Le studio d’animation Pixar a fait une entrée fracassante dans la vie des spectateurs avec Toy Story en 1995. Au-delà d’une technique d’animation 3D qui rehaussait nettement les dessins qu’on s’était habitués à voir jusque-là dans les films de Disney, Pixar a présenté la vie de jouets qui prenaient vie quand leur propriétaire quittait la pièce. Les thématiques et aventures présentes dans ce film, avec leur touche de suspense, de thriller et d’humour ont donc changé la donne dans le vaste monde des films d’animation. Depuis ce premier récit charmant à souhait, le studio n’a cessé de se réinventer en suggérant des histoires qui plairaient à la fois aux enfants et aux adultes, sans nécessairement être exclusivement des comédies. Après Inside Out qui proposait de rendre visite aux émotions qui habitent une préadolescente après un déménagement, Coco a abordé la mort dans le contexte de la mythologie mexicaine, familiarisant les enfants du même coup avec le jour des morts (Dia de Los Muertos). Troisième film consécutif de Pixar qui traite de la mort (à l’exception de Toy Story 4), Soul nous amène plutôt dans l’avant et l’après notre vie sur Terre, en rendant hommage aux petites choses qui forment notre quotidien et qui peuvent parfois le changer sans qu’on s’en rende compte.

Joe (Jamie Foxx) est un aspirant musicien de jazz contraint d’enseigner la musique au secondaire, faute de succès. Le tout est sur le point de changer toutefois, quand il reçoit un appel d’un ancien élève qui lui propose de venir auditionner pour Dorothea Williams (Angela Bassett), saxophoniste de renom. Après un premier contact prometteur, Joe se prépare à revenir jouer devant public le soir même, mais tombe dans une bouche d’égout et se retrouve sur un tapis roulant le menant vers l’au-delà (« the Great Beyond »). N’étant assurément pas prêt à s’éteindre définitivement, Joe réussit à s’échapper et atterrit dans un vaste champ où les âmes naissent et doivent trouver leur passion avant d’arriver sur Terre. On le confond rapidement avec un mentor, ces âmes qui doivent prendre sous leur aile les nouveaux afin de les aider à trouver leur « étincelle », et on le jumèle à 22 (Tina Fey), qui a déjà été en apprentissage avec Marie-Antoinette, Carl Jung, Abraham Lincoln, Marie Curie, Copernic, Mère Thérésa, Georges Orwell et une multitude d’autres, qui ont tous échoué leur mandat. Alors que 22 n’a aucune envie de vivre et que Joe ne pense qu’à revenir, les deux échafaudent un plan pour que 22 obtienne sa passe de vie et la remette à Joe afin que celui-ci retrouve son corps. Ce qui semblait une idée simple se complique quand les compagnons tombent dans un passage vers la Terre et se retrouvent dans la chambre d’hôpital de Joe, 22 ayant pris possession du corps de ce dernier, et Joe du chat de thérapie sur son lit.

Soul s’inscrit dans la lignée des films d’animation qui traitent de sujets difficiles. On présente ici la mort, mais aussi et surtout la vie, et ce que ça signifie d’être vivant. Les nouvelles âmes se font toutes assigner une personnalité et doivent se trouver une passion dans la salle d’exploration, qui regroupe tout ce qui est humainement possible de faire : cuisine, science, astronomie, art, sport, tout y est! Alors que 22 ne démontre de l’intérêt pour rien, c’est lorsqu’elle arrive sur Terre dans le corps de Joe qu’elle comprend que les émotions rattachées aux expériences humaines ne peuvent se ressentir dans la salle d’exploration. Alors qu’il est impossible de sentir et goûter quoi que ce soit dans la salle, Joe donne une pointe de pizza à 22 et celle-ci découvre rapidement le plaisir de manger. De même, 22 s’émerveille du vent et des feuilles qui tombent des arbres, du goût des friandises chez le coiffeur, d’un trajet de métro et des gens qui chantent aux stations (Cody ChesnuTT, dont la voix ressemble à s’y méprendre à celle de John Legend).

Et si ce n’était pas assez de poésie, Joe, coincé dans le corps du chat de thérapie qui lui a été assigné à l’hôpital, ne peut plus communiquer avec les autres (sauf 22), et doit donc écouter ce qu’ils ont à dire à son sujet. S’ensuivent des scènes particulièrement touchantes où « Joe » livre un message crève-cœur à sa mère qui désapprouve ses choix de carrière, de même que le passage chez le coiffeur, où 22 s’entretient avec celui-ci et apprend, contrairement à ce que lui a dit Joe, que l’ambition première du barbier était de devenir vétérinaire. Joe réalise alors qu’il n’a jamais pris le temps de vraiment écouter ce que son entourage avait à lui dire, et parallèlement à 22 qui découvre « la vie », l’homme se remet en question sur la sienne. Ajoutons à cela la magnifique représentation de « la zone », l’endroit où vont les gens qui sont captivés par l’activité à laquelle ils s’adonnent, sorte d’endroit-état où flottent les âmes et qui se trouve à deux pas de son opposé, l’endroit où se retrouvent cette fois les gens qui ont perdu le goût de vivre, et où les âmes errent sans but. Alors qu’on retrouve dans la zone un joueur de basketball qui s’apprête à faire un panier, une actrice de théâtre qui livre le « Oh Roméo! » et une tatoueuse absorbée par ses lignes, les âmes perdues sont celles qui n’arrivent pas à se détacher de leurs angoisses et obsessions (l’exemple qui nous est donné est un employé de Wall Street).

Soul est avant toute chose un film hautement philosophique, comme en témoignent les thématiques qui y sont abordées. Au-delà de la sensible réflexion qui est au cœur de son récit, on appréciera la représentation des détails de la vie quotidienne (Joe, dans le corps du chat, chasse un reflet de lumière sur le mur sans comprendre pourquoi) de même que la façon avec laquelle on a imaginé comment sont déterminées les passions et assignées les personnalités. Si l’omniprésence du bleu et rose pourront venir à agacer notre œil dans l’au-delà, on salue tout de même l’attention qui a été accordée aux détails ici. Les « employés » de l’endroit, tous nommés Jerry (sauf le comptable, Terry), ressemblent à des esquisses de Picasso et n’ont pas de corps, alors que la vie à New York est hautement définie et démontre encore une fois tout le savoir-faire de Pixar. À ce titre, il sera étonnant de voir que les personnages semblent moins réels que les décors dans lesquels ils évoluent.

Il peut être difficile de trouver le public auquel s’adresse le film. Les tout-petits ne comprendront pas les multiples références (notamment lorsqu’on nomme les anciens mentors de 22), et ils ne trouveront probablement pas leur compte dans la représentation de l’au-delà non plus. Cependant, pour un public un peu moins jeune, Soul est un récit d’une délicate poésie qui fait assurément réfléchir tout en nous ramenant aux bases de ce que ça signifie de vivre.

Pixar n’a plus besoin de faire ses preuves en tant que studio d’animation. Ses histoires conjuguent des thématiques parfois étonnantes (on ne peut pas faire plus surprenant qu’un film pour enfants qui parle de la mort), tandis que l’animation est toujours de plus en plus fidèle à la réalité. Dans ce cas-ci, l’expérience est presque parfaite, si ce n’est de quelques raccourcis scénaristiques dans le troisième acte. Si le titre du film se veut un jeu de mots sur le style musical et ce que Joe traversera dans son mentorat avec 22, il est d’autant plus justifié quand on constate qu’en un peu plus de 90 minutes, le récit a grandement réussi à parler à notre âme à nous aussi. Après nous être posé des questions sur nos propres choix de vie, on ressort du visionnement avec une impression de grande force tout en étant particulièrement léger, prêt à tout conquérir.

Fait partie des 1001 films à voir.

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