Le britannique Nicolas Roeg est assurément l’un des réalisateurs les plus méconnus de l’histoire. Ses films, qui mettent souvent en vedette des stars musicales (David Bowie, Mick Jagger et Art Garfunkel, entre autres) sont souvent passés inaperçus du grand public. Toutefois, son visuel idiosyncratique et son style narratif caractérisé par l’usage d’un montage désorientant aura influencé de nombreux autres réalisateurs plus connus, comme Christopher Nolan, Danny Boyle et Steven Soderbergh. En fait, Roeg est un maître de la caméra. Débutant sa carrière comme directeur photo sur Lawrence of Arabia, Doctor Zhivago (il devra cependant quitter en raison d’un conflit créatif avec David Lean) et Fahrenheit 451, son premier film, Performance (dont il est coréalisateur) ne connaîtra pas le succès escompté. Il se fait alors proposer la réalisation de A Clockwork Orange, qu’il refuse pour se lancer dans un projet qui le hante depuis longtemps : Walkabout. S’il serait facile aujourd’hui de juger que cette décision lui aura coûté la gloire, force est d’admettre qu’il a tout de même accompli un travail incroyable avec son premier vrai film en solo. Et surtout, on se demande à quoi aurait ressemblé le grand classique du cinéma dystopique avec Roeg à la réalisation!

Walkabout, c’est avant tout un roman initiatique très important en Australie. Il y possède là-bas la même renommée que Lord of the Flies mondialement. L’histoire se campe dans l’Outback australien. Une jeune adolescente (Jenny Agutter) et son frère (Luc Roeg, le fils du réalisateur), vivant à Adelaide, vont dans le désert avec leur père (John Meillon) pour y faire un pique-nique. Puis, comme en transe, le père décide de tirer sur ses enfants, avant de mettre le feu à sa voiture et se suicider. Les enfants, étant parvenus à se cacher derrière un gros rocher, se retrouvent cependant en plein milieu du désert, sans savoir où aller pour retrouver la « civilisation ». La jeune adolescente guide ainsi son frère au sommet de montagnes pour tenter d’apercevoir un quelconque signe de vie, en vain.

Après quelques jours sans eau et nourriture, ils trouvent une oasis. Ils s’y arrêtent, seulement pour constater que l’eau a disparue le lendemain. Heureusement pour eux, un aborigène (David Gulpilil) en train de faire son « Walkabout » – sorte de rite de passage à l’âge adulte où un jeune doit passer 6 mois dans le désert sans mourir – vient leur indiquer comment trouver de l’eau dans le désert. Les trois forment alors un groupe, deviennent même une sorte de famille (un père, une mère et un jeune garçon) et déambulent ainsi pendant plusieurs semaines.

Ce genre de récit est assez classique, et on serait en droit de s’attendre à un film traditionnel de l’aborigène qui vient en aide aux deux jeunes blancs, dépourvus de tout moyen dans un environnement hostile. Toutefois, c’est la façon dont Roeg présente le tout qui fait de Walkabout un excellent film. Adoptant un style quasi documentaire, il suit ses protagonistes de loin, sans jugement quelconque, et il semble vouloir observer comment ses personnages vont se débrouiller dans cet environnement qu’ils ne connaissent pas. Vont-ils adapter leur mode de vie bourgeois à celui de l’aborigène pour survivre? Vont-ils se plaire dans ce nouveau mode de vie, et bouder leur ancien? Quelle relation va se créer entre les deux jeunes et l’aborigène? Le film apporte quelques pistes de réponse (que l’on ne vous dévoilera pas, bien évidemment), mais laisse aussi beaucoup de place à interprétation.

Le montage, dans ce film comme dans plusieurs autres de Roeg, est ce qui frappe le plus dès le départ. Très saccadé, il juxtapose à plusieurs moments des images fortes de contraste entre les deux modes de vie assez présents en Australie, soit celui des aborigènes et celui des villes. Si cela peut sembler trop évident par moments, d’autres juxtapositions sont plus subtiles, notamment celle où des aborigènes « jouent » avec la carcasse de la voiture en flamme alors que les deux jeunes « jouent » dans les arbres. Chacun tâte des éléments de l’univers de l’autre, mais s’en désintéresse assez rapidement. Un autre élément de contraste évoqué par Roeg est la dualité entre la vie et la mort. Les deux jeunes, en plein désert, se sentent seuls au monde. Ils perçoivent leur environnement comme vide, sans vie. Roeg, lors de ces moments, ajoute des images de type documentaire où l’on voit des animaux qui habitent l’Outback, qui sont sur leur territoire. Pas toujours subtiles, mais fortes en significations, ces scènes ajoutent une profondeur d’analyse impressionnante à Walkabout. On ne peut pas, en un seul visionnement, comprendre toutes les symboliques, notamment celles se rattachant à la religion.

Un autre aspect marquant du film est son visuel magnifique. Roeg, en tant qu’ancien directeur photo, sait parfaitement jouer avec la lumière, l’environnement et ses personnages pour créer des plans magnifiques (comme en témoigne la pochette de l’édition Criterion du film, d’ailleurs). Certes, j’ai eu droit à la version restaurée du film, mais on doit admettre qu’il a cette vision incroyable d’esthétisme. La musique, quant à elle, est signée du légendaire John Barry (la plupart des James Bond, Dances with Wolves) et allie musique traditionnelle (menée par le didjeridoo) et musique radiophonique populaire (du Rod Stewart, notamment). Cela accentue évidemment le contraste que veut présenter Roeg tout au long du film.

Walkabout est un film qui est venu toucher mes cordes sensibles. J’aime ces films où les personnages déambulent dans des environnements sublimes en tentant de retrouver leur chemin, voire de survivre. Cela rappelle un peu Into the Wild, Cast Away ou encore 127 Hours. Mais c’est également un film qui va au-delà de l’histoire et qui doit se vivre. C’est un film qui, dès sa conclusion, m’a donné envie de le visionner de nouveau, ne serait-ce que pour tenter de percer tous ses mystères et ses symboliques. C’est un grand film qui frôle la perfection et qui vous plaira évidemment plus si vous aimez ce genre de thématiques.

Fait partie de la Collection Criterion (#10).

Fait partie du top 100 de Jade (#27).

1 commentaire

  1. La Collection Criterion (#1-10) – Ciné-Histoire sur juillet 21, 2020 à 3:56 am

    […] cinéma. En fait, mes trois films préférés sont La Belle et la Bête, Amarcord et Hard Boiled (Walkabout se qualifiant pour une très solide et serrée 4e place). Nous avons déjà exposé nos […]

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