Les récits de tueurs en série ont la cote depuis quelques années, au cinéma comme à la télé. Ils adoptent souvent la même construction, soit celle d’un enquêteur qui tente de freiner le meurtrier. Pour son premier long métrage de fiction, Vincent Le Port a décidé de faire autrement. Explorant les archives et documents médico-légaux de l’affaire Bruno Reidal (de son vrai nom Jean-Marie Bladier) colligés par le docteur Alexandre Lacassagne, la structure de la trame narrative tient ici davantage du roman que du scénario. Toutefois, la sordide histoire frappe juste, en partie parce que nous avons accès plus que jamais à la psyché d’un sociopathe obsédé par l’idée de tuer, mais surtout parce qu’on sait que les confessions qu’on entend sont bien réelles, et franchement troublantes.

Après avoir assassiné François Raulhac (Tristan Chiodetti), Reidal (Dimitri Doré) se rend aux autorités et avoue son meurtre. Alors en prison, il est interrogé par les docteurs Lacassagne (Jean-Luc Vincent), Papillon (Dominique Legrand) et Rousset (Antoine Brunel), qui le mandatent de rédiger ses « mémoires », de raconter sa vie le plus fidèlement possible. Sorte de psychanalyse avant l’heure, les écrits permettront de voir en Reidal un jeune homme troublé, chez qui l’envie de meurtre est imprégnée, et qui, à coup de masturbation et de dévouement religieux, a tenté le plus longtemps possible de réfréner ses pulsions, jusqu’au jour où il ne le pouvait plus.

Bruno Reidal pourra déconcerter son public par son approche froide et très textuelle, et s’avère, comme son titre l’indique, la confession d’un meurtrier. À travers l’exploration de son enfance, on apprend comment Reidal a vécu toute sa vie avec une obsession pour le meurtre, et on nous gave ni plus ni moins de toutes ses sombres pensées. Cette approche a de quoi choquer quand on constate l’extrême acuité dont il fait preuve sur son rapport envers la mort, qui peut rappeler à certains les voix-off de la série Dexter, mettant elle aussi de l’avant un sociopathe. La réalité s’immisce toutefois dans la fiction plus que dans aucun autre film du genre ici, et donne véritablement froid dans le dos.

La démarche de Le Port (et même quelques plans) n’est pas sans rappeler celle de Carl Theodor Dreyer dans La passion de Jeanne d’Arc, film qui allie aussi de vraies sources historiques à la fiction. Bruno, emprisonné, fait face à un « tribunal » formé d’experts, qui tentent de décortiquer ses motivations, son trouble psychosexuel. Ils essaient de trouver des réponses à une situation des plus atypiques, alors que Bruno, lui, a tout simplement cessé d’en chercher et s’en est remis aux écritures saintes pour réprimer ses pulsions.

Il est particulier de ressentir autant d’empathie envers un personnage aussi peu aimable, et, même si l’on indique clairement que son enfance tumultueuse – agression sexuelle, parents violents, etc. – n’y est pour rien dans ce désir insatiable de tuer, on ne peut s’empêcher de compatir quelque peu avec lui. Ce sentiment étrange qui nous habite nous rend inconfortable, inconfort rehaussé par de nombreuses scènes – tant graphiques que suggestives – que le réalisateur nous dévoile à travers ces longs retours en arrière. Il sera difficile de rester de marbre lors de la scène du meurtre, ou même lors des nombreuses séances de masturbation qui associent le plaisir à la violence. On s’approche du cinéma de Michael Haneke ici.

Il faut cependant avouer que Bruno Reidal n’est pas un chef-d’œuvre narratif. Condamné dès le départ par ses visées, le film adopte la narration à outrance, tenant davantage du livre audio que de la voix-off, ce qui pourrait rebuter ceux qui n’apprécient pas de se faire raconter au moment présent une scène que l’on est en train de voir. Cette omniprésence pourra donc agacer à l’occasion, mais les bénéfices dépassent les inconvénients : on a accès plus que jamais aux réflexions troublantes de notre protagoniste. Cette plongée au cœur de la psyché du sociopathe ne laisse peut-être pas autant place à interprétation qu’on l’aurait souhaité, mais amène néanmoins des réflexions intéressantes sur la maladie mentale, et sur la façon dont les experts la percevaient au tournant du 20e siècle.

Outre la caméra habile de Le Port et la signature visuelle délibérément fade, le film révèle le jeune Dimitri Doré, qui incarne parfaitement Reidal dans toutes ses contradictions. On sent son déchirement entre le fait de vouloir bien faire les choses et celui d’assouvir ses désirs, le tout de manière bien plus nuancée que celle dont on représente les Hannibal Lecter ou Dexter Morgan de ce monde. L’accent auvergnat est de plus rendu avec brio par la distribution et contribue au pittoresque des campagnes françaises.

Sans m’y attendre, j’ai été soufflé par Bruno Reidal et sa démarche méthodique quoiqu’originale avec laquelle on approche cette sordide affaire. Certes, le passé de Reidal peut paraître cliché, mais quand on se dit que le tout est inspiré d’un cas réel, soudainement, on comprend que l’on a devant nous justement l’origine de ces clichés. À vous donner la chaire de poule, le film ne vous laissera assurément pas indifférent, bien qu’il puisse déstabiliser un public plus habitué au format traditionnel d’un tel récit.

Le film prend l’affiche au Québec le 9 septembre 2022. Les images sont une gracieuseté de Maison 4:3.

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