Dans les années 1940, Billie Holiday est une chanteuse afro-américaine aux influences jazz déjà bien établie sur la scène musicale américaine. Le public, autant blanc que noir, vient la voir chaque soir alors qu’elle performe dans de nombreux cabarets à travers le pays. Quand on lui demande de chanter son plus controversé succès ‘Strange Fruit’, qui compare le lynchage de Noirs par pendaison dans les arbres à des fruits qui se font bercer par le vent, le FBI décide de s’en prendre à l’artiste en l’épinglant plutôt pour consommation de narcotiques, craignant surtout que la chanson fasse naître une guerre civile. The United States vs. Billie Holiday s’intéresse donc en parts égales à la vie tumultueuse de la chanteuse, au rôle de ‘Strange Fruit’ dans le mouvement des droits civils et finalement à la chasse du département des narcotiques pour arriver à coincer l’artiste.

Les films biographiques sont généralement construits de la même façon. On retrouve la personne sur qui se centre le film au « présent », peu importe où se situe ce dernier, et on retourne ensuite par de nombreuses scènes dans le passé du protagoniste expliquer comment on est en arrivé à la scène d’ouverture du film. On apprend ainsi quelles ont été les influences derrière le moment culminant de la carrière de l’artiste, en passant par les hauts de la gloire et les bas de la consommation, des chicanes de familles, des vies de couple malheureuses ou tout autre événement notable. Dès l’ouverture de Billie Holiday, le FBI est sur le point de monter sur la scène pour l’amener alors qu’elle s’apprête à chanter ‘Strange Fruit’ à la demande d’une femme dans l’assistance. Ainsi, on peut s’attendre à ce que le film porte sur le symbolisme derrière la chanson (on n’a pas entendu les paroles à ce moment), mais ce n’est pas tout à fait vrai.

En effet, le film alterne entre les narcotiques et la chanson comme prétexte pour arrêter Holiday, si bien que lorsqu’on entend parler de consommation pour la première fois, on se demande si le tout ne serait pas une invention du département pour légitimer le fait d’enfermer la chanteuse en raison des paroles de sa chanson, car l’argument semble sortir de nulle part pour le spectateur qui n’a aucune raison de croire en une dépendance au départ. Évidemment, si la vie de l’artiste ne vous est pas inconnue, alors le fait qu’elle consommait régulièrement de l’héroïne ne devrait pas vous surprendre non plus. Lorsqu’on a compris que l’enjeu de la consommation existe bel et bien, on se demande ensuite pourquoi s’acharner sur la chanson si le motif qu’on tente de faire passer pour le principal est légitime.

On spirale ainsi pendant une bonne partie du film, s’indignant au passage des mêmes injustices qu’on a vues maintes fois avant. À l’hôtel, Billie ne peut pas monter à bord de l’ascenseur principal et doit passer par celui réservé aux employés, caché de tous. Pourtant, le public l’adore et même les femmes des agents du FBI sont heureuses de venir la voir en spectacle. La chanson, quant à elle, fait naître des envies de révolution au sein de la communauté afro-américaine, qui ne cesse de demander à l’artiste de la chanter. De l’autre côté, on essaie de l’empêcher de performer, car les paroles (qui décrivent des actions des blancs sur les noirs) créent des malaises chez les blancs. Finalement, sans grande surprise, on apprend que Billie avait une mère prostituée qui a tenté (avec succès?) de la faire emprunter la même voie alors qu’elle n’était qu’une enfant. À l’âge adulte, voilà qu’elle se retrouve dans des relations amoureuses et sexuelles où la violence conjugale est une habitude et où les hommes qu’elle fréquente sont aussi ses gérants qui conservent une trop grande part de ses cachets au passage.

Cela dit, ce ne sont pas ces quelques aspects que l’on retient le plus du film, mais bien son scénario décousu et confus et l’absence d’une motivation claire. Billie se fait finalement amener en prison où on lui rappellera qu’elle n’est pas différente des autres détenus… puis elle sort. Elle recommence à performer, alors qu’elle n’a pas de permis pour ce faire, puis elle part en tournée dans des états où celui-ci n’est pas obligatoire. Le FBI étant (encore) à ses trousses, on demande à l’agent Jimmy Fletcher (Trevante Rhodes) de la suivre pour la prendre sur le fait en pleine consommation. Alors que Billie devrait être méfiante de celui qui l’a livrée la première fois, elle accepte qu’il suive le bus de tournée et ne dit rien quand il assiste à une séance de piquerie, alors que tous les autres membres du groupe ont des réticences tout à fait légitimes. La relation entre la chanteuse et l’agent à ce stade-ci nous semble tout aussi inintéressante que le propos du film.

Lorsque le visionnement est terminé, on a appris que ‘Strange Fruit’ a été nommée meilleure chanson du siècle en 1999 par le magazine Time, et qu’elle fait partie de nombreux palmarès des chansons les plus influentes. On sait aussi qu’elle a été à la base du mouvement des droits civils, par des textes sur fond noir avant le générique. Mais le film n’adresse pas de front ces aspects, se perdant quelque part entre deux seringues. Ainsi, on peut se demander quel message on tente de faire passer ici, car toutes les injustices qui nous sont présentées l’ont été dans de nombreux autres films avant, et pour un film qui met en son centre une chanson, il semble qu’on passe bien peu de temps en compagnie de celle-ci. On apprend aussi qu’un projet de loi condamnant le lynchage avait été lancé dans les années 1960, sans passer. Un second essai a revu le jour quelques décennies plus tard et, nous dit le texte, n’a pas encore été approuvé. Au final, on ne peut passer sous silence la brillante performance d’Andra Day dans le rôle titre et sa voix envoûtante, mais force est de constater que ce n’est assurément pas suffisant pour que le film laisse une bonne impression durable après le visionnement.

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