Avant Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, il y avait John Woo, et plus globalement le cinéma d’action d’Hong Kong des années 1970 et 1980. L’un des films les plus influents de ce genre est assurément The Killer (喋血雙雄). Connu pour ses scènes d’action chaotiques, son image stylée, des histoires à la Mexican standoff (mettant en scène des situations où aucune des deux parties ne peut en ressortir pleinement victorieuses), ses ralentis et ses allusions au wuxia (genre cinématographique sur des héros d’arts martiaux chinois), Woo saura affirmer son style en Asie, avant de faire le saut à Hollywood au cours des années 1990 et 2000. Il connaîtra un certain succès avec Broken Arrow et Face/Off, mais aussi quelques échecs comme Mission : Impossible 2. On peut retrouver plusieurs éléments utilisés pour ces films dans ses films hong-kongais comme Bullet to the Head et les deux A Better Tomorrow, mais surtout dans The Killer, qui propulsera sa carrière sur la scène internationale.

L’histoire suit le tueur à gages Ah Jong (Chow Yun-fat) alors qu’il effectue ce qu’il croit être son dernier contrat pour l’une des triades d’Hong Kong. Au cours de sa mission, une fusillade éclate en plein bar, et Ah Jong, à cause de l’éclat de son fusil, aveugle accidentellement une chanteuse qui s’y trouvait, Jennie (Sally Yeh). Rongé de remords, il se lie d’amitié avec elle dans le but de lui payer une opération qui pourrait lui rendre la vue. Pour trouver l’argent nécessaire, il décide d’accepter une dernière mission, qui évidemment tournera au vinaigre. Il est pourchassé par Li Ying (Danny Lee), un détective du service de police. Parvenant à le retrouver par l’entremise de Jennie, Ying s’aperçoit que Jong est pourchassé par des membres de la triade, et tous deux décident de s’allier pour tenter de défaire l’organisation criminelle.

C’est un scénario qu’on a l’impression d’avoir vu plusieurs fois, avant ou après la sortie de The Killer. Les deux ennemis qui s’allient contre un ennemi commun et pour sauver une femme en danger, c’est assez classique. Toutefois, on ne visionne pas ce film pour l’histoire, mais plutôt pour les scènes d’action complètements éclatées. Et on est servis! Les coups de fusils et les explosions s’enchaînent avec une rapidité et une fluidité que seul Woo pouvait diriger. Cela impressionne encore plus lorsqu’on voit que la plupart des scènes sont improvisées, et que toute l’équipe utilisait de vraies armes à feu (avec des balles à blanc, tout de même). Le tournage était cacophonique, au grand dam de l’équipe et des résidents à proximité! On retrouve dans The Killer plusieurs thématiques religieuses (Woo étant un catholique pratiquant) que l’on retrouvera également dans quelques-uns de ses films américains. La colombe, et plus généralement la dernière fusillade dans une église, sera reprise en grande partie dans Face/Off.

Le film s’inscrit assurément dans un renouveau du cinéma d’Hong Kong. Bien que de styles différents, Woo, Ang Lee et Wong Kar-Wai, notamment, vont réaliser des films dans les années 1990 qui influenceront une toute nouvelle génération de cinéastes hollywoodiens, en plus de faire le saut eux-mêmes aux États-Unis à un moment ou un autre de leur carrière. Pour Woo précisément, il parvient à modeler un genre déjà très présent en Chine (le cinéma d’action, mais très influencé par les films d’arts martiaux) et à l’exporter à travers le monde. Il faut toutefois convenir que c’est une sous-catégorie du cinéma d’action qui a plutôt mal vieilli. Les ralentis voulant représenter des durs à cuire ou une attitude « cool » est désormais tellement utilisé dans les parodies et les films à petits budgets (mais différents des films de genre) que lorsqu’on en voit dans un film sérieux, on ne peut s’empêcher de les trouver risibles. Il est également très difficile de prendre au sérieux la panoplie de symboliques quétaines qu’on peut retrouver dans des films de Jean-Claude Van Damme ou Steven Segal, mais qui sont également présentes dans The Killer.

En fait, la ligne est difficile à tracer entre un film de genre et un film qui s’assume pleinement. On pourrait croire que les malaises causés par ces quétaineries sont voulues, mais on ne peut en être sûr. Au moins, dans les films d’exploitation américains des années 1970, on savait qu’on était dans un univers où le divertissement passe avant tout. Ici, on n’en est jamais certain, et j’ai toujours tendance à prendre un film plus au sérieux qu’il ne l’est vraiment. Ce faisant, le cinéma de genre n’est pas mon favori, puisque j’ai beaucoup de difficulté à éprouver du plaisir lorsqu’un film ne se prend pas au sérieux. Des réalisateurs comme Tarantino et Rodriguez, à mon avis, sont parvenus à créer du cinéma de genre accessible et (relativement) crédible et qui parviennent à m’atteindre. John Woo, avec The Killer, n’y est pas arrivé pour ma part.

Cela étant, si on le considère comme un so bad it’s good, on peut vraiment tirer profit de ses scènes d’actions éclatées. Bien que je ne sois pas certain qu’il faille le placer dans cette catégorie, j’ai toutefois plus apprécié mon expérience en le considérant comme tel. Je prenais ainsi plus de plaisir à suivre l’évolution de l’alliance entre Ah Jong et Li Ying et les situations rocambolesques dans lesquelles ils étaient placés. Il faut mettre la « switch à off », du moins dans mon cas. Ce n’est qu’à partir du moment où j’ai accepté le ridicule des situations que je me suis mis à pleinement profiter de mon expérience. Peut-être qu’on me lancera quelques pierres en affirmant mon peu d’amour envers le cinéma de genre, mais tous les goûts sont dans la nature, et je suis pour ma part autant diverti dans un drame lourd sur un divorce que dans un film d’action déjanté. Que voulez-vous!

Fait partie de la Collection Criterion (#8).

Fait partie des 1001 films à voir avant de mourir.

1 commentaire

  1. La Collection Criterion (#1-10) – Ciné-Histoire sur juillet 24, 2020 à 12:46 am

    […] The Killer de John Woo […]

Laissez un commentaire