Les films sportifs ont toujours sensiblement la même structure. Sans tous être des biographies, ils débutent souvent en observant la jeunesse de l’athlète, ses sacrifices, son dévouement, sa chute à un moment de sa carrière, puis son relèvement et finalement sa consécration. L’exploit tant désiré survient habituellement vers la fin du film, puis c’en est fini. On quitte la salle de cinéma avec une histoire glorieuse en tête, et on repense avec envie au talent de ces sportifs pour qui le dépassement de soi est un objectif quotidien. Nadia, Butterfly, le nouveau film de Pascal Plante (Les faux tatouages), sélectionné dans la triste édition annulée du plus récent festival de Cannes, ne pourrait pas s’éloigner davantage de cet arc narratif. Et c’est pour le mieux.

Plutôt que de s’intéresser à la carrière d’une athlète, Plante se questionne plutôt sur son après-carrière, et ce que cela signifie pour un sportif professionnel de prendre sa retraite. On suit donc la nageuse Nadia (Katerine Savard), 23 ans, qui est sur le point de prendre sa retraite après les prochains Jeux Olympiques de Tokyo. Après une longue scène introductive où l’on voit Nadia réaliser ses pires temps en entraînement, on plonge (pardonnez le jeu de mot) dans la dernière course en solo de l’olympienne, qui se solde par une 4e place décevante. Cette déception est palpable, tout comme une certaine morosité, un désir que tout se termine au plus vite. Il reste toutefois une course à relais, ultime chance de se racheter, ce qu’elle accomplit avec brio alors que l’équipe canadienne décroche la 3e place et se mérite une première médaille depuis plusieurs années. Voilà donc cette consécration qui dans un film traditionnel constituerait l’élément final, mais qui, ici survient dans les 20 premières minutes du film. On sent d’entrée de jeu que le film s’intéresse moins à ce haut fait d’armes, et plus à ce que représente la fin d’une carrière sportive. Nadia verse une larme sur la table de massage quelques instants après, mais on sent que ce n’est pas une larme de bonheur.

Nadia vit en quelque sorte un deuil, ou du moins en traverse les mêmes étapes (déni, colère, confusion, dépression, reconstruction, acceptation). Le tout, dans le microcosme que représente le village olympique, et donc entourée d’athlètes qui partagent en théorie sa réalité, mais ne comprennent pas sa décision de se retirer à un si jeune âge (même pour une nageuse, dont le corps ne peut rapidement plus suivre la cadence au-delà de la vingtaine). Seuls ceux et celles qui ont véritablement vécu cette vie de sacrifices peuvent retransmettre ce mal de vivre, et c’est pourquoi Plante a voulu dès le départ que ses rôles principaux soient interprétés par des athlètes professionnelles. La double médaillée Katerine Savard s’est donc rapidement imposée comme un choix évident, tout comme son amie nageuse Ariane Mainville, qui interprète Marie-Pierre, la co-chambreuse de Nadia et, évidemment, sa meilleure amie (car avec qui d’autre a-t-on le temps de tisser une amitié qu’avec ceux et celles que l’on côtoie à tous les jours?) Choisir des acteurs non-professionnels est toujours une situation de « ça passe ou ça casse », et dans ce cas-ci, ça fonctionne totalement.

On explore donc cette particulière relation d’amitié, toujours avec en trame de fond l’idée que Nadia vit sa dernière expérience olympique. Toujours dans ce réalisme qui rappelle le cinéma de John Cassavetes, on suit Nadia et Marie-Pierre qui, après une brève soirée entre nageurs canadiens, quittent pour faire la fête dans les boîtes de nuit de Tokyo. Il règne une certaine mélancolie dans cette virée qui n’est pas sans rappeler Lost in Translation (prenant lui aussi place au Japon, par ailleurs). À en voir ces films, on pourrait presque croire que se retrouver à l’autre bout du monde provoque un certain mal-être chez ceux et celles qui s’y rendent! Cette sortie sera l’occasion pour Nadia, peu habituée à ce rythme de vie (comparativement à Marie-Pierre), de faire des expériences que la vie d’athlète ne permet pas habituellement. Alcool, drogue et sexe seront donc au rendez-vous.

Le concept et la réussite du film reposent sur deux éléments qui sont exécutés à perfection ici : une brillante interprétation et une réalisation hors pair. Savard, qui apparemment joue un personnage à l’opposé de sa véritable personnalité, est tout simplement parfaite. Tout dans elle laisse transparaître un profond mal de vivre, une incertitude face à son avenir et une peur de l’inconnu. Marie-Pierre viendra-t-elle la voir même si elle ne fait plus de compétition? Est-ce que finir ses études dans la trentaine est vraiment envisageable? Tant de questionnements qui sont perceptibles à travers la sobre et touchante performance de Savard. L’amitié entre elle et Mainville, malgré qu’elles jouent des personnages fictifs, se transpose à l’écran avec une fluidité surprenante. J’imagine que la compétitivité, au cœur de leur mode de vie, aura fait d’elles d’excellentes actrices au passage. Peut-être auront-elles une après-carrière au cinéma, qui sait!

C’est également le mouvement de la caméra, dans un univers franchement convaincant (bien que la pandémie ait placé le film dans une uchronie plus accentuée), qui nous convainc de la « véracité » du récit. On a pratiquement l’impression de regarder un documentaire tant dans les reconstitutions des compétitions que dans une orgie olympienne dont on a tant entendu parler. Cette approche nous donne un aperçu de ce qu’est la vie dans la bulle du village olympique (car, après tout, Savard et Mainville sont bien placées pour la connaître), mais également des impacts d’une vie de sacrifices pour ces athlètes. On aurait pu faire ce film de multiples façons, mais on se réjouit de l’approche de Plante, qui nous fait véritablement sentir l’authenticité des situations.

Nadia, Butterfly n’est pas le typique film sportif. En fait, le sport y est presque accessoire, et on pourrait aisément transposer la réflexion sur le deuil et la peur de l’inconnu dans un film sur un artiste musical déchu, un acteur en fin de carrière ou tout simplement un travailleur mis à la retraite. Ce qui nous frappe peut-être un peu plus, par contre, c’est qu’on a l’habitude de ce genre de récit, sorte de crise de la soixantaine, qui a tant de fois été portée à l’écran. À 23 ans et de notre point de vue, on sait que Nadia a la vie devant elle, et qu’elle finira par faire son deuil, ne serait-ce que par la ténacité dont font preuve les sportifs de haut niveau. Mais de son point de vue, elle qui n’a connu depuis l’enfance que la natation, comment peut-elle le savoir? J’imagine qu’il ne lui reste plus qu’à plonger dans tout ce que la vie a d’autre à lui offrir (jeu de mot assumé, cette fois).

Les images sont une courtoisie de Nemesis Films.

Fait partie du top 250 d’Alexandre (#179).

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