NIN E TEPUEIAN - MON CRI, un film de Santiago Bertolino - BANDE ...

Cette critique a été rédigée dans le cadre de l’édition 2020 du Festival cinéma du monde de Sherbrooke.

Il est toujours intéressant de s’interroger sur les porte-paroles de causes sociales ou politiques. Qui sont-ils? Qu’est-ce qui les a amenés dans le militantisme? Que revendiquent-ils? Nin E Tepueian – Mon cri tente justement de faire le portrait de l’une des militantes importantes au Québec : Natasha Kanapé Fontaine. Plutôt qu’un documentaire biographique traditionnel, le réalisateur Santiago Bertolino veut plutôt suivre Kanapé Fontaine dans l’effervescent quotidien de l’actrice et auteure (parmi tant d’autres occupations) innue. Le résultat vous étourdira et vous fera peut-être reconsidérer les tâches qui viennent avec le visage public du militantisme.

Le film se présente comme une succession d’entrevues, de conférences ici comme ailleurs et, surtout, de travail acharné, autant devant que derrière la caméra. Le fil conducteur est véritablement le rapport à la langue, l’Innu, qui est au cœur de la plupart des situations présentées. Plutôt que de proposer une revendication violente, c’est plutôt un désir d’écoute et d’échange culturel qui est au centre des revendications de Kanapé Fontaine. Un syncrétisme des cultures? Oui et non. Oui, au sens où l’on souhaiterait une plus grande ouverture des Québécois (et surtout du gouvernement) envers la culture innue, mais sans toutefois amalgamer ces deux réalités distinctes. À cet égard, le film nous fait beaucoup réfléchir sur les minorités présentes au Québec – ethniques comme linguistiques – et sur notre rapport avec elles.

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Il est d’autant plus marquant de voir que l’effort de protection des langues autochtones est si faible de la part du gouvernement québécois que cela donne l’impression de vouloir passer sous silence leur triste réalité, héritage colonial majeur dévastant. Si on avait mis autant d’effort à protéger l’innu que le français, force est d’admettre que la langue ne serait pas en voie d’extinction. On peut comprendre de ne pas promouvoir le portugais ou l’espagnol, deux langues qui ne sont pas natives du territoire québécois, mais il est surprenant que ces langues autochtones soient si inaccessibles, même pour ces populations.

Heureusement, il y a Natasha Kanapé Fontaine pour amorcer cette discussion dans le milieu culturel, pour conscientiser les gens sur l’existence de cette langue, et surtout, ne pas en avoir peur. Un moment marquant est lorsqu’une animatrice de Radio-Canada la questionne sur la prononciation d’un nom, et veut le laisser dire à Kanapé Fontaine plutôt que de risquer un faux-pas à l’écran. La jeune militante demande tout de même à l’animatrice de tenter de prononcer le nom, ce qu’elle accepte finalement. Voilà, plus de peur que de mal, quoi!

Ce petit événement révèle toutefois un plus grand problème ancré dans nos habitudes. Pourquoi avons-nous de la difficulté à parler ou comprendre cette langue endogène? Qu’est-ce qui nous fait peur, ou nous rebute à l’apprendre plutôt que l’anglais? Ces questionnements ne sont pas si simples à répondre, mais Kanapé Fontaine veut nous amener vers l’Innu, à travers le théâtre, la littérature et la poésie. Plutôt que d’en avoir peur, elle doit nous inciter à la curiosité.

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Ces problématiques sont vécues partout à travers le monde, comme le démontre le volet « international » du documentaire, dans lequel la militante voyage à Haïti, en Slovénie et aux États-Unis, où elle fait la rencontre d’autres artistes engagés. Même si ces segments amènent finalement bien peu au débat, il nous permettent de souffler un peu et de se remettre du tournis quotidien de Kanapé Fontaine.

Nin E Tepueian – Mon cri ne révolutionne pas le monde du documentaire. Il est toutefois très prenant, et suscite plusieurs questionnements auprès de l’auditoire, ce que tout documentaire doit faire, à mon avis. Il nous fait prendre conscience une fois de plus de l’inertie gouvernementale dont sont victimes les populations autochtones, sur cette problématique comme sur plusieurs autres. Le film permettra de mieux faire connaître cette jeune militante et, espérons-le, démystifiera ou décloisonnera la langue innue auprès des générations futures.

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