De nos jours, très peu de gens peuvent affirmer qu’ils n’ont pas vu Titanic de James Cameron. Ce grand classique a égalisé le record de Ben-Hur du plus d’Oscars (11) en plus de demeurer au sommet du box-office mondial pendant plus d’une dizaine d’années (il sera finalement délogé par un autre film de Cameron, soit Avatar, puis par le plus récent Avengers : Endgame). Si le fameux naufrage a été largement porté à l’écran, c’est cependant A Night to Remember de Roy Ward Baker qui en sera la représentation la plus fidèle, jusqu’à ce que la découverte du navire soit faite en 1985 et que Cameron, avec ces nouvelles informations et une meilleure technologie, puisse en faire une version plus réaliste. Ce film, aujourd’hui dans l’ombre de son grand frère, mérite toutefois qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour les prouesses techniques dont il fait preuve pour l’époque.

Nul besoin de retracer en détail le synopsis du film, qui consiste évidemment en la collision entre le Titanic et un iceberg dans l’Atlantique Nord. On peut cependant mentionner que le film, après une cérémonie d’inauguration d’un navire de croisière tirée d’archives visuelles (non pas du lancement du Titanic lui-même, duquel aucune vidéo n’existe, mais plutôt du Queen Elizabeth inauguré en 1938) entre tout de suite dans le cœur du sujet. Après une vingtaine de minutes, le navire a heurté l’iceberg, et le film est centré sur les mesures de sauvetage, déficientes, réalisées par l’équipage. On constate dès lors deux éléments qui diffèrent considérablement de la version de Cameron. On observe beaucoup plus en détails, d’abord, les communications qu’a le Titanic avec deux autres navires à proximité : le Carpathia et le Californian. Le premier, à plusieurs miles de distance, répond à l’appel de détresse lancé par le croisiériste. Le second, à 10 miles seulement, n’y répond pas, notamment parce que l’opérateur des communications est parti se coucher. Ensuite, on ne suit pas de personnages en particulier dans cette version. Il n’y a donc pas de Jack et Rose, même si on suit de loin certains personnages, qui ne sont jamais approfondis. On pourrait croire que le Second Officier Charles Herbert Lightoller (Kenneth More) est mis plus de l’avant, puisque c’est lui qui pilote les mesures de sauvetage. Toutefois, il n’a pas le temps de caméra nécessaire pour clairement l’identifier comme le personnage principal, malgré que son nom apparaisse en premier à l’ouverture du film.

Plusieurs raisons pourraient expliquer ce choix de la part de Baker (ou du scénariste Eric Ambler). D’abord, on a voulu se concentrer davantage sur les cafouillages entourant le naufrage que sur les passagers du bateau de croisière. Ce faisant, on jongle entre l’équipage du Titanic, du Carpathia et du Californian, avec un accent particulier mis sur le premier, évidemment. Ensuite, on a peut-être voulu demeurer fidèle au livre du même nom de Walter Lord sur lequel le film est basé. Il est lui-même inspiré des témoignages de survivants du naufrage, que Lord a colligés dans cet ouvrage au cours des années 1950. Enfin, la proportion du budget alloué aux effets spéciaux aurait pu empêcher l’embauche d’acteurs et d’actrices britanniques connu.e.s, qui auraient nécessité un plus grand approfondissement de leurs personnages. Certes, More est bien connu des planches britanniques, mais il est loin d’être l’un des acteurs les plus connus de l’époque (il jouera par la suite dans The Longest Day et Scrooge, notamment). Les autres acteurs du film sont également relativement inconnus sur la scène internationale. Est-ce que cette absence de personnages forts fait en sorte que A Night to Remember est un moins bon film que Titanic? Oui, et non.

En fait, on se désole à la première heure de ne pas avoir de personnage à qui se rattacher. On alterne entre plusieurs d’entre eux, sans toutefois qu’ils ne nous fassent vivre quoi que ce soit. Chacun des dialogues sert à faire avancer le film, et on sent clairement que le but de Baker est de nous en mettre plein la vue avec ses effets spéciaux. Ça fonctionne, mais on ne ressent pas pleinement, à mon avis, l’urgence de la situation. Ce problème se résorbe un peu dans la seconde moitié du film. Plus le navire accentue son inclinaison, plus la panique se fait ressentir auprès des passagers et de l’équipage. On commence alors à percevoir la détresse sur plusieurs visages de personnages qu’on avait aperçus précédemment, mais dont on ne connait pas le nom. Cette détresse est très crédible, et parfois touchante. Notons un moment où un homme, alors qu’on lui interdit d’embarquer sur le bateau de sauvetage, décide d’y monter tout simplement, et que le garde, sentant son désespoir, fait comme s’il ne l’avait pas vu. Ou encore cette scène où l’architecte du Titanic, en voyant un jeune couple célébrant leur lune de miel, leur donne des conseils sur comment survivre après le naufrage, car il sait qu’il n’y a pas assez de bateaux de sauvetage pour tous les passagers. Il y a enfin cette belle scène, reprise plan par plan dans la version de Cameron, où l’orchestre du navire joue de la musique sur le pont, à la fois pour calmer les passagers et pour mourir en faisant ce qu’ils aiment le plus au monde. Ces quelques segments, tous présents dans la 2e heure du film, sont particulièrement touchants et nous gardent pleinement investis.

Quelques mots sur les prouesses techniques que je vante depuis plusieurs lignes déjà. Les décors et le navire sont habilement reproduits, même si on sent bien évidemment qu’on observe une maquette. Ce qui impressionne peut-être plus est la constance d’un plan à l’autre concernant l’inclinaison du Titanic. À cet égard, notons que le scénario présentait page par page l’angle du navire, assurant ainsi cette cohésion. C’est une méthode toute simple, mais qui ajoute de l’authenticité au visuel du film. Il faut noter également que le navire ne se sectionne pas en deux comme dans Titanic, notamment puisqu’on n’avait pas retrouvé à l’époque l’épave du navire qui permit de constater cet élément. Toutefois, les décors, notamment le pont, sont particulièrement réussis, à la hauteur de la version de James Cameron en considérant l’époque de chacun des films. Il faut le voir pour admirer pleinement le souci du détail qui habite l’équipe de A Night to Remember.

Beaucoup préfèrent la version de 1997 du film, alors que d’autres, qui boudent cette version pour diverses raisons, en préfèrent la version de 1958. Pour notre part, Titanic nous semble plus complet que son prédécesseur, notamment avec l’approfondissement de ses personnages et du temps qu’il prend à présenter la vie de croisière avant le naufrage. A Night to Remember est loin d’être un mauvais film, mais on sent une certaine redondance à suivre pendant 2 heures ce naufrage et rien d’autre. Il demeure néanmoins très impressionnant techniquement parlant, et mérite d’être visionné, qu’on soit familier avec l’histoire du Titanic ou non!

Fait partie de la Collection Criterion (#7).

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