King Kong (2005)
Il n’est jamais facile d’arriver avec un nouveau projet après avoir sorti un film épique rapidement entré dans la mémoire collective. William Wyler, suivant le succès phénoménal de l’impressionnant Ben-Hur, a proposé le sobre The Children’s Hour. James Cameron, après Titanic, y est allé de deux documentaires, certes impressionnants, mais beaucoup plus posés. Après plus de quatre ans à baigner dans l’univers fantastique de J.R.R. Tolkien, Peter Jackson décide pour sa part de poursuivre dans le film à gros budget et propose un remake de l’une des histoires les plus connues du cinéma : King Kong. Tirant profit du perfectionnement des images générées par ordinateur (CGI), son projet fétiche peut enfin voir le jour. Bénéficiant encore une fois du travail exceptionnel d’Andy Serkis (Gollum), qui prête ici son corps au gorille, Jackson réalise probablement le film le plus accompli sur le roi de Skull Island.
Dans le New York des années 1930, la carrière de l’actrice Ann Darrow (Naomi Watts) stagne. Heureusement, le réalisateur Carl Denham (Jack Black) la recrute pour lui confier le premier rôle de son prochain film, qu’il compte tourner sur une île inexplorée du Pacifique. Sans aviser ses patrons, qui veulent le congédier, Denham prend le large vers la mystérieuse île en compagnie de ses techniciens, de sa nouvelle star et du scénariste Jack Driscoll (Adrien Brody). Toutefois, sur place, Ann est enlevée par les indigènes habitant l’île, qui l’offrent à leur dieu Kong, un gorille géant. S’ensuivra alors une battue de l’équipage du navire pour sauver Ann, mais aussi capturer Kong et le ramener vivant à New York, question d’exploiter sa singularité.
Il est facile d’être pessimiste face à cette nouvelle version des aventures de Kong (après celles de 1933, 1976, ainsi que toutes celles des films de monstres impliquant le primate et Godzilla). Toutefois, celle-ci amène véritablement des éléments nouveaux, ce qui en justifie sa pertinence. Certes, il y a l’apport des nouvelles technologies, qui rendent enfin crédible la représentation du personnage (à cet effet, rien à redire, car même encore aujourd’hui quelques modélisations d’animaux ou de créatures sont moins bien réalisées que celle de Kong ici, bien que l’écart tend à se réduire). C’est surtout dans la compréhension du personnage par Jackson et ses fidèles scénaristes Fran Walsh et Philippa Boyens que réside la principale nouveauté du film : enfin une version qui nous rend empathique de façon efficace envers le primate, et qui nous fait véritablement sentir la détresse de celui-ci une fois capturé.
C’est en effet dans le dernier acte du récit où réside la force du film. Si dans les deux premiers nous nous trouvons davantage dans un récit d’aventure, générique mais prenant, la dernière partie est celle qui nous fait réfléchir sur l’impact de l’humain sur la nature et la faune. Prévisible et pourtant toujours aussi déchirante, cette partie met en lumière le penchant destructeur de l’humanité face à ce qu’il ne peut apprivoiser. Seule Darrow tentera de protéger Kong lorsque celui-ci se trouve acculé au sommet de l’Empire State Building, en vain. La curiosité est souvent ce qui a poussé notre espèce à s’aventurer aux quatre coins du globe et explorer l’inconnu. La peur est cependant ce qui nous a amené à la violence gratuite, et c’est le message le plus pertinent que King Kong a à nous livrer.
La passion de Peter Jackson envers cette histoire est palpable, aux dépens peut-être de la construction narrative du récit. On pourrait l’accuser de ne pas avoir su où couper, dans un film d’un peu plus de trois heures. Toutefois, on ne prend pas vraiment conscience de sa durée, puisqu’il parvient à nous investir dans chacune des scènes qu’il présente. On aurait facilement pu se passer des nombreux combats entre Kong et les créatures qui habitent Skull Island, mais ce serait oublier que King Kong est d’abord un film d’aventure. Versant davantage dans le Jurassic Park par moments, on nous en met plein la vue, même si certaines scènes sont superflues. Les amateurs de la trilogie The Lord of the Rings reconnaîtront quelques traits caractéristiques du style de réalisation de Jackson (ralentis saccadés, « Dutch angles » et ambiance sonore), qui fonctionnent peut-être un peu moins bien ici, mais qui fonctionnent tout de même. De plus, le New York qu’on recrée relève plus de la fantaisie que du réalisme, mais on y adhère tout de même. Le visuel saturé et brumeux, qui me rebute habituellement, est particulièrement enchanteur, signe d’un film au budget démesuré, mais qui n’aurait pu être réalisé autrement.
Quelques mots sur cette distribution hétéroclite mais efficace qu’a rassemblée Jackson. Jack Black a pu sembler un choix particulier pour mener ce genre de films à l’époque, mais il nous démontre qu’il n’a aucun problème à allier les genres. Rappelant Orson Welles tant dans le physique que dans la psyché de son personnage, il fait ici usage de sa gestuelle pour nous faire sourire. Un autre choix atypique est celui de Brody, auquel on ne pense peut-être pas pour un rôle aussi orienté vers l’action. Il est toutefois plutôt crédible, d’autant plus qu’il se doit d’être émotionnel par moments (son rôle dans The Pianist nous a démontré l’étendue de son talent quelques années plus tôt). Naomi Watts est quant à elle sublime, et j’apprécie particulièrement le fait que Jackson n’ait pas insisté pour lui ajouter des dialogues (ou plutôt des monologues) inutiles à réciter à Kong. L’émotion transite dans le non-verbal entre eux, et c’est pour le mieux. Un dernier mot pour souligner le travail de Kyle Chandler, qui a véritablement le visage de l’emploi quand vient le temps d’incarner ces acteurs génériques du Hollywood des années 1930.
King Kong rend hommage à l’histoire originelle de Merian C. Cooper et Edgar Wallace, tout en s’en distinguant suffisamment pour justifier sa pertinence. Il plaira à tous les amateurs de films d’aventure, mais également à ceux et celles qui n’en sont pas friands, pour autant qu’ils et elles ne soient pas découragé.e.s par sa durée. Jackson nous démontre ainsi la bonne façon de concevoir un blockbuster, ni trop simpliste ni trop artificiel, pouvant rejoindre efficacement un large auditoire.