Dans l’un des premiers exemples de faux doublage au cinéma, What’s Up, Tiger Lily?, premier long métrage de Woody Allen, adopte un objectif intéressant : et si l’on changeait les dialogues et le montage d’un film de langue étrangère pour lui faire raconter toute autre chose? Avec la popularité des Bad Lip Reading sur YouTube ou, au Québec, des vidéos de follerie.com, on sait de nos jours que c’est un concept efficace et qui a fait ses preuves, et son utilisation par Allen témoigne de son flair comique, mais également les limites de ce style d’humour.

Parodiant le film d’origine intitulé International Secret Police: Key of Keys, une sorte de James Bond japonais, le récit s’intéresse à l’agent secret Phil Moskowitz (Tatsuya Mihashi), embauché par le dirigeant d’un pays en devenir (le Rashpur) pour récupérer une recette de salade aux œufs qui deviendrait la spécialité nationale pour ainsi légitimer son existence et sa reconnaissance de par le monde. La recette a été dérobée par le gangster Shepherd Wong (Tadao Nakamaru), et son rival, Wing Fat (Susumu Kurobe), tente lui aussi de se l’approprier. Fat et Moskowitz devront donc s’unir s’ils veulent espérer atteindre le coffre-fort qui contient la fameuse recette.

S’il est vrai que de nos jours ce concept est assez commun (surtout dans de courtes capsules web), il s’avérait assez original à l’époque. Allen, qui a toujours trouvé comique la post-synchro déficiente des films internationaux doublés en anglais, décide ici de s’amuser avec le tout et de faire d’un film sérieux une comédie. Et ça marche, du moins pour plusieurs scènes absurdes qui nous fait vraiment nous questionner sur la qualité du film d’origine.

L’humour et le divertissement sont au rendez-vous, et si certaines scènes traînent en longueur, l’ensemble est globalement assez intéressant pour qu’on y adhère. Cependant, le concept s’essouffle quelque peu dans un format long métrage (même d’une durée de seulement 77 minutes), ce qui nous fait comprendre pourquoi les faux doublages ont davantage été utilisés par la suite dans un format beaucoup plus court. Il est évidemment difficile de proposer une histoire suffisamment intéressante lorsqu’on doit agir selon les limites du matériel d’origine (bien qu’Allen y ait ajouté quelques scènes le mettant en vedette), mais les codes bien définis du genre de film d’espionnage – infiltration, trahison, sexe, alcool et jeux de hasard – en font un récit relativement universel déjà assez risible pour que les blagues visent juste.

Dans l’ensemble, What’s Up, Tiger Lily? est franchement amusant, mais il n’invite pas à la réécoute. Il s’apprécie mieux comme une intéressante expérience qu’une comédie à part entière. Les blagues y sont souvent faciles, jouant sur quelques stéréotypes sur les asiatiques, ou encore sur le fait que le film laisse supposer qu’il se déroule en Amérique – avec sa musique country signée The Lovin’ Spoonful – alors que la distribution est presque entièrement japonaise. Je suis peut-être bon public, mais j’ai trouvé le tout plutôt drôle, et même les blagues qui tombaient à plat ne nuisaient pas à mon expérience.

Désavoué par Allen plusieurs années après sa sortie, What’s Up, Tiger Lily? demeure néanmoins un film qui vaut la peine d’être visionné, ne serait-ce que pour son aspect comique innovant. La facilité des blagues minera probablement un subséquent visionnement, mais le film est suffisamment saugrenu pour qu’on veuille regarder le matériel d’origine, qui semble quasiment autant absurde que sa version comique. Ce n’est assurément pas un aussi solide scénario que ce à quoi Allen nous a habitué dans de subséquents long métrages, mais c’est le genre de film qui tient davantage du projet entre amis, plus intéressant à voir pour comprendre comment il a influencé d’autres faux doublages par la suite que pour son produit final.

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