La vague de dénonciations #metoo visant à dénoncer des inconduites sexuelles à travers le monde a fait naître une conversation difficile et importante il y a quelques années, surtout au sein de l’industrie télévisuelle et cinématographique. Difficile, parce que les gens qui subissent ces actes non désirés doivent revisiter un passé douloureux pour obtenir ne serait-ce qu’une ombre de justice que n’offre pas le système judiciaire actuel, mésadapté. Difficile encore, parce que ces mêmes personnes deviennent des cibles faciles à discréditer. Faites attention à ne pas publier sur les réseaux sociaux une photo où vous avez trop bu, cela pourrait se retourner contre vous un jour! Faites attention à ne plus jamais porter des vêtements que l’on pourrait juger comme incitant à des gestes répréhensibles. Et ne flirtez surtout pas sans avoir l’intention d’aller plus loin. Bref, plusieurs sujets chauds et controversés qu’il faut adresser si on espère un changement de mentalité. Importante, également, parce que pour une grande partie des accusations, le jugement sera défavorable pour les victimes, dans un système judiciaire largement handicapé qui ne veut pas porter atteinte à la réputation des accusé.e.s et qui fait de la présomption d’innocence l’un des concepts de droit les plus fondamentaux.

Promising Young Woman s’inscrit dans cette volonté de vouloir exposer un cas qui s’est assurément produit à de nombreuses reprises sur les campus américains. Nina étudiait en médecine, était la meilleure de sa promotion, a trop bu à une fête, et on a abusé d’elle. Sept ans plus tard, sa meilleure amie Cassie (Carey Mulligan), s’est jurée de rendre justice à toutes les filles qui subissent, soir après soir, des situations similaires. Chaque semaine, elle se rend dans un bar où elle feint avoir trop bu, et accepte de se faire ramener par n’importe quel « gentil gars » qui le lui proposera. Quand elle leur dit d’arrêter leurs inévitables avances, sans succès, elle révèle être totalement sobre et… on ne sait pas exactement ce qui se passe par la suite.

Lorsqu’elle croise Ryan (Bo Burnham), un ancien étudiant de sa cohorte, Cassie, qui a abandonné ses études après l’incident, part à la recherche de tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l’événement. Elle contactera donc d’abord une ancienne collègue de classe, Madison (Allison Brie), qui n’a pas voulu croire les filles quand elles ont accusé Al Monroe (Chris Lowell), le meilleur étudiant de leur groupe. « If you have a reputation for sleeping around, then maybe people aren’t going to believe you when you say something’s happened. Crying wolf. », dira-t-elle à une Cassie qui ne peut en croire ses oreilles. Puis, elle se rend ensuite voir la doyenne (Connie Britton) de l’université (celle qui a écarté le cas pour ne pas nuire à la carrière d’Al, maintenant brillant médecin et fierté du collège) sous prétexte qu’elle veut reprendre ses études, en lui torturant plutôt l’esprit quand elle lui apprend que sa propre fille est au même moment seule dans une chambre avec plusieurs garçons et de l’alcool, sans moyen de communication. Ses visites la mèneront également à l’avocat d’Al Monroe (Alfred Molina), encore hanté par le cas. À travers chacune des personnes qu’elle rencontre, Cassie en apprendra davantage sur le troublant événement et tentera de rendre justice à Nina, jusqu’à se retrouver à l’enterrement de vie de garçon d’Al, dans une ultime tentative de rendre justice à son amie.

À la manière du mouvement dans lequel il s’inscrit, Promising Youg Woman fait lui aussi naître les conversations. Il est particulièrement difficile de demeurer assis bien sagement sur son siège lors du visionnement, car le film parvient à faire son chemin sournoisement dans nos perceptions de ce que l’on considère comme éthique. La mission de Cassie est « noble », si on peut lui attribuer ce qualificatif. Mais dans un système qui refuse de faire son travail pour ne pas gâcher la vie des accusé.e.s, comment peut-on parvenir à contrer ces abus sexuels, qui pendant ce temps continuent de se perpétuer? D’un côté, la doyenne de l’université explique qu’elle est bel et bien désolée de la tournure des événements (quoiqu’elle ne soit pas au courant de ce que Nina est devenue), mais elle écarte rapidement même l’idée d’avoir pu aller de l’avant avec l’accusation, car il y a des dizaines de rapports de ce type chaque mois sur le campus. Et si à ce moment-là on est déjà découragés de seulement entendre ces paroles franchir les lèvres d’une personne en situation d’autorité, vous serez bien plus malaisés par la suite du récit. Madison boit beaucoup au dîner de retrouvailles avec Cassie, jusqu’à ce que cette dernière simule une situation de viol auprès de son ancienne amie. À son réveil, ne sachant pas s’il s’était passé quelque chose avec ce mystérieux étranger (n’ayant plus aucun souvenir puisqu’elle avait bu), Madison se torture l’esprit jusqu’à ce que Cassie lui offre des réponses, plusieurs jours plus tard. En fait, tous les personnages qu’on rencontre ici ont une position soutenue jusqu’à ce qu’ils se retrouvent dans des circonstances hors de leur contrôle, et réalisent ce que cela fait d’être placés dans la peau de la victime. Cassie, chaque fois, est tiraillée entre la satisfaction et le malaise, tout comme les spectateurs d’ailleurs.

Au-delà de cette vengeance, Cassie poursuit ses aventures de justicière chaque semaine et il est encore plus difficile de regarder ces moments que ceux de la trame principale. Car n’importe quelle fille s’est déjà retrouvée dans une situation semblable, à échelles variées. Si certains sont plus doux, la majorité des hommes qu’elle rencontre se font d’abord gentlemen, pour perdre leurs moyens par la suite quand ils voient que la jeune femme est totalement sobre. Alors qu’ils disaient au départ ressentir une connexion profonde avec elle, leur discours change du tout au tout et ils n’hésitent pas à l’insulter froidement, rappelant aisément des phrases qu’on a déjà entendues dans les histoires d’accusations des dernières années. De « la plus belle fille qu’ils n’ont jamais vue« , Cassie devient rapidement à leurs yeux une folle-hystérique-psychopathe. Et les hommes, eux, s’autoproclament de bonnes personnes, martèlent qu’ils n’ont rien fait de mal, etc. Alors pourquoi réagir ainsi, me demanderez-vous? Dans la même veine, Cassie se fait siffler par des travailleurs de la construction (cliché, je sais), et elle décide de les fixer de l’autre côté de la rue au lieu de continuer à marcher, pour recevoir un nouveau flot d’insultes quand elle prend la décision de les confronter au lieu de seulement accepter leurs commentaires.

Promising Young Woman est donc rempli de ces petits moments inconfortables, qui peuvent arriver à faire prendre conscience à l’auditoire de la réalité des femmes en général. Car les situations ici, bien qu’elles soient hautement romancées, sont tout à fait crédibles. Il est difficile de séparer le bien du mal dans le film, car chaque personnage est un mélange bien homogène des deux. Lors du procès de Brock Turner, ce nageur universitaire qui a violé une fille derrière des poubelles après une fête de fraternité, on a dit de lui qu’il était un « promising young man« , d’où le titre du film. Ce n’est pas un hasard si on a choisi de représenter des étudiants en médecine ici. On se retrouve toujours confronté entre ce qu’il faudrait faire et ce que l’on risque de créer si on le fait. À cet effet, le film fait un excellent travail pour faire naître des questionnements chez les spectateurs. S’il est évident qu’Al Monroe devrait affronter les conséquences de ses actes, qu’en est-il de son ami Ryan, de Madison, de l’avocat et de la doyenne, tous des témoins inactifs, des complices silencieux. La force du scénario est en fait de placer le spectateur dans la peau des personnages et de nous questionner à savoir ce qu’on aurait fait dans une telle situation. Cela revient à l’éternel dilemme entre notre confort individuel et le bien commun, le premier l’emportant souvent sur le second.

Promising Young Woman fait un excellent travail pour condenser tout le débat entourant les agressions sexuelles, et n’oublie que peu ou pas de points de vue sur cet enjeu polarisant. Il place l’auditoire dans une chaise inconfortable, sorte de témoin actif d’une situation d’injustice dans laquelle on ne sait jamais de quel côté pencher. Est-ce que la vendetta dans laquelle Cassie s’est embarquée est juste et louable? En aura-t-elle valu le coup? Un homme a-t-il droit à une seconde chance? Y a-t-il espoir de voir une réforme du système de justice fait pour protéger les agresseurs face à l’absence de preuve des victimes? Un jour, ce film fera l’état de débats et d’analyses cinématographiques. S’il ressemble pour l’instant à un fantasme ou un désir de vengeance que beaucoup de victimes déboutées peuvent ressentir, il pourrait également bel et bien être prémonitoire de dérapages à venir.

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