Le 72e Festival de Cannes regorge de films marquants. Aux côtés de Parasite, Once Upon a Time… in Hollywood, Les Misérables et Portrait d’une jeune fille en feu, Dolor y gloria (Pain and Glory) a fait considérablement jaser auprès des festivaliers. Avec son plus récent projet, Almodóvar nous livre son film le plus intime jusqu’à présent. Renouant avec ses acteurs et actrices fétiches, le réalisateur espagnol pose un regard introspectif sur sa carrière dans ce film méta alliant autobiographie et fiction.

Douleur et gloire

Salvador Mallo (un sensationnel Antonio Banderas) est l’un des réalisateurs les plus acclamés d’Espagne. Fort de plusieurs films iconiques, il voit l’un de ses premiers projets, Sabor, être restauré par la Cinémathèque. On lui propose alors de répondre aux questions du public avec Alberto Crespo (Asier Etxeandia), acteur principal du film. Les deux ne se sont cependant pas reparlés depuis le tournage du film, il y a plus de trente ans, sur une discorde concernant l’interprétation du personnage d’Alberto. Alors aux prises avec plusieurs problèmes de santé physique et morale, Salvador décide de confronter son ancien ami et d’enterrer la hache de guerre.

Les problèmes de santé du réalisateur l’amènent également à reconsidérer sa carrière et, plus encore, sa jeunesse, passée en grande majorité avec sa mère Jacinta (Penélope Cruz) dans un village reculé d’Espagne. On en apprend ainsi plus, à travers de multiples retours en arrière, sur la relation entre Salvador et diverses thématiques comme la religion, la famille, l’amour et l’art.

Il est difficile de ne pas voir en ce scénario une sorte d’introspection de la part d’Almodóvar. Avec ce film, on sent qu’il livre un mea culpa sur sa vie et sa carrière, à travers le personnage de Salvador. Dans la jeune soixantaine, Salvador est brisé physiquement et mentalement, bien qu’il demeure optimiste et veuille, un jour, réaliser un film à nouveau (ce que sa condition actuelle ne lui permet pas). On suit donc ce personnage à travers ses angoisses, ses addictions et son passé.

Banderas et Cruz, deux collaborateurs de longue date

Parlons de cette performance d’Antonio Banderas, saluée par la critique et sur la Croisette. Tout en fragilité, le jeu de Banderas est sobre, posé, et pourtant incroyablement puissant. Comme son personnage l’indique lui-même, le meilleur acteur n’est pas celui qui pleure, mais celui qui retient ses larmes. Cette phrase a probablement inspiré l’acteur espagnol dans sa performance, puisqu’à plusieurs moments la retenue dont il fait preuve face à sa situation est beaucoup plus efficace que s’il s’était effondré en larmes. Outre ces moments dramatiques, Banderas parvient à plusieurs reprises à nous faire rire, à travers ses mimiques et le constant sentiment de se sentir dépassé par les événements. C’est une performance tout à fait exceptionnelle, et on se réjouit de sa nomination comme meilleur acteur aux Oscars, fait rare pour un film de langue étrangère.

Les autres acteurs et actrices sont tout aussi efficaces. Du lot, Penélope Cruz est splendide encore une fois. Elle semble à tout coup offrir ses meilleures performances dans un film d’Almodóvar. Elle interprète avec dureté et amour Jacinta, menant une vie de sacrifices, mais qui veut à tout prix que son garçon ait un brillant avenir. Asier Etxeandia est également sublime dans le rôle d’Alberto, sorte d’acteur déchu héroïnomane. Bref, on a droit à une excellente distribution, menée d’une main de maître par Banderas.

L’un des meilleurs d’Almodóvar

Un film d’Almodóvar en est un très coloré. Dolor y gloria n’y fait pas exception. Des couleurs éclatantes de l’appartement de Salvador, on passe au blanc laiteux de sa maison d’enfance, blanc avec lequel la moindre couleur d’un mobilier ou d’un costume fait contraste. S’y ajoutent une superbe scène animée, narrée par Banderas, ainsi qu’un générique introductif avec en arrière-plan de l’acrylique liquide. Un vrai régal pour l’œil! La musique d’Alberto Iglesias est également excellente, bien que ce soit la chanson Come Sinfonia de la chanteuse italienne Mina qui nous reste le plus en tête.

Le réalisateur compte plusieurs bons coups dans son impressionnante filmographie. Depuis Mujeres al borde de un ataque de nervios (qui l’a révélé sur la scène internationale), se sont enchaînés les excellents Todo sobre mi madre, Hable con ella (Oscar du meilleur scénario), Volver, Los abrazos rotos et La piel que habito. Dolor y gloria s’élève aisément aux côtés de ces plus grands films d’Espagne. Almodóvar y juxtapose à merveille la beauté et la souffrance, l’amour et la haine, le sacrifice et la gloire. Il saura plaire aux jeunes et aux moins jeunes, mais aura un impact encore plus grand si vous avez 50 ans ou plus, à mon avis. Beaucoup de films faits par de grands réalisateurs ont jeté ce regard introspectif à travers leur propre carrière. Chaplin dans Limelight, Fellini dans 8 ½ et même Scorsese dans le récent The Irishman ne sont que quelques exemples de ce phénomène. Dolor y gloria mérite de s’élever aux côtés de ces chefs-d’œuvre. Sorti dans une année moins compétitive, il aurait aisément pu remporter l’Oscar du meilleur film international.

Fait partie du top 100 de Jade (#70).

Fait partie du top 250 d’Alexandre (#148).

Laissez un commentaire