailleurs, elle occupe une place prépondérante. On ressent vraiment l’aspect mélodramatique, voire hagiographique de l’histoire, même s’ils permettent d’humaniser en quelque sorte le personnage. La faute n’incombe pas totalement à Inagaki, puisqu’il se base surtout sur une série de romans très populaires rédigés par Eiji Yoshikawa, l’un des meilleurs romanciers historiques du Japon. Le fait d’inventer certaines parties de l’histoire ne fait pas de la trilogie un produit de mauvaise qualité, loin de là. Il ne faut cependant pas le prendre trop sérieusement comme une reconstitution fidèle du passé et de la vie de Musashi (comme la plupart des films biographiques, quoi!)

Ce qui frappe dès le début du visionnement est la qualité visuelle du film. C’est pour ma part le premier film de samurai que je vois en couleur, et je dois dire qu’il y a une certaine plus-value à voir les somptueux paysages japonais et les costumes en couleur. Beaucoup de grands films de samurai sont en effet tournés en noir et blanc (pensons entre autres à Seven Samurai sorti la même année), et je dois admette que le studio Toho a fait le bon choix de financer la trilogie pour qu’elle soit en couleur (Samurai I est seulement le 2e film du studio tourné ainsi). De plus, la restauration que propose Criterion est tout simplement sublime. Puis, toujours côté visuel, ce qui surprend est le format 1.33:1 de l’image. Carré, ce ratio est rarement utilisé pour des films de samurai, qui sont habituellement tournés en format panoramique (1.78:1 ou plus grand), permettant une image horizontale, et donc plus grandiose lorsque viennent les scènes d’action. Ici, on a droit à une image assez verticale, renforçant l’idée que la trilogie propose certes de belles scènes de combat, mais que c’est avant tout une histoire dramatique.

Le film ne serait rien sans la présence de Mifune et sa performance assez sobre, qui fait contraste avec son rôle dans Seven Samurai. Il interprète un Musashi très stoïque, en contrôle de ses moyens (bien qu’on observe surtout cette personnalité dans les 2e et 3e films). Son visage sévère est parfait pour toutes les décisions déchirantes qu’il doit prendre, tout en dégageant le charisme nécessaire qui justifie pourquoi toutes les femmes semblent s’éprendre de lui automatiquement. Otsu, mais aussi Akemi et Oko, tenteront à tour de rôle de séduire le guerrier, sans succès véritable. Musashi ressent l’appel de l’épée avant tout!

Les péripéties de ce premier opus sont assez intéressantes, et le film emploie une structure narrative classique, mettant la table aux autres films à venir. On n’y voit pas vraiment Musashi le samurai, puisque ce titre ne lui revient qu’à la fin du film, après avoir été enfermé pendant trois années dans le château Himeji. Toutefois, la qualité et la richesse de l’histoire, combinées à la fin dramatique du film, nous donnent véritablement envie de voir le second opus. C’est évidemment bon signe, puisque le premier film d’une trilogie doit nous accrocher suffisamment pour nous convaincre de la pertinence des suites à venir. Mission réussie pour Inagaki, mais le meilleur reste à venir.

Fait partie de la Collection Criterion (#14).

Samurai II : Ichijôji no kettô (Duel at Ichijoji Temple)

Profitions de cet interlude pour parler un peu de Musashi, et de ce qui fait sa renommée. Ce guerrier, né vers 1584, il est surtout connu pour deux raisons : son record de 61 victoires en duel et la publication de nombreux ouvrages philosophiques, dont The Book of Five Rings, dans lequel il jette sur papier l’essentiel de sa pensée concernant l’art du combat et la mentalité du samurai. Si la trilogie ne fait aucunement mention de ses écrits (qui surviendront vers la fin de sa vie), les 2e et 3e films font quant à eux référence à deux duels célèbres impliquant Musashi. Mentionnons tout de même certains éléments de son traité, qui se reflètent tout de même tout au long de la trilogie.

Dans The Book of Five Rings, Musashi élabore 9 critères que chaque guerrier se doit de respecter pour être au sommet de son art. Sans en faire la liste, nommons-en tout de même quelques-uns qui se retrouvent dans ce film et dans le 3e. Il y a d’abord l’idée de connaître et de pratiquer tous les arts et métiers. Musashi a en effet réalisé de nombreux dessins et sculptures qui ont été préservés dans le temps, en plus d’occuper divers métiers tout au long de sa vie. Il faut comprendre qu’il faisait contraste avec les autres samurais de l’époque, dont la principale motivation était d’être embauché par un seigneur pour protéger un village ou une région. « Samurai », du verbe saburau, signifie d’ailleurs « au service de » en japonais. Ceux qui portent le nom de samurai sont en fait à l’emploi de quelqu’un, alors que ceux à la recherche d’un contrat sont nommés rônins. Musashi ne cherchera jamais vraiment à être au service d’un seigneur, voulant plutôt toujours perfectionner son art du combat. Un autre de ses préceptes veut que le guerrier doive porter une attention particulière aux détails pour en tirer profit le temps venu, aspect qui sera souvent repris tout au long de la trilogie. Musashi insiste aussi qu’un guerrier doit penser à la victoire avant tout, et ne pas nécessairement se conformer aux conventions. Finalement, si un samurai doit se servir de sa 2e épée (en théorie réservée aux fameux hara-kiri) dans un combat, il doit le faire. Bref, on voit que Musashi est plus qu’un guerrier exemplaire, c’est aussi un philosophe de l’art du combat, et son traité est lu encore aujourd’hui. Évidemment, à ce stade-ci de la trilogie, tout est encore à apprendre…

On retrouve Musashi quelques années après la fin du premier film. Ayant alors quitté Otsu pour parfaire son apprentissage, on le voit parcourir la contrée japonaise en quête de duels. Il trouve un adversaire notable en Old Baiken, qui l’attaque avec une boule attachée à une chaîne (arme reprise dans Kill Bill notamment), mais qui ne fait pas le poids devant Musashi. Sur les lieux du combat, le jeune orphelin Jotaro (Kenjin Iida), observant le tout, décide de suivre le samurai, qui l’accepte comme compagnon un peu à contre-cœur. Pendant ce temps, Otsu, qui attend toujours le retour de l’homme de sa vie, rencontre par hasard Akemi. Les deux se trouvent à Kyoto alors qu’Akemi est promise à un guerrier puissant : Seijuro Yoshioka (Akihiko Hirata), maître d’un dojo très réputé. Le hasard faisant bien les choses, il s’avère que Yoshioka soit la prochaine personne sur la « liste » de duels de Musashi. Après avoir combattu quelques-uns de ses étudiants, Musashi convoquera formellement Yoshioka en duel, ce à quoi ses élèves tentent de le dissuader. Le film se concentre surtout sur cet inévitable duel, dont la complétion sera mise en péril en raison des nombreuses embuscades tendues par les élèves du dojo pour Musashi.

Ce second opus a bien évidemment sa part de mélodrame. Akemi et Otsu, en apercevant Musashi, tenteront par tous les moyens de le conquérir, sans grand succès. Toutefois, le film introduit Sasaki Kojiro (Koji Tsuruta) qui, s’il occupe un rôle secondaire, deviendra la némésis de Musashi dans le 3e film (ce n’est pas indiqué, mais on le comprend assez rapidement dès son apparition). On voit qu’il semble aussi puissant que Musashi, et on ne peut attendre leur inévitable confrontation. Encore une fois, Inagaki fait l’effort de nous garder investi dans la trilogie, ce qui est évidemment fortuit.

L’histoire de ce deuxième film est plus développée que celle du premier, mais elle est trop confuse. On y introduit beaucoup de nouveaux personnages, et on peine par moment à bien suivre les situations. Certains d’entre eux n’apparaissent que pour quelques moments, et on en vient à se perdre à quelques endroits. De même, on ne peut s’empêcher de dénoter une baisse de qualité des décors. Alors que le premier film se déroulait dans des paysages extérieurs, celui-ci semble tourné entièrement en studio. La restauration est peut-être à blâmer, mais on sent plus que jamais que les arrière-plans sont faits en carton… Je conviens que ces décors n’occupent pas une place importante dans le récit, mais on s’en désole tout de même. Enfin, un dernier aspect plus problématique est la relation étrange qu’Otsu et Akemi entretiennent avec Musashi. Disons seulement que c’est loin d’être un portrait glorieux des femmes de l’époque.

Le film a toutefois de très bons éléments, notamment une scène finale fort intéressante où Musashi se retrouve seul devant plus de 80 soldats dans des rizières. Le tout est somptueux, et c’est assurément le moment fort du film. Les combats à l’épée occupent également une plus grande part dans ce second film que dans le premier, à notre plus grand plaisir. Que serait un film de samurai sans combat! De plus, le contraste entre Musashi et les élèves du dojo est assez intéressant. En effet, alors qu’ils sont supposés être la relève des samurais, ils se battent tous pour tenter d’accéder à la gloire. Ils ne se battent pas pour les bonnes raisons, et ils deviennent les vilains du film. Cela démontre une fois de plus comment Musashi veut se libérer de cette mentalité malsaine qui habite plusieurs samurais. En comparaison avec le premier film, j’ai préféré Samurai I, puisque je suis de ces personnes qui apprécie en général plus le premier film d’une trilogie que les deux autres. Le premier doit en effet nous captiver, nous inviter à vouloir poursuivre notre visionnement, alors que le 2e sert, à mon avis, de tampon entre l’introduction et le dénouement. Certains rares films ont su me donner tort. Samurai II n’est pas de ceux-ci, malheureusement.

Fait partie de la Collection Criterion (#15).

Samurai III : kettô Ganryûjima (Duel at Ganryu Island)

La trilogie se conclut en beauté avec ce troisième film, à l’histoire plus simpliste que le second (heureusement), et qui récompense amplement les 4h30 d’attente. Même si j’ai accordé la même note aux trois films, Samurai III est mon favori. La confrontation finale sur l’île de Ganryu est tout simplement savoureuse, même si elle est un peu trop brève.

Commençons toutefois par le début, puisque quelques années se sont écoulées entre la fin du 2e film et celui-ci. Musashi a pour un bref instant quitté la vie de chevalier errant. Devenu professeur et vassal du shogun, il est constamment mis au défi par d’autres guerriers. Akemi, qui avait quitté avec Sasaki à la fin du précédent film, décide de partir retrouver Musashi. Pendant ce temps, Sasaki met au défi Musashi, qui accepte, mais qui doit repousser d’un an le duel. Il décide en effet d’aller travailler la terre dans un village pour parfaire ses apprentissages. Sasaki accepte avec déception ce délai, et en profite pour se faire embaucher par un seigneur et lui aussi perfectionner son art. Musashi, en arrivant dans le village de campagne, remarque que ses habitants sont souvent attaqués par des bandits, et décide de remédier à la situation (dans un scénario qui s’apparente beaucoup à Seven Samurai). Otsu et Akemi finissent par le rejoindre. Un triangle amoureux se forme, mais il sera bref et tragique. Les péripéties se poursuivent, jusqu’au fatidique duel qui clôt la trilogie.

Il y a plusieurs aspects intéressants dans Samurai III. Le duel entre Musashi et Sasaki est l’un des plus célèbres de l’histoire japonaise. Deux combattants, au sommet de leur art, qui s’affrontent pour tenter de devenir le guerrier prédominant, voici la base d’une excellente légende! En fait, le troisième film au complet sert à opposer les deux guerriers. Faire contraster au possible le développement de Musashi et de Sasaki, notamment, vient de plus renforcer le précepte de Musashi voulant qu’il faut libérer son esprit et ne pas s’enfermer dans la tradition. Sasaki deviendra en effet hautain en raison du fait qu’il travaille pour l’un des seigneurs les plus puissants du Japon. Musashi est quant à lui demeuré plus noble, en se rapprochant du peuple et en délaissant le combat. Leurs deux entraînements seront mis en confrontation lors du duel, duquel Musashi sort gagnant.

Parlons-en de ce duel, qui représente la culmination de la trilogie. Se déroulant au coucher du soleil sur une plage de l’île de Ganryu, on peut s’attendre à de nombreux plans somptueux. D’ailleurs, alors que cela constituait une critique dans le 2e film, Samurai III semble avoir davantage bénéficié d’un tournage hors studio. Il est plus beau que son prédécesseur, surtout lors du combat final. Visiblement tournée à l’extérieur, cette scène est un petit bijou technique. L’équipe, à chaque jour, ne disposait que de quelques minutes avant que le soleil disparaisse, ce qui complexifie grandement le tournage. De plus, on y voit les deux guerriers qui tirent profit de leur environnement, que ce soit en cachant la lumière avec leur silhouette ou en causant des reflets avec leur sabre. Faut-il rappeler encore une fois que plusieurs des éléments de ce duel ont été repris dans Kill Bill.

Outre ce duel, l’histoire prend une tournure dramatique pour l’une des deux prétendantes de Musashi. Si leur trame n’est encore une fois pas glorieuse – elles ne semblent vivre que pour lui – on a toutefois droit à de beaux moments, notamment pour Akemi, qui peut exprimer toute la frustration qu’elle vit en trahissant, en quelque sorte, Musashi. Le guerrier pourra-t-il résister à l’appel de l’amour? L’histoire nous dit que oui, mais le film ne serait pas un mélodrame sans un soupçon de distorsion historique…

Que dire de plus sur cette trilogie, qui m’a surpris autant par son visuel somme toute assez somptueux, et son histoire à l’eau de rose? Après avoir été déçu d’autres films comme Seven Samurai, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais j’ai globalement bien apprécié la Samurai Trilogy. Les interprétations ne sont pas surjouées (comme c’est le cas dans plusieurs Jidai-geki), et l’histoire est prenante du début à la fin. Certes, les histoires d’amour nous semblent tirées par les cheveux, mais elles ont tout de même leur charme, ne serait-ce qu’en raison des bonnes performances de Mifune, Yashigusa et Okada. Si on ne se trouve pas devant un slasher japonais, la trilogie propose tout de même plusieurs belles scènes de combat, pour notre plus grand plaisir. C’est un peu dommage de faire terminer l’histoire avec le duel contre Sasaki (Musashi n’avait que 29 ans à cette époque), puisqu’il me semble qu’il y aurait encore du matériel pour une autre trilogie. On comprend toutefois que cet événement représente une certaine finalité pour lui, puisqu’il ne trouvera pas d’autres guerriers aussi valeureux du reste de sa vie. Un épilogue aurait été fortuit, où on aurait pu le voir enseigner ses préceptes ou rédiger son fameux livre. Quoi qu’il en soit, cela m’aura permis d’en apprendre un peu plus sur le célèbre samurai (référencé dans la saison 2 de Westworld, notamment), et m’a franchement donné envie de voir d’autres films de ce genre. Certains seront rebutés par son aspect mélodramatique, mais la trilogie demeure à mon avis l’un des meilleurs Jidai-geki jamais fait!

Fait partie de la Collection Criterion (#16).

1 commentaire

  1. La Collection Criterion (#11-20) – Ciné-Histoire sur juillet 24, 2020 à 12:51 am

    […] Samurai II : Duel at Ichijoji Temple d’Hiroshi Inagaki […]

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