Borat: Cultural Learnings of America for Make Benefit Glorious Nation of Kazakhstan
Sacha Baron Cohen a su s’imposer comme l’un des acteurs comiques les plus réputés de sa génération. Créant des personnages aussi déjantés qu’originaux, il parvient à piéger de nombreuses personnes – connues ou non – dans plusieurs de ses projets. Récemment, on a pu l’observer dans la série Who Is America? produite par Showtime, où cette fois il s’attaquait aux élus américains. Cohen a toutefois obtenu la consécration en 2006 avec Borat, ce phénomène mondial complètement inattendu. L’histoire du célèbre journaliste kazakhstanais venu faire un reportage sur les États-Unis a totalement séduit le public, et ce, malgré le nombre incalculable de blagues inappropriées. Pourquoi donc ce documenteur a-t-il été autant salué par le public et la critique? La réponse réside en quelque part au plus profond de l’identité américaine.
En tant que Canadien.e.s, on prend souvent un malin plaisir à observer de loin les tares qui divisent la société américaine depuis plusieurs décennies. Que ce soit par des épisodes de Last Week Tonight with John Oliver ou les documentaires de Michael Moore (Bowling for Columbine, Sicko), on ne peut s’empêcher de rire et de se désoler de l’idéologie utopique du rêve américain de la part de nos voisins du sud. Pourtant, on consomme leur culture presque plus que la nôtre, et on place toujours les États-Unis sur un piédestal au niveau des avancées technologiques ou du succès de ses hommes d’affaires. Ce pays fait rayonner sa culture aux quatre coins du globe, et influence un très grand nombre de personnes en leur présentant des idéaux particulièrement illusoires. Ces idées ont apparemment atteint le Kazakhstan, puisque Borat (Cohen) et son producteur Azamat (Ken Davitian) sont mandatés pour réaliser un reportage sur le « meilleur pays au monde », projet qui tournera rapidement en une traversée de l’Amérique lorsque Borat tombe amoureux de Pamela Anderson. Les deux entreprennent alors une virée folle qui les amènera à rencontrer un grand nombre d’Américain.e.s, dont la plupart ne sont pas reluisant.e.s…
L’une des raisons qui font de Borat un succès réside dans son style documentaire très bien exécuté, qui nous fait constamment nous demander le niveau de mise en scène par rapport à l’improvisation. Ce qui est le plus drôle, ce sont les interactions de Borat avec différents intervenants, et non les quelques moments qui font avancer la trame narrative (à l’exception peut-être d’une scène très graphique d’un combat entre Azamat et lui). Dans son périple, il rencontre tour à tour un groupe de féministes, des politiciens et des cowboys, puis visite un « bed’n’breakfast » tenu par des Juifs et finalement une famille de religieux assez aisée. L’Amérique est vaste et donne lieu à plusieurs sous-catégories de sa population, toutes aux points de vue politique et social différents. Le résultat est un portrait assez caricatural (et très déprimant, souvent frustrant) d’un pays divisé. Ajoutez à cela des blagues antisémites (de mauvais goût, mais pleinement assumées par Cohen, lui-même Juif) et la crainte des terroristes, et vous avez la recette d’un film particulièrement marquant qui transgresse le politiquement correct. Cela ne plaira assurément pas à tout le monde.
Entendons-nous bien. Borat n’est pas conçu pour un public plus conservateur, qui fait la promotion du racisme ou de l’importance du 2e amendement (même si le personnage de Cohen s’inscrirait dans ce type d’auditoire). Il n’est pas non plus pour ceux et celles qui détestent l’humour provocateur, encore moins l’humour reposant sur les malaises. Il est plutôt pour un public averti des sujets politiques et sociaux, qui adore voir des intervenant.e.s plus ou moins influent.e.s se faire placer contre leur gré dans des situations où leur intégrité est en jeu. Certains parviendront à conserver un certain décorum, d’autres non, et c’est ce qui fait tout le succès du film. Vu aujourd’hui, il y a une certaine plus-value à connaître le contexte particulier des États-Unis de 2006, alors en pleine guerre en Irak et, surtout, une Amérique post-11 septembre. Lorsqu’on possède toutes ces clés, on ne peut tout simplement pas concevoir que Cohen soit parvenu à créer ce petit bijou unique en son genre.
J’ai probablement davantage apprécié tous mes visionnements du film en raison de mon plaisir malsain envers l’humour noir. C’est le seul type d’humour qui parvient à véritablement me faire rire aux éclats, et donc pour moi Borat est la quintessence des comédies. Chaque fois que je le revisionne, je me surprends à rire de chaque blague aussi fort que la première fois que je les ai entendues, ce qui est assez rare pour une comédie, habituellement très ancrée dans le temps présent. Il y a peut-être quelque chose de déprimant et de dérangeant à voir qu’en 2020 la polarisation de la population américaine ne s’est pas améliorée et qu’elle s’est même détériorée, si telle chose est possible. Quel adon alors que de voir la suite des aventures de Borat arriver cette année, en pleine campagne électorale, alors que Cohen a pourtant toujours dit qu’une suite serait impossible en raison de la trop grande popularité de son personnage. Si la pertinence d’un second opus reste à voir, force est d’admettre que les problématiques que soulève ce premier film ne sont toujours pas réglées quinze ans plus tard.
Il est clair que Borat ne revendique pas, comme le ferait un documentaire de Michael Moore, un changement sociétal. Certes, il met en images les pires comportements imaginables, mais au final le film se veut plus polarisant qu’autre chose. Il conforte en quelque sorte un public plus libéral dans ses opinions, alors qu’il se met à dos tous les conservateurs. On comprend que le but est ici de faire rire, ce qui fait que l’on pardonne ce constat. De même, les personnes visées sont souvent peu ou pas connues, ce qui nous fait par moments nous faire sentir mal à l’aise pour les intervenant.e.s. À cet égard, Who Is America? se veut beaucoup plus engagé, puisqu’il ne s’attaque qu’à des élus ou des personnes assez influentes. Quoi qu’il en soit, le film demeure un document précieux, non pas pour comprendre pourquoi l’Amérique en est arrivée là, mais bien pour capter le « zeitgeist » des années 2000. C’est, je le crois, le véritable legs (et l’exploit) de Borat. Et quel exploit!
Vous constaterez que je ne suis pas entré beaucoup en détails dans les situations présentées à l’écran. Je préfère que ceux et celles qui ne l’ont jamais vu puissent bénéficier d’un certain élément de surprise. Toutefois, on retrouve tous les codes d’une comédie classique (à saveur politique), mais aussi du documenteur (mockumentary), à la This Is Spinal Tap ou Popstar. Mais sans Sacha Baron Cohen, ce film n’est rien. Ses talents d’improvisation, de personnification et de comédie innés le font s’élever dans une classe à part. Certes, ses projets suivants (Brüno, The Dictator) n’auront peut-être pas été à la hauteur des attentes, mais il a créé quelque chose de particulier avec Borat, qui demeurera dans l’imaginaire collectif du public (et des élus) pendant de nombreuses décennies.
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