Cette critique contient des spoilers.

Dans les dernières années, les films nous emmenant dans les dessous de la Silicon Valley ont été nombreux. On compte d’abord non pas une mais bien deux bios de Steve Jobs au cinéma, la première avec Ashton Kutcher en 2013, moins convaincante auprès des critiques et du public, et la seconde avec Michael Fassbender en 2015, qui s’est mérité deux nominations aux Oscars. De même, The Internship nous a présenté humoristiquement les beaux côtés d’un emploi chez Google, et The Social Network s’est concentré sur l’aspect plus sombre de la montée au pouvoir de Mark Zuckerberg.

La série Silicon Valley, qui paraît en 2014 sur les ondes de HBO, conjugue efficacement les meilleurs aspects de ses prédécesseurs en nous entraînant dans le monde de Richard Hendricks (Thomas Middleditch) et de son algorithme révolutionnaire de compression de données qui, avec un financement adéquat, pourrait changer la donne au niveau du stockage. En six saisons, les spectateurs ont suivi les nombreux combats de la compagnie Pied Piper, de ses débuts dans le modeste garage d’un bungalow à son établissement parmi les géants de la vallée. Se rendre là, toutefois, a été toute une aventure.

Dans la première saison, Richard, Gilfoyle (Martin Starr), Dinesh (Kumail Nanjiani) et Nelson « Big Head » Bighetti (Josh Brenner) logent chez Elrich Bachman (T.J. Miller), un homme d’affaires qui a fait fortune avec la compagnie Aviago et a depuis mis sur pied un incubateur de start ups à même sa maison. Sans surprise, chacun des codeurs travaille à sa propre application mobile qui, l’espèrent-ils, pourrait révolutionner le monde des technologies. En parallèle, Richard et Big Head sont employés de Gavin Belson (Matt Ross) chez Hooli, dont les similarités avec Google sont avouées dès le départ. Comme tout bon épisode pilote, celui de Silicon Valley ne perd pas de temps à exposer l’élément déclencheur de la série, et on se retrouve rapidement entraînés dans un monde de choix éthiques et d’embûches professionnelles, en tentant de ne pas perdre de vue un mince espoir de réussir.

Lorsque Richard présente son application à des collègues, ceux-ci réalisent rapidement que l’algorithme de compression des données est la véritable mine d’or de ce que le codeur est en train de créer. Et puisque l’assistant de Gavin, Jared (Zach Woods), était présent lors de cette découverte, le mot parvient aux oreilles du patron en moins de deux. De son côté, Richard a déjà présenté son application à Peter Gregory (Christopher Evan Welch), ancien partenaire d’affaires de Gavin Belson qui est à la tête de Raviga, une compagnie d’investissement qui voit instantanément le potentiel de l’algorithme. Richard se fait donc offrir dix millions de la part de Belson pour acheter son concept, et 200 000$ pour 5% de sa compagnie par Gregory. Après une crise de panique qui le mènera chez le médecin, le fondateur de Pied Piper décide d’accepter l’offre de Raviga, s’étant fait convaincre par l’assistante de Peter Gregory, Monica (Amanda Crew), et ainsi commence la guerre entre la compagnie de compression de données et son principal rival, Gavin « fucking » Belson.

La première saison de la série se concentre donc sur les débuts de Pied Piper et les nombreuses tentatives de Richard de bâtir son application, alors que Belson tente de percer le secret de l’algorithme de son côté pour réduire à néant les espoirs du jeune codeur. Ayant accepté le financement de Raviga, Richard doit présenter un plan d’affaires à Gregory, qui a investi dans l’idée, certes, mais aimerait savoir exactement ce qu’il a acheté. Les colocs abandonneront rapidement leurs applications respectives pour aider leur ami à réussir, accompagnés par Monica qui guidera les garçons dans toutes les étapes du processus. N’oublions pas non plus Jared, l’assistant de Gavin Belson, qui quitte son emploi et sa position envieuse chez Hooli pour se rallier à l’équipe et faire profiter Richard de son expertise dans le monde des affaires.

À partir du premier épisode, les trois premières saisons présentent sensiblement les mêmes enjeux. Pied Piper impressionne tout le monde, bat des records de compression de données en atteignant le plus haut score Weissman jamais enregistré (la série a inventé un indicateur pour rendre compte de l’efficacité de la compression, et, évidemment, Pied Piper réussit à battre le déjà impressionnant 2,9 de Gavin Belson avec un 5,2) lors de la Disrupt Tech Crunch à la fin de la première saison. Alors que l’équipe est présentée comme la plus talentueuse ayant jamais existé, les combats qu’elle mène seront toujours plus fallacieux. Dès le moment où l’idée de Richard est présentée au monde, plusieurs compagnies se lancent dans la même voie. On rencontre ainsi beaucoup de joueurs de ce monde fictif, allant des petites compagnies aux géants tels que Hooli. Alors qu’on croit que les patrons veulent investir dans la start up, on réalise rapidement qu’on se fait avoir, et les trahisons sont chose commune ici. Ainsi, pendant l’essentiel des trois premières saisons, on suivra Pied Piper et sa grande difficulté à obtenir du financement stable, mettant des bâtons dans les roues de Richard pour développer son application.

C’est là où Silicon Valley convaincra, ou non. Il faudra énormément de patience pour espérer voir Pied Piper réussir à s’établir solidement. Entre les poursuites et les nombreux changements à la table des actionnaires, les tout aussi nombreuses propositions d’acquisition et de partenariat, les hauts et les bas que la série présente feront appel à notre résilience et on se sentira tout à fait interpelés par les défis qu’affronte l’équipe, en ayant hâte, toutefois, que la situation se stabilise. De savoir si l’écriture de ces aventures est une force ou une faiblesse revient donc à chaque spectateur. Certains trouveront que les thèmes sont répétitifs, d’autres qu’ils représentent bien le quotidien d’un jeune entrepreneur. Elon Musk et Bill Gates se sont aussi prononcés à ce sujet, pour avouer que le portrait qu’on fait ici est tout à fait crédible, mêmes si Gates est d’avis que les grosses compagnies (Hooli, dans ce cas-ci) ne sont pas aussi inaptes qu’on le laisse croire dans la satire… avant d’admettre aussi qu’il est tout à fait biaisé dans cette opinion.

Ainsi, l’idée qu’on se fait de la série et notre sentiment d’attachement pourraient changer du tout au tout dès la quatrième saison. Si on trouve que l’intérêt réside dans l’adversité que Richard rencontre, alors on sera servi dans les trois premières saisons, pour ensuite tourner en rond dès la quatrième. À partir de ce moment, la compagnie existe, le logo a déjà été transformé plusieurs fois et le financement est bien présent. Lorsqu’ils ont réussi à faire leur nom avec la compression, Richard et ses amis se lanceront dans d’autres avenues, notamment une plateforme de clavardage vidéo, et ultimement un Internet décentralisé, nouvelle façon de voir la navigation en ligne sans collecter les données des utilisateurs (rendue possible grâce à l’algorithme) et qui endommagerait les Google, Facebook et Amazon de ce monde.

En ce qui me concerne, et bien que ce ne soit pas une opinion qui semble populaire, j’ai eu énormément de plaisir à suivre les développements de Pied Piper quand la compagnie s’est véritablement ancrée dans le paysage de la vallée. Avant la quatrième saison, les thématiques se sont répétées d’un épisode à l’autre et on savait qu’à chaque moment heureux suivrait un désastre. Chaque pas en avant était suivi de deux pas en arrière, et même si cette idée représente bien l’adversité qu’on rencontre lorsqu’on essaie de se lancer en affaires, il m’a semblé nettement plus intéressant de suivre « l’après » de Pied Piper. Lorsque tout est bel et bien démarré, on se transporte dans des locaux tels qu’on imagine ceux de compagnies de ce type, sur des étages immenses avec des murs de briques, où les collations sont gratuitement offertes aux employés, où les salles de conférence sont vitrées et où on travaille tantôt sur un canapé, tantôt dans une salle d’innovation dont les murs sont des tableaux blancs.

Mais, quelque part dans les trois dernières saisons, je me suis surprise à me demander quel serait le prochain noyau auquel Pied Piper serait confrontée. En fait, c’est une idée qui a tellement fait son chemin dès le départ, qu’il a été plutôt déstabilisant de réaliser qu’il y avait peu de défis « après ». Déstabilisant, certes, mais grandement satisfaisant aussi. Gavin Belson est bel et bien l’antagoniste principal de la série, mais même le fondateur de Hooli a ses limites, pour notre plus grand plaisir.

Silicon Valley repose en grande partie sur l’écriture. Le spectateur qui ne baigne pas dans les codes informatiques à longueur de journée pourra y trouver son compte, pour autant qu’on aime l’environnement qui nous est présenté. Et l’environnement, ici, est particulièrement attachant en raison des personnages qui le composent. L’équipe originale de la compagnie est composée de quatre hommes complètement différents et stéréotypés que l’on aimera suivre, même si on pourra trouver – avec raison – qu’il manque d’évolution dans leur personnalité pendant six ans. Richard est le jeune entrepreneur anxieux et sujet aux crises de panique qui le mèneront toujours vers le bureau de son médecin, personnage récurrent dans la série et dont le rôle s’apparente davantage un celui d’un psychologue qu’un docteur. Gilfoyle et Dinesh sont présentés comme les meilleurs de leurs domaines respectifs, et passent l’essentiel de leur temps à se contredire l’un l’autre pour notre plus grand plaisir. Zach Woods dans le rôle de Jared reprend le même genre de personnages qu’on lui connaît (The Office, Avenue 5) en cet assistant ultra performant et socialement étrange. Big Head, qui revient sporadiquement au fil de la série, n’a aucun talent, ne comprend même pas ce qu’on attend de lui dans le cadre de ses fonctions et, pourtant, se retrouve toujours à des positions plus importantes. À cet effet, un collègue chez Hooli lui dira, dans ce qui est l’une des meilleures façons de le traduire « do you have any skill at all? Other than magically failing your way to the top. » Finalement, si certains pourront trouver le personnage de T.J. Miller intéressant et ne pas adhérer à son départ presque inexpliqué au milieu de la série, d’autres y verront l’occasion pour Pied Piper d’aller plus loin, maintenant que l’énergie étrange (et trop criarde) d’Elrich n’y est plus.

Au terme de ses six saisons, Silicon Valley aura donc présenté des thématiques pointues parfois diffciles à saisir pleinement, mais en s’assurant d’une manière ou d’une autre que son auditoire soit récompensé, que ce soit par les personnalités charismatiques de ses personnages ou l’expansion de la compagnie pour laquelle on ne veut que du bien depuis l’épisode pilote. Si on peut retrouver dans l’épisode final une construction à laquelle on a été habitués notamment avec The Office ou Parks and Recreation, l’épisode documentaire prenant place 10 ans plus tard est une parfaite conclusion aux aventures de Richard. Le chemin pour se rendre là a été tout sauf simple, et une certaine nostalgie nous habitera certainement dès le visionnement terminé. À travers son ton humoristique et satirique, la série fait un excellent travail pour présenter cette réalité fantastique qui donne assurément envie, même si, parfois, elle donne plutôt envie de vomir.

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