Laura (Rashida Jones) et Dean (Marlon Wayans) sont mariés depuis plusieurs années et sont les fiers parents de deux jeunes filles charmantes. Alors que la compagnie pour laquelle Dean travaille est en plein essor, ce qui occupe la majeure partie de son temps, Laura, qui est pour sa part autrice, s’ennuie grandement du temps où elle était capable de s’assoir pour écrire. Elle passe donc ses journées à vivre la même routine avec les filles et les mères des autres élèves de l’école, notamment Vanessa (Jenny Slate). Quand Dean revient d’un de ses nombreux voyages d’affaires, Laura trouve une trousse de produits d’hygiène féminins dans sa valise et suspecte qu’il a une aventure avec sa séduisante collègue Fiona (Jessica Henwick). Laura appelle donc son père, Felix (Bill Murray), un marchand d’art retraité, célibataire endurci et séducteur notoire qui a abandonné sa mère lorsqu’elle était enfant. Felix et Laura tenteront de découvrir s’il y a véritablement quelque chose entre Dean et Fiona, en revisitant du même coup leur passé familial et leur relation père-fille.

On the Rocks n’est pas une comédie hilarante. Ce n’est pas non plus un drame profond. On a plutôt droit ici à une comédie dramatique intelligente remplie de moments attachants, que ce soit entre Laura et Felix, Felix et ses petites-filles ou, plus rarement, Laura et Dean. Il n’est jamais mentionné dans le film que Laura en veut à son père d’être parti, et on aurait pu s’attendre à ce genre de relation entre les deux. Il sera donc rafraîchissant de voir que le récit ne s’abandonne pas à cette prévisibilité. Cela dit, quand on aborde la question de front, lorsque Laura tente de comprendre si un homme peut se satisfaire d’une seule femme dans sa vie sans chercher à plaire à d’autres (comme Felix l’a fait), le film surprend en adressant un double standard dont on ne parle que peu. En effet, même si Felix a bel et bien abandonné sa famille, il explique à sa fille que sa femme l’avait abandonné avant. Quand Laura et sa sœur ont vu le jour, toute l’attention de leur mère s’est tournée vers elles, reléguant Felix au dernier rang de ses priorités. À ce moment, Murray livre l’une des plus belles répliques du film à mon avis : « Why is it that when a woman has an affair, it’s so wonderful that she found someone. But if a man has an affair, he’s banging his secretary ».

Par son expérience en la matière et aussi parce qu’il a les moyens de le faire, Felix deviendra le guide de sa fille à travers cette épreuve. Il demande à plusieurs de ses contacts de suivre son gendre, d’examiner les transactions sur ses cartes de crédit, et contacte les concierges d’hôtels où Dean aurait passé des week-ends professionnels avec Fiona pour avoir plus d’informations sur leurs allées et venues. Ce qui était au départ un jeu pour Felix devient plutôt une occasion pour lui de se rapprocher de sa fille. Ce qui était pour les spectateurs source de sourires entendus devient l’occasion d’être témoin de conversations pesées entre Jones et Murray, qui exposent toutes à leur manière des facettes de l’adultère dont on avait peut-être peu ou pas conscience jusque-là.

Évidemment, le film n’est pas pour tout le monde. Ceux qui s’attendent à retrouver le Murray de Ghostbusters ou toute autre comédie qui ont fait sa gloire seront déçus. On se retrouve en présence d’un Felix philosophe et comique à ses heures, surtout en raison de son statut de galeriste réputé (et riche) qui se sort de toutes les situations en charmant la personne à qui il parle, comme quand le policier qui l’arrête est le fils d’un ancien partenaire d’affaires. « It must be really nice to be you« , lui dira sa fille. Et avec raison. Lorsqu’ils décident de suivre Dean jusqu’au Mexique pour enfin le prendre sur le fait, ils logent au condo d’une amie, juste à côté de celui où Dean doit aussi rester pour son séjour. Et quand ils guettent son arrivée et sa sortie d’un restaurant avec Fiona et des clients, Felix a amené du caviar et du champagne dans sa décapotable pour qu’ils puissent manger adéquatement pendant leur séance d’espionnage. Ce sont tous ces petits moments caractéristiques de sa carrière glamour qui rendent le personnage de Murray si attachant. Et si on aimait l’aborder en surface, on aimera encore davantage les passages où il expose ses couches insoupçonnées dans les nombreux cœur à cœur avec Laura.

On the Rocks est un film qui aborde de façon plutôt singulière la question de l’adultère. À cet effet, Sofia Coppola nous offre davantage un récit de dialogues et une étude de personnages qu’une enquête soutenue et humoristique. Les multiples indices que Felix voit comme des preuves d’une relation supposée entre Dean et Fiona nous feront sourire tout en nous attristant et on pourra aussi se fâcher parfois, comme quand Dean offre à sa femme un robot culinaire multifonctions pour son anniversaire, et non la petite boîte rouge Cartier qu’un ami de Felix l’a vu acheter. Pis encore, la fatigue (jamais mentionnée) de Laura parvient à nous atteindre plus qu’on l’aurait cru quand Dean ne cesse de parler de sa compagnie et laisse peu de place à sa femme dans leurs conversations. Plus on avance dans le récit, plus on le sent désintéressé et plus on rejoint la cause de Laura, qui tente de rationaliser le tout, mais cède finalement aux certitudes de son père.

Le nouveau projet de Coppola pourrait être vu comme une tentative de recréer ce qui fonctionnait dans Lost in Translation. Certains seront d’avis que le film atteint son objectif, d’autres se désoleront qu’il en soit plutôt loin. À mes yeux, la relation entre Murray et Scarlet Johansson dans le premier en était une de mentorat et de tendresse, et c’est tout à fait ce qu’on retrouve ici. Dans les deux cas, le résultat est doux et on se laisse prendre avec un plaisir coupable dans ce qu’ils présentent. Avec toutes ses bonnes intentions, On the Rocks pourra décourager les spectateurs par sa lenteur et son dénouement quelque peu prévisible. Pour les autres, il offrira plutôt des pistes de réflexion intéressantes, dans un récit qu’on pourra aisément considérer comme complet.

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