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Un gros buzz médiatique entoure The Whale depuis sa première à la Mostra de Venise en septembre dernier, notamment quant au retour marqué de Brendan Fraser dans un premier rôle d’envergure. Si tous saluent l’incroyable performance de l’acteur, nombreux ont critiqué le regard peu flatteur posé par Darren Aronofsky (Requiem for a Dream, Black Swan) sur le personnage principal du film, souffrant d’obésité morbide, ainsi que l’utilisation d’un fatsuit pour le personnifier. Ces critiques sont-elles fondées? Cela témoigne au moins du fait que le réalisateur new-yorkais parvient, encore une fois, à choquer et polariser le public, comme il l’a fait à de nombreuses reprises dans le passé.

Inspirée de la pièce de Samuel D. Hunter (qui signe également le scénario), on y suit Charlie (Fraser), un professeur de littérature anglaise aux adultes qui, depuis plusieurs années, enseigne virtuellement à ses étudiants. En fait, il ne sort jamais de chez lui, en partie en raison de sa condition physique, en partie parce que, depuis la mort de son conjoint Alan, Charlie est en dépression. Il est reclus dans son appartement miteux, bien qu’aidé par la sœur infirmière de son défunt conjoint, Liz (Hong Chau). Après qu’il apprend n’avoir que très peu de temps à vivre, il décide de renouer les liens avec sa fille Ellie (Sadie Sink), maintenant âgée de 17 ans, qu’il n’a pas vue depuis 9 ans.

Plusieurs facteurs font que j’ai possiblement davantage aimé The Whale que la plupart des personnes qui le visionneront. D’abord, parce que j’adore l’œuvre d’Aronofsky, iconoclaste, qui fait rarement un cinéma accessible et facile à regarder. Favorisant souvent des personnages principaux brisés vivant au quotidien avec diverses problématiques (d’addiction, de vieillissement ou d’identité), il parvient toujours à créer des films uniques qui font vivre une expérience viscérale au public. Ce nouveau projet, peut-être plus sobre que ses précédents, peut également entrer dans cette catégorie, en exploitant la fascination de plusieurs personnes envers le morbide et le sensationnel.

Malheureusement, plusieurs risquent de passer à côté de l’essence du film. En surface (et ce à quoi je m’attendais, au vu de la filmographie d’Aronofsky), The Whale donne l’impression d’un film portant sur l’addiction, non pas à une drogue, mais à la nourriture en général. Et on pourrait par moments donner raison à une telle interprétation, surtout quand on nous montre Charlie avoir de la difficulté à se lever de son divan, se laver, et s’empiffrer de poulet frit, de pizza et de sucreries, un peu comme on observerait une bête de foire. On est toujours à mi-chemin entre l’empathie et l’incompréhension, divisé entre le prendre en pitié et avoir envie de le sermonner. Dans ces brefs moments, j’ai trouvé qu’Aronofsky perdait de vue le thème central de son récit : la dépression.

Car c’est bel et bien cette dernière qui est la colonne vertébrale du film. La dépression, et, davantage, la façon dont elle nous isole des autres. Charlie, à la mort d’Alan, sombre dans son trouble alimentaire, puisque c’est sa manière de refouler ses émotions. Cela devient toutefois avec le temps sa façon de se suicider, de se faire du mal à petit feu, une alternative aux antipodes de celle de son conjoint qui, lui, a tout simplement cessé de se nourrir. L’histoire m’a beaucoup fait penser à Leaving Las Vegas dans son traitement du personnage principal qui, consciemment, se laisse sombrer dans un vice, ne voyant aucune avenue possible à sa situation. Que ce soit l’alcoolisme, la drogue ou, ici, l’alimentation, la dépression fait ressortir ce qu’il y a de pire en nous, qu’on le veuille ou non.

Ce qui choque peut-être davantage dans The Whale que dans les autres films similaires – et ce que plusieurs critiques lui ont reproché -, c’est que les ravages causés par un trouble alimentaire sont souvent plus visibles que ceux causés par l’alcool ou la drogue. Et c’est là où Aronofsky a possiblement creusé sa propre tombe : ce que plusieurs percevront comme étant une fascination morbide envers une anomalie humaine, ce n’est en fait qu’une observation des ravages de la dépression. Et j’ai senti que le réalisateur a parfois raté son approche, si je me fie aux réactions de la salle lors du visionnement. Lorsque Charlie fait une « rechute » en apprenant qu’il va prochainement mourir, il se gave de chocolat en recherchant « insuffisance cardiaque congestive » sur Google, et tout de suite les « tsk » et les « voyons! » ont fusé des spectateurs alors qu’ils roulaient des yeux. Idem quand, passé près de s’étouffer avec un morceau de viande d’un sandwich, Liz, après l’avoir sauvé, lui redonne son sandwich, ou encore dans la scène finale, censée être édifiante pour Charlie, la salle a fortement réagi à ses pieds disproportionnés. Ces réactions, sans toujours manquer d’empathie, étaient en partie moqueuses et moralisatrices, comme si le public pensait que Charlie ne se rend pas compte qu’il se fait du mal.

Elles auraient assurément été moins excessives si appliquées à une détérioration par l’alcoolisme, à mon avis, car c’est un fléau grandement médiatisé et que plusieurs personnes ont côtoyé de près ou de loin. Mais c’est fort probablement pour éviter ce genre de réaction que Charlie s’est, au fil du temps, replié sur lui-même, et ce, malgré l’aide inconditionnelle de Liz, qui comprend sa maladie et qui n’est jamais moralisatrice. Notons d’ailleurs au passage qu’Aronofsky, pour mettre l’accent sur cet isolement, campe l’entièreté du récit dans un appartement, adopte un ratio 1.33:1, cadre toujours Fraser en gros plans, et tamise au possible l’éclairage.

The Whale n’est pas non plus parfait, en témoignent les visées par moments manquées du réalisateur dans sa représentation de Charlie, tout comme certains dialogues dirigistes, superflus et convenus. Il y a tout un pan de l’histoire qui s’intéresse à Thomas (Ty Simpkins), un religieux qui essaie de faire amendes honorables, qui semble forcé. De même, le personnage de Charlie n’est pas toujours crédible avec ses vues souvent plus positives sur le monde, qui le rendent certes attachant, mais qui contrastent avec son présumé état dépressif. Ceci dit, comme plusieurs l’ont souligné, Fraser fait un excellent travail pour rendre son personnage nuancé, tout comme Sink qui, dans sa grossièreté, parvient à ajouter une touche de sensibilité. Chau est également une belle surprise, tout comme Samantha Morton, authentique. Dans l’ensemble, sa morale est plus bénéfique que néfaste, même si elle tend au mélodrame. C’est un film polarisant qui fera possiblement parler de lui pour les mauvaises raisons, mais qui mérite qu’on s’y intéresse pour sa représentation de la santé mentale (invisible) et des incidences qu’elle peut avoir sur la santé physique (visible).

Les images sont une gracieuseté d’Entract Films.

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