Quel film troublant et émouvant que The Father, première réalisation du dramaturge français Florian Zeller, qui aborde la perte de la mémoire chez les personnes âgées. Ce sujet difficile quoique pertinent n’est assurément pas pour tous les publics, mais si la lecture de la prémisse de base ne vous angoisse pas, vous vous devez de visionner ce film qui est possiblement le meilleur de l’année. Atteint de la maladie d’Alzheimer, Anthony (Anthony Hopkins) provoque le départ de son infirmière à domicile. Sa fille Anne (Olivia Colman), chez qui il habite, s’apprête à lui trouver une remplaçante, ce à quoi son père s’oppose vertement. Or, la maladie gagne du terrain et Anthony perd prise sur la réalité. Est-il dans son propre appartement londonien ou chez Anne? Celle-ci est-elle divorcée ou vit-elle encore avec son mari (Rufus Sewell)? Et qu’en est-il du projet de sa fille d’aller s’installer en France avec son nouvel amoureux? La succession de ces épisodes de confusion pousse Anne à sérieusement considérer de placer son père dans une institution.

J’avoue d’entrée de jeu être biaisé sur plusieurs des éléments du film, à commencer par son impressionnant tandem. Hopkins est selon moi le meilleur acteur de sa génération, peut-être même de l’histoire du cinéma. Chacune de ses performances est mémorable, et celle-ci ne fait pas exception. Il sait chaque fois combiner à merveille son talent et sa physionomie pour construire un personnage crédible envers lequel on est rapidement empathique et attaché (et ce, même quand il interprète Hannibal Lecter!) L’acteur de 83 ans semble au sommet de sa forme en livrant une performance à la fois fragile et puissante. Le secret d’une interprétation authentique est souvent dans les détails, et la minutie de Hopkins transparait justement dans ces petits gestes, anodins en temps normal, mais qui prennent toute leur importance ici. Vous ne regarderez jamais plus votre montre de la même façon après avoir vu ce film.

Colman, découverte au grand public dans The Favourite il y a quelques années, est également très touchante dans son interprétation sobre mais authentique d’Anne. Habituée à des rôles de personnages étranges et atypiques, elle nous démontre l’étendue de son talent une fois de plus ici. Elle nous transmet en peu de mots toute une gamme d’émotions qui témoignent de la détresse de son personnage, une détresse que nous vivrons tous à un moment ou l’autre dans nos vies. Combinée à une solide distribution secondaire qui inclut Rufus Sewell, Mark Gatiss et Imogen Poots, les performances de Hopkins et Colman sont véritablement mémorables.

Leur interprétation n’est cependant rien sans un scénario extrêmement bien ficelé. Zeller, qui le co-signe avec Christopher Hampton, nous propose certes un drame habile, mais par moments le film verse pratiquement dans le suspense, tant en raison de son montage non linéaire qu’avec ses multiples revirements de situations. L’objectif ici n’est pas de raconter une simple histoire familiale, mais de nous plonger dans l’univers d’Anthony et sa confusion quotidienne. Les habiles et subtils changements de décors (et parfois d’acteurs) nous donnent le tournis et nous rappellent de ne jamais rien tenir pour acquis du long des 90 minutes du film. Vous essaierez, tout comme le personnage principal, d’établir une certaine linéarité des événements, mais vous perdrez le cap rapidement. Vous ressentirez la détresse d’Anthony vous-même, et ce tour de force émotif est exceptionnel. Zeller est un habitué du théâtre, mais il nous démontre qu’il est capable de transposer habilement le tout au grand écran. Ses prochains projets sont assurément à surveiller.

The Father parvient à nous sensibiliser face aux enjeux de la maladie d’Alzheimer en nous plaçant dans les souliers du principal intéressé, et peut-être en incitera-t-il certains à être davantage empathique envers ceux et celles qui en sont atteints, mais je ne crois pas que ce soit foncièrement l’objectif du film. On ne nous dit pas « prenez soin de vos parents quand ils seront vieux », ni « les institutions pour personnes âgées sont inadéquates et inhumaines », ni même « vivez à fonds tant que vous le pouvez ». L’intention est plutôt d’observer comment une personne en particulier parvient (ou non) à vivre avec sa maladie, et les répercussions que celle-ci peut avoir sur sa famille. Mais surtout, c’est de proposer un drame non conventionnel et mémorable, une expérience sensorielle sobre et déroutante.

Tel que mentionné en introduction, The Father ne s’adresse pas à tout le monde, malgré son inévitable universalité. Sa relative simplicité et son incroyable efficacité témoignent d’une expertise totale de tous les artisans qui ont collaboré à l’élaboration du film. Plusieurs films ont abordé ces thématiques auparavant, mais très peu ont su marquer durablement leur public au même titre que ce film le fera. Il s’agit peut-être de la dernière grande performance d’Anthony Hopkins, mais bon, plusieurs avaient dit cela pour The Two Popes l’an dernier. Qui sait ce qu’il a encore à nous offrir!

Fait partie du top 250 d’Alexandre (#76).

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