Chang: A Drama of the Wilderness
Merian C. Cooper et Ernest B. Shoedsack sont mieux connus comme étant les créateurs du personnage de King Kong dans le classique éponyme de 1933. Un peu à l’image de l’explorateur Carl Denham qui découvrira Skull Island, Cooper et Shoedsack étaient eux aussi considérés comme des explorateurs en bonne et due forme. Deux films en particulier attestent de leur désir de mettre en image, au cours des débuts du cinéma, les territoires inexplorés, ou, du moins, jamais filmés auparavant : Grass: A Nation’s Battle for Life et Chang: A Drama of the Wilderness. Ces deux documentaires, sortis en 1925 et 1927 respectivement, explorent tour à tour des éleveurs iraniens en quête de pâturages et un village thaï en pleine jungle tentant de survivre face à la nature hostile. C’est Chang qui nous intéresse particulièrement ici, seul documentaire de l’histoire à avoir été nommé pour l’Oscar du meilleur film (à l’époque où il y avait deux catégories distinctes, l’une plus générale récompensant le meilleur film, la seconde pour le meilleur film artistique et unique, cette dernière pour laquelle Chang était en nomination).
Un peu à la manière de Nanook of the North, Chang est un documentaire en grande partie mis en scène. Il raconte l’histoire de la famille de Kru, membre d’une tribu de Siam (aujourd’hui la Thaïlande) et de son quotidien. L’angle de Cooper et de Shoedsack est de présenter la vie des habitants d’un village reculé de la jungle, une vie parsemée de dangereuses confrontations avec la nature hostile de la jungle (panthères, tigres et serpents, notamment). Assez sensationnaliste, le documentaire suit donc les villageois, qui doivent se préparer à la plus grande menace à laquelle ils n’ont jamais fait face : un troupeau d’éléphants. Après que ce troupeau a détruit le village, les habitants s’organisent pour prendre leur revanche sur la nature.
D’entrée de jeu, Chang n’est pas pour ceux et celles qui ne peuvent voir de la violence animale à l’écran. Comme il était souvent coutume à l’époque, plusieurs « rencontres » avec les animaux sauvages sont mises en scènes, et la sécurité de l’animal passe souvent après la sécurité des explorateurs, aussi téméraires qu’ils soient. Rassurez-vous, il n’y a pas vraiment de violence inutile et graphique, mais attendez-vous à voir de vrais animaux se faire abattre à coups de fusil, ainsi que certaines situations où ils sont attachés ou mis en captivité. Ceci étant, cette violence n’est pas, je le crois, un effort conscient des réalisateurs de martyriser inutilement les animaux, mais plutôt d’obtenir un produit cinématographique dynamique et inédit dont le respect de la nature est important, mais pas essentiel, ce qui n’excuse pas leurs agissements, mais qui témoigne de leur intention de faire découvrir une faune exotique, inaccessible et naturelle à un public américain. Et à ce niveau, c’est réussi.
Le tournage de Chang a dû être fascinant. Les réalisateurs y vont de quelques prouesses, comme un gros plan d’un tigre qui, selon toute vraisemblance, se frotte le museau sur la caméra, une scène où le troupeau d’éléphants fonce directement sur une caméra à ras le sol, puis qui détruit un village sur pilotis, ou encore plusieurs scènes comiques mettant en vedette Bimbo, le singe de la famille. Ce sont des scènes très simples, mais qui à l’époque étaient assurément difficiles à tourner, et toutes garanties d’impressionner le public. Assez court, Chang n’a pas le temps de nous ennuyer, et son fil conducteur, porté par de nombreux intertitres (son nombre était jugé indécent même à l’époque de sa sortie) vous tiendra investi. Le documentaire mise davantage sur l’émerveillement et moins sur le désir de faire apprendre quoi que ce soit au public, mais en remettant le film dans son contexte, c’est un fait que l’on pardonne aisément.
On comprend la présence de Chang dans la seconde catégorie « meilleur film » des Oscars, puisque c’est un film qui était véritablement unique à l’époque. Avec du recul, on a l’impression d’assister lentement mais surement à la genèse de King Kong, un sentiment qui nous habitait en partie lors du visionnement de The Most Dangerous Game également. Si Grass est peut-être davantage pertinent que Chang en ce qui a trait à l’histoire du cinéma, ce second projet de Cooper et Shoedsack a véritablement quelque chose d’exotique. Visionné aujourd’hui, il témoigne d’une époque où plusieurs régions du monde nous échappaient encore, et que seuls quelques téméraires explorateurs se risquaient à explorer.