On peut penser à tort que le génocide rwandais de 1994 n’a eu d’impacts qu’au Rwanda, comme le démontrent les nombreux films sur le sujet (Hotel RwandaShooting Dogs, Un dimanche à Kigali) ou l’histoire du lieutenant-général Roméo Dallaire qui aura inspiré le livre et le film J’ai serré la main du diable. Pourtant, il serait faux d’appeler le tragique massacre ainsi, car ce génocide dépasse les frontières du Rwanda, même si c’est peut-être là où il a été le plus violent. Il faut plutôt parler du génocide des Tutsi par les Hutu, deux groupes ethniques présents au Rwanda, mais également en Ouganda, en République démocratique du Congo, en Tanzanie et au Burundi. Cette réalité transnationale est au cœur de Petit pays, le nouveau film d’Eric Barbier (La promesse de l’aube) adapté du roman du même nom de Gaël Faye. Inspiré de la vie de l’écrivain et musicien, le film permet de constater l’ampleur du génocide et son aspect international, tout en proposant un récit familial intimiste très touchant.

Bujumbura, capitale du Burundi, 1992. Le jeune Gaby (Djibril Vancoppenolle) et ses amis sont pris en train de voler des mangues dans le jardin d’un blanc. Le groupe quitte en vitesse et tente de vendre leur récolte aux intersections. Leur professeure, Madame Economopoulos (Veronika Varga) leur en achète une à gros prix, puis les jeunes, heureux d’avoir réussi à gagner un peu d’argent, vont se réfugier dans leur « repaire », qui est en fait une fourgonnette perdue au milieu d’un champ. Ravis, ils mangent quelques fruits, puis se les lancent allègrement. Le bonheur est dans les petites victoires, et ces jeunes sont plus heureux que jamais. Ces scènes d’espiègleries seront assez nombreuses, mais comme on peut s’en douter, ce sera l’un des rares instants où la joie et le bonheur régneront.

On apprend en effet que Gaby est le fils de Michel Chappaz (Jean-Paul Rouve), un entrepreneur belge, et d’Yvonne (Isabelle Kabano), une réfugiée rwandaise tutsi. Ceux et celles qui connaissent les implications du génocide savent d’entrée de jeu que Gaby et sa famille sont voués à être persécutés. Pour les autres, voici en quelques lignes la genèse du conflit. Tout remonte à la période coloniale en Afrique de l’Est. Cette région, prise de force par l’Allemagne puis par la Belgique au lendemain de la Première Guerre mondiale, est peuplée, comme partout en Afrique, d’une population très stratifiée. Les Belges, question de mieux régner sur la région, imposeront une division en trois groupes, basée sur le métier : les Tutsi (des éleveurs, surtout des riches et puissants propriétaires), les Hutu (des agriculteurs et paysans) et les Twa (des artisans et ouvriers). L’administration belge décide que la colonie sera dirigée par les Tutsi, et oblige chaque citoyen à indiquer son appartenance sur ses papiers officiels. Lors du mouvement d’indépendance dans les années 1950 et 1960, les colonisateurs voudront renverser la vapeur et appuyer le groupe majoritaire, les Hutu, accentuant une fois de plus les divisions et les stéréotypes au sein de la population. Dès lors, les rivalités sont si fortes que des massacres ont lieu au Rwanda et au Burundi, et cette guerre civile culminera au début des années 1990 avec une série d’attentats et de coups d’état qui auront de graves répercussions.

Voilà pour le cours d’histoire coloniale accéléré. Il existe bien évidemment de nombreuses subtilités que nous ne pouvons aborder et dont le film ne traite pas (ce n’en est pas son intention), alors nous vous suggérons d’aller lire davantage sur le sujet après le visionnement. Pour en revenir au film, toutefois, ces enjeux seront brièvement expliqués, mais cruellement illustrés. Dans les années qui précéderont l’été 1994, on assistera à de nombreuses scènes de massacres, de tensions ethniques et de violences, le tout du point de vue de Gaby. En effet, les bribes d’informations sur la situation politique nous proviennent du jeune qui écoute secrètement ses parents en parler, ou encore par la radio. On sent qu’il tente de comprendre ce qui se passe, tout en se voulant rassurant pour Ana (Dayla De Medina), sa charmante et énergique sœur. Sans avoir lu le livre, on ressent l’apport du roman dans les choix scénaristiques faits par Barbier. Cette seule et unique perspective qui nous laisse par moment dans l’ombre et la confusion permet de vraiment se mettre à la place de Gaby, ou de tout autre jeune ayant vécu cette période trouble.

Petit pays, c’est un récit sur l’un des plus tristes événements de l’histoire récente, mais c’est également l’histoire d’une famille qui se perd au cœur de cette crise, et qui ne parvient jamais véritablement à se retrouver. Yvonne, la mère, réfugiée au Burundi, a en effet marié un Européen dans l’espoir d’un jour pouvoir quitter le continent africain et aller habiter à Paris. Ce n’est toutefois pas dans les plans à court et moyen termes de Michel, qui semble se plaire à Bujumbura, où il jouit d’un certain statut par rapport à la population locale, comme en témoignent les nombreux « serviteurs » qu’il embauche. La scission est inévitable, et elle survient possiblement au pire moment pour les jeunes Gaby et Ana, qui se retrouvent sans repère dans un conflit qui leur échappe. Il faut souligner à ce stade l’excellent travail de la distribution qui rendent crédible la dynamique familiale. Rouve est l’archétype du colonisateur mais sait se montrer aimant envers ses enfants, Kabano est également très convaincante comme mère hautaine, mais le meilleur nous vient des jeunes Vancoppenolle et De Medina, cette dernière qui livre une performance à fendre le cœur, surtout dans une scène particulièrement violente à son endroit.

Il y a certains moments forts dans ce film, mais également de nombreux ralentissements, en plus d’une temporalité défaillante. En fait, j’ai l’impression que l’histoire se vit beaucoup mieux sur papier qu’à l’écran. Les émotions et le chaos doivent y être beaucoup plus marquants que dans le film, qui peine à nous faire vivre toutes les émotions requises pour ce genre d’histoire. Plusieurs scènes anecdotiques qui s’apprécient dans un roman ralentissent malheureusement le rythme du film. De même, le film s’échelonne sur environ trois ans, mais ni Gaby ni Ana ne semblent vraiment vieillir. Cela pourrait ne pas en déranger plusieurs, mais cet aspect vous effleurera l’esprit que vous le vouliez ou non. La finale contribue également à cette confusion temporelle, tout en vous laissant plus confus qu’autre chose, tristement.

Petit pays n’est peut-être pas le meilleur film sur le génocide des Tutsi ou sur l’enfance dans des régions africaines en crise. Il présente toutefois un point de vue intéressant et pertinent qui permet de comprendre les répercussions et, surtout, l’aspect transnational de ce génocide. Il vous poussera possiblement à en apprendre plus sur ce triste événement tout en vous proposant une histoire sobre et touchante.

Les images sont une courtoisie d’AZ Films.

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