Dans le cadre d’une programmation spéciale des films de science-fiction des années 1970, le Criterion Channel nous offre la chance de découvrir des films plus ou moins connus. L’un de ces films méconnus est assurément No Blade of Grass, sorti dans la plus totale indifférence en 1970. On comprend aisément pourquoi il n’a pas connu le succès des Mad Max, A Clockwork Orange et Westworld de son temps. Toutefois, ce film pourrait être fait aujourd’hui et être encore d’actualité. Plongeons ensemble au cœur d’un Royaume-Uni dystopique.

Un message environnementaliste

Une catastrophe secoue le monde entier. Les ressources agricoles sont contaminées, entrainant une famine mondiale dévastatrice. Plusieurs millions de personnes sont décédées, principalement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, mais la menace touche maintenant la population des grandes villes d’Europe. Les Custance, famille aisée de Londres, sont avisés qu’un blocus s’établit rapidement, dans le but d’empêcher la population de quitter la métropole. On veut ainsi éviter les soulèvements de foule, ce qui ne fonctionnera évidemment pas. Ils décident alors de fuir le plus rapidement possible vers une maison de campagne ou, croient-ils, ils seront en sécurité.

Cette prémisse est assez typique des romans et films dystopiques. Bien que No Blade of Grass ne révolutionne pas le genre, il est néanmoins l’un des premiers à avoir été réalisé dans une décennie marquée par plusieurs inquiétudes et un essor de la conscience environnementale léguée de la culture hippie. L’acteur devenu réalisateur Cornel Wilde nous pose ici la question : comment la population réagirait-elle en cas de crise alimentaire mondiale? La réponse, loin de nous surprendre, est assez pessimiste.

Un peu comme dans Mad Max ou Dawn of the Dead, les Custance sont à la merci d’un groupe de motards anarchistes qui sillonnent les campagnes anglaises. Ils devront par moment se cacher, fuir et combattre ce regroupement. Avec les blocus entourant la plupart des grandes villes, il est très difficile de circuler, et les gens des villages que les Custance traverseront seront tous hostiles à leur présence. S’ensuit un road trip vers ce fameux éden tant espéré dans une épopée à la National Lampoon’s Vacation post-apocalyptique (moins la comédie) où tout va pour le mal. Si les situations sont somme toutes assez simplistes, on a tout de même droit à plusieurs scènes assez marquantes, exprimant toute la bassesse dont l’être humain est capable.

Un style sensationnaliste

No Blade of Grass se veut en quelque sorte comme un film d’exploitation, avec son petit budget et ses grandes ambitions de divertissement. Le personnage principal aux allures de dur à cuire (notamment avec son cache-œil qui rappelle Kurt Russell dans Escape from New-York) et les nombreux jeux de couleurs ou freeze-frames sensationnalistes contribuent à créer ce sentiment typique des films d’exploitation. Cela rend le tout un peu ringard avec du recul, mais c’est probablement l’intention du réalisateur. Les amateurs du genre pourront y trouver leur compte, bien que le film ne s’assume pas à la hauteur d’un Big Trouble in Little China, par exemple.

Le scénario, assez simpliste, est tout de même par moment confus. Les nombreuses ellipses parsemant le film n’ajoutent rien si ce n’est de prévenir l’auditoire des atrocités à venir. Après tout, ils ne sont pas l’œuvre de l’un des personnages, et aucun d’eux ne semble avoir conscience de ces prémonitions. Peut-être est-ce pour exprimer un semblant de destinée ; de déterminisme envers les protagonistes, mais aucune explication claire n’est pourvue. On aurait souhaité plus de limpidité, d’autant plus que le film ne manque pas d’être in your face par moment. Les scènes où l’élite anglaise se régale devant un buffet à volonté tout en regardant des victimes de la famine mondiale qui sévit est aussi subtil qu’un film de Pierre Falardeau, et les divers extraits d’archives ont clairement l’intention de marquer le spectateur de l’époque. Ce contraste, parmi tant d’autres au long du film, nous fait plus sourire qu’autre chose.

À budget limité, No Blade of Grass parvient néanmoins à bien rendre l’univers post-apocalyptique. « This motion picture is not a documentary, but it could be », comme l’indique le narrateur à la fin du film. Nous sommes du même avis, puisque le but du film est de secouer une génération non conscientisée aux effets de l’humain sur la planète, peut-être même plus que de divertir son public. Des images choquantes de famine, de pollution, de viol et même de mortalité infantile contribuent à créer un univers dystopique pourtant tiré d’archives contemporaines. Avec du recul, on voit comment ce film était en avance sur son temps.

Un bon film qui tombe toutefois à plat

L’univers que Wilde parvient à élaborer est somme toute bien réussi, malgré le peu de moyens du film. En fait, le film ne relève de la science-fiction que par ses idées, puisque les décors et accessoires sont très banals, voire ternes. Les extraits radiophoniques et télévisuels permettent d’étendre l’univers au-delà de celui exploré par les Custance et leur groupe, qui se résume essentiellement aux campagnes anglaises, déjà très banales. Les acteurs et actrices sont toutefois plus que crédibles, malgré le peu d’expérience qu’ils avaient à l’époque. Du lot, Nigel Davenport remplit efficacement le rôle de leader du groupe. C’est toutefois Lyonne Frederick qui vole la vedette, à notre avis. À son premier rôle en carrière, elle compose habilement avec une scène de viol assez graphique (dont le tournage est apparemment nébuleux) tout en interprétant avec fragilité le personnage de Mary.

L’un des points forts du film est aussi sa chanson éponyme, particulièrement prenante. La voix de Roger Whittaker rappelle un peu celle d’Isaac Hayes, et la chanson pourrait aisément se retrouver dans un film de Tarantino. Toutefois, le film a certaines lacunes importantes. Ses longues et répétitives scènes de fusillades occupent une place importante du récit, sans toutefois faire concrètement avancer l’histoire, démontrant la superficialité du scénario. Les nombreux jeux de couleur, typiques des années 1970, sont aussi inexpliqués qu’impertinents. No Blade of Grass ne se compare pas aux plus grands films de science-fiction de sa décennie. Toutefois, pris dans un tout, il illustre les préoccupations d’une génération, qui sont toutes cruellement d’actualité encore aujourd’hui.

 

Ce film fait partie de la collection « 70’s Sci-fi » présente en janvier 2020 sur la plateforme de visionnement en direct The Criterion Channel.

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