Inspiré de la nouvelle de 1921 de W. Somerset Maugham et d’une pièce de théâtre de 1922 écrite par John Colton et Clemence Randolph, Sadie Thompson raconte l’histoire de Sadie (Gloria Swanson), une ex-prostituée frivole de San Francisco qui tente de refaire sa vie sur une île dans le Pacifique en travaillant auprès d’une compagnie maritime. Alors en route pour joindre la compagnie, le navire qui doit l’y conduire fait escale à Pago Pago (aujourd’hui les Samoa américaines) et, en raison d’un orage violent, tous les passagers doivent demeurer une dizaine de jours sur l’île le temps que la tempête passe. Parmi les passagers se trouvent Mr. et Mrs. Davidson (Lionel Barrymore et Blanche Friderici), un couple de réformistes. Logeant au même hôtel que Sadie Thompson, Mr. Davidson voit en elle une femme de peu de mœurs, et tente par tous les moyens de la ramener « sur le droit chemin ».

On se doute avec un tel type de récit que le film ait connu sa part de controverse à l’époque. Une femme libérée, qui écoute du jazz, fume, boit et a du sexe choquait assurément dans les années 1920, d’autant plus que Swanson, dans l’un de ses meilleurs rôles en carrière, propose une interprétation des plus arrogantes et aguichantes. C’est elle qui est à l’origine du projet et qui a voulu porter cette histoire à l’écran. Pour ce faire, elle a approché le réalisateur Raoul Walsh, qui interprète également le Sergent Timothy O’Hara (le prétendant de Thompson), bien connu pour adapter des récits controversés. L’histoire derrière la création du film et les nombreuses disputes qui en ont découlé est pratiquement plus intéressante que le film lui-même, et nous vous suggérons d’aller lire sur le sujet car le but de cet article n’est pas de dresser cet historique. Sachez tout de même que comme tout film controversé, il a connu sa part de succès à la fois critique et commercial, en plus de propulser, brièvement du moins, la carrière de Thompson au cinéma.

Outre son récit avant-gardiste, ce sont les excellentes interprétations de Swanson et de Barrymore qui valent le détour. L’actrice a d’ailleurs été en nomination lors de la première cérémonie des Oscars pour son rôle, mais on lui a préféré la tout aussi excellente Janet Gaynor. Swanson démontre l’étendue de ses talents, puisqu’elle joue d’une part une femme libérée dans la première moitié du film, puis, sous l’emprise de Mr. Davidson, elle sombre dans un état quasi-végétatif où elle perd tous ses moyens et consent à retourner en Amérique pour faire face aux répercussions de son passé. En ce sens, Lionel Barrymore interprète une fois de plus un vilain de brillante façon (on le reconnait comme l’antagoniste de It’s a Wonderful Life, notamment). Sa carrure menaçante et son visage austère rendent sa performance mémorable, surtout dans un dernier acte dramatique, qu’on devine seulement toutefois, puisque les dernières minutes du film sont malheureusement perdues.

Sadie Thompson ne réinvente pas la roue avec son récit, et on ressent définitivement l’influence du théâtre sur sa construction narrative. En le remettant en contexte, on observe à quel point le film était novateur, et il constitue une fenêtre de choix pour observer les contre-discours de l’époque. Visionné aujourd’hui, il perd beaucoup de sa pertinence s’il n’est pas bien contextualisé, mais il s’apprécie tout de même comme un drame tragique sur la rédemption. Malgré un remake réalisé en 1953, c’est un film qui est sombré dans l’oubli, mais heureusement immortalisé dans les annales des Oscars.

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