L’amélioration des effets spéciaux de la fin des années 1990 et du début des années 2000 permet la première croissance véritable du film de super-héros au cinéma. Après les X-Men et le premier Spider-Man de Sam Raimi, voilà que Universal Studios, pour poursuivre sur cette lancée, se tourne vers Hulk, le géant vert ayant connu une certaine popularité dans les années 1970 dans la série The Incredible Hulk mettant en vedette Bill Bixby et Lou Ferrigno. On confie les rennes de ce projet au réalisateur hongkongais Ang Lee, fort du succès critique Crouching Tiger, Hidden Dragon qui lui a valu deux nominations aux Oscars. La carrière de Lee se divise en deux catégories distinctes : les drames humains et les films aux nombreux effets spéciaux. Hulk semble donc idéal pour complémenter ses deux passions, lui qui entend raconter sous forme de tragédie grecque l’histoire de Bruce Banner. Si le résultat n’est pas des plus convaincants, on ne peut reprocher à Lee d’avoir tenté une approche différente – et même unique avec du recul – de celle à laquelle on est habitués.

Chercheur en biotechnologie nucléaire à l’université Berkeley, Banner (Eric Bana) a des rapports tendus avec sa collègue et compagne Betty (Jennifer Connelly). Un jour, le jeune homme est accidentellement exposé à une charge mortelle de rayons gamma, mais il survit grâce à une étrange substance que son père David (Nick Nolte), chercheur dans un laboratoire militaire au cours des années 1960, lui a transmis génétiquement, résultat d’une imprudente expérience. Sauf que désormais, sous l’effet de la colère, Bruce se transforme en un géant vert doté d’une force incroyable. Et lorsque l’homme d’affaires Glenn Talbot (Josh Lucas) veut s’emparer d’une découverte du couple de scientifiques, il a affaire à cet être monstrueux, tout comme l’impitoyable général Ross (Sam Elliott), le père de Betty et l’ancien patron de David Banner, qui cherche à contenir la créature.

La façon dont le récit est raconté est assurément ce qui va vous marquer une fois le visionnement terminé. Dans le but de rendre l’histoire dynamique et fluide, Ang Lee souhaite donner le sentiment à l’auditoire qu’il regarde une version live-action d’une bande dessinée. Ce faisant, il explore les split-screen (écran divisé), nous présentant au sein d’un même plan deux points de vue différents de la même scène, mais également les transitions d’une scène à l’autre. Si de nos jours ces techniques semblent tout droit sorties d’un film de série B, à l’époque cela contrastait également beaucoup avec ce à quoi le cinéma nous avait habitués. On dit souvent que le meilleur montage est celui qu’on ne remarque pas, or donc lorsqu’on nous gave de transitions douteuses à la limite du quétaine on peut être relativement déstabilisés, voire choqués.

Dès les premiers instants, et ce, tout au long du film, ces transitions seront un irritant comique. Même si on saisit rapidement l’objectif d’un tel choix artistique, force est d’admettre que le cinéma et la bande dessinée sont deux médiums différents lorsque vient le temps de raconter une histoire. Si à l’époque il n’y avait pas beaucoup d’autres films de super-héros sur lesquels identifier une « recette » du genre, l’arrivée du Marvel Cinematic Universe (MCU), univers qui a considérablement formaté ce à quoi on s’attend d’un tel film, nous fera réaliser que Hulk a très mal vieilli sur ce point. Si la forme est risible, je dois cependant avouer qu’elle a rapidement créé une attente chez moi. J’avais presque hâte de voir quelle nouvelle transition on allait me proposer, et je portais moins attention au récit et d’avantage à son aspect qui frôle le so bad it’s good. Au moment d’écrire ces lignes, je n’ai toujours pas tiré de conclusion à savoir si c’était une bonne chose ou non. D’un côté, on peine à trouver le film crédible et sérieux, mais de l’autre je suis demeuré particulièrement investi dans celui-ci.

Par contre, lorsqu’on porte attention à l’histoire qui se dessine derrière cette forme douteuse, le constat qu’on en fait est que Lee a raté son objectif. Dans un mouvement de rationalisation des super-héros, la conjonction entre le réalisme des situations et le cartoonesque de la forme semble décalée. Pourtant, le récit de Bruce Banner proposé par le scénariste James Schamus (qui doit beaucoup à « L’étrange cas du docteur Jekyll et M. Hyde » de Robert Louis Stevenson) a quelque chose de véritablement tragique. Hulk est l’un des rares super-héros dont les pouvoirs tiennent davantage de la malédiction que de la bénédiction et ici, contrairement aux mutants des X-Men dont les gènes sont la cause de leur particularité, ou encore Peter Parker, piqué par une araignée, Banner est devenu Hulk certes en raison d’une expérience qui s’est mal déroulée, mais davantage à cause des tests que son père a faits sur lui. Pour l’une des rares fois, il y a un responsable clair à la situation qui touche Banner, et il s’agit de nul autre que son paternel, qui l’a abandonné de surcroît. Les retrouvailles ne se feront donc pas sous le signe de la réjouissance!

Pourtant, si le film nous fait clairement comprendre que la confrontation père-fils sera le point fort du récit, on ne met pas suffisamment l’accent sur cette relation houleuse, donc lorsque vient le temps de l’affrontement final, celui-ci semble précipité. On investit plutôt beaucoup d’effort dans l’ambition de l’armée à capturer Hulk, une confrontation assez habituelle dans l’univers du super-héros, mais qui ici tombe à plat. On comprend l’effort que Ross met à tenter de freiner cette géante menace verte, mais le tout donne un lot de confrontations anonymes et aseptisées dont on se serait passé, en faveur d’un antagoniste digne de nom. Le parallèle entre la situation des Banner et des Ross est intéressant également, mais davantage relégué à l’arrière-plan.

Peut-être était-il trop compliqué à l’époque de modéliser deux créatures par ordinateur? Une chose est certaine, une grande partie du succès du film devait passer par un Hulk convaincant à l’écran, et sur ce point, c’est chose à demi réussie. Les premières images que l’on aperçoit de la créature sont assurément convaincantes, mais plus le film avance, plus on constate les limites des effets spéciaux de l’époque. Sans vouloir discréditer tout l’effort qui a été mis dans le projet, Hulk paraît un peu trop rigide lorsqu’on le retrouve en plein jour pour qu’on y croie vraiment. L’affrontement contre les trois chiens vers la moitié du film est particulièrement raté, mais d’autres scènes d’action sont quant à elles plutôt bien réalisées. Bref, constat mitigé sur ce point également.

Hulk aurait très bien pu s’implanter comme un personnage important de ce renouveau du genre, mais l’audace dont il fait preuve lui aura finalement plutôt nui qu’avantagé. Si on peut douter du choix d’Eric Bana dans le rôle titre, le reste de la distribution fait un excellent travail dans un film qui possède de bons comme de moins bons moments. Il faudra assurément un second visionnement pour outrepasser les transitions douteuses et la forme éclatée de son récit, pour ainsi accéder à la véritable tragédie qui se déroule en trame de fond, mais encore faut-il avoir le courage et l’ambition de replonger dans cet univers au final assez fade.

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