La Belle et la Bête
Rarement un film ne m’aura autant pris par surprise que La Belle et la Bête de Jean Cocteau. On connait tous les grandes lignes du récit, que ce soit par l’entremise du conte de Madame Leprince de Beaumont ou par les deux versions adaptées par Disney. La surprise provient du fait que, là où on aurait pu s’attendre à une adaptation classique et manichéenne de l’histoire, on trouve plutôt un film onirique, quasi-philosophique, d’une beauté presqu’inégalée et aux effets spéciaux impressionnants. Le film se présente presque comme un poème qu’il nous faut expérimenter avant de l’analyser. C’est en fait l’un de mes visionnements les plus satisfaisants des dernières années.
Rappelons tout de même les grandes lignes de l’histoire. Belle (Josette Day) vit avec ses deux sœurs (Mila Parély et Nane Germon) qui la jalousent, son frère Ludovic (Michel Auclair) et son père (Marcel André). Lorsque ce dernier part en voyage en souhaitant faire fortune, il promet à Belle de lui rapporter une rose à son retour. Toutefois, il se perd et doit trouver refuge dans un château macabre, qui appartient à la Bête (Jean Marais, sous un épais maquillage). Le père y trouve une rose dans le jardin de la Bête, mais lorsque ce dernier s’aperçoit qu’on lui a dérobé cette rose, il prend le père en otage, avant de lui proposer un marché. La Bête accepte de lui laisser la vie à la condition qu’une de ses filles vienne vivre au château. Une fois le père revenu, Belle se propose pour prendre la place de son père, et quitte aussitôt. S’ensuit alors la formation, très graduelle, d’une relation entre la Belle et la Bête, qui sera cependant complexifiée lorsque la Belle voudra retourner voir son père, malade.
C’est une histoire somme toute classique, du personnage laid qui tente de séduire la belle femme qui pourra le libérer de sa malédiction. Pourtant, le tout est amené avec plus de sensibilité et de subtilité que dans les versions de Disney. Ces dernières mettent en effet l’accent sur le fait que la Bête, avant sa transformation, était une personne exécrable. Ce manichéisme très présent dans le conte pour enfant est pratiquement absent de la version de Jean Cocteau. Tous les personnages ou presque peuvent à la fois être gentils et méchants, même si Belle est l’héroïne et que ses sœurs sont clairement identifiées comme les antagonistes. On ne connait en effet rien du passé de la Bête, et Avenant (également joué par Jean Marais), qui se veut l’équivalent du personnage de Gaston dans les versions de Disney, est loin d’être aussi méchant ou narcissique que dans les films pour enfants. C’est une bonne chose, mais on peut rester surpris, surtout si on est habitué aux adaptations postérieures.
Ce qui impressionne le plus dans La Belle et la Bête, ce sont ses incroyables effets spéciaux, des illusions toutes simples mais extrêmement efficaces. Il faut se remettre en contexte. Le tournage est amorcé seulement quelques semaines après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le projet va de l’avant notamment en raison de son attrait universel et de son aspect fantaisiste, dont l’intention est de remonter le moral et de relancer l’industrie cinématographique française. On raconte même que certains tissus et objets utilisés pour le tournage auraient été dérobés en raison d’une pénurie dans divers secteurs de l’industrie. Qu’à cela ne tienne, Cocteau parvient à rendre magistral le rendu visuel du film. Les mains qui sortent des murs pour tenir des candélabres, une table qui nourrit ses invités et des statues vivantes ne sont que quelques éléments qui rendent le château terrifiant. S’y ajoutent quelques autres aspects comme le miroir magique, la téléportation de Belle et la fumée que projettent les mains de la Bête qui, s’ils sont des trucages assez simples, sont plutôt impressionnants pour l’époque. Ces illusions s’immiscent parfaitement dans le récit, lui ajoutant une aura d’inquiétante étrangeté fort bien exécutée.
Outre ces effets, soulignons également les interprétations magnifiques de Josette Day et de Jean Marais, ce dernier parvenant à rendre la Bête crédible et attachante, et le costume de la Bête franchement réussi. On salue l’effort de Marais qui devait endurer plusieurs heures de maquillages à chaque jour, en plus de divers épisodes d’eczéma causés par le costume. La chimie entre Day et Marais crève l’écran, de sorte qu’on prendrait plus de ces moments intimes qu’ils vivent ensemble. Cela rappelle la beauté de films récents comme Call Me By Your Name et If Beale Street Could Talk. Les autres interprétations sont adéquates, bien que beaucoup moins marquantes.
Un mot également sur la musique du film. Si le film d’origine propose la musique envoûtante de Georges Auric, l’édition blu-ray de la Collection Criterion propose une deuxième trame sonore, soit un opéra de Philip Glass synchronisé au film. Si nous n’avons malheureusement pas pu visionner cette version, il va sans dire que l’expérience doit être tout aussi magique. J’ai personnellement très hâte de pouvoir écouter cette version!
La Belle et la Bête frôle la perfection. Le seul bémol est peut-être la fin qui, si nous n’entrerons pas dans les détails, est anti-climatique. On demeure fidèle au récit d’origine, mais on aurait souhaité un dénouement autre (vous comprendrez lorsque vous l’aurez vu). Le film souffre également de quelques problèmes scénaristiques. On donne beaucoup d’importance aux « objets » magiques que possède la Bête (la rose, le miroir, le gant, la clé et le cheval), mais ils ne servent à rien, du moins en grande partie, tout au long du récit. La clé, notamment, semble avoir une importance capitale dans le dénouement du récit, bien que ce ne soit finalement pas le cas. Qu’importe, La Belle et la Bête est un bijou du cinéma, qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie!
Fait partie de la Collection Criterion (#6).
Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.
Fait partie du top 250 d’Alexandre (#70).
Fait partie du top 100 de Jade (#85).
[…] La Belle et la Bête de Jean Cocteau […]
[…] La Belle et la Bête (1946) de Jean […]