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Film d’ouverture à la Berlinale en février 2020, il aura fallu plus d’un an pour que My Salinger Year de Philippe Falardeau prenne enfin l’affiche au Québec. Cinq ans après son dernier film, le réalisateur québécois nous arrive maintenant avec une adaptation somme toute fidèle au mémoire de Joanna Rakoff publié en 2014 sur l’expérience de la journaliste et autrice américaine au sein de la prestigieuse agence littéraire new-yorkaise Harold Ober Associates. Avec en son centre une prémisse des plus intéressantes, le film, rigide par moments, manque cependant d’audace et d’extravagance pour nous faire une impression durable.

En 1995, une jeune Joanna Rakoff (Margaret Qualley) étudie à Berkeley, en Californie. Souhaitant se rapprocher du monde littéraire (elle aspire à devenir un jour écrivaine), elle quitte vers New York et se cherche un emploi dans quelque sphère du domaine que ce soit. Elle décroche un poste d’assistante au sein d’une agence littéraire dirigée par Margaret (Sigourney Weaver), agence dont le client (vivant) le plus notable est J.D. Salinger, l’auteur du notoire Catcher in the Rye. L’arrivée de Joanna coïncide avec le désir de l’écrivain de publier une nouvelle précédemment parue dans le New Yorker dans les années 1960. Salinger n’a rien écrit en trois décennies et son annonce vient secouer toute l’agence, qui doit s’assurer de bien gérer le dossier tout en respectant les désirs de réclusion de l’auteur.

L’histoire, toujours racontée du point de vue de Joanna, entretient constamment, comme on pourrait s’y attendre, une aura de mystère autour du personnage de Salinger, qui s’est toujours fait discret jusqu’à sa mort en 2010. Sa réputation le précédant, l’assistante s’en fait une impression particulière, impression qui sera toutefois déconstruite rapidement lors des échanges téléphoniques qu’elle aura avec l’auteur. On pourrait croire que le fait d’entrer en contact avec l’un des plus grands écrivains contemporains pourrait l’impressionner, mais Joanna, au grand dam de ses ami.e.s, n’a jamais lu le célèbre roman qui a fait sa renommée (ce qui est particulièrement étonnant, aux États-Unis du moins, puisque le roman s’inscrit souvent au sein des cursus scolaires). Elle doit donc assurer la liaison entre Margaret et Salinger, tout en répondant froidement aux lettres de ses admirateurs et admiratrices, une tâche beaucoup plus émotionnelle qu’il n’y parait.

Il semble tout à fait logique d’observer la personnalité de Salinger à travers la vision d’une tierce personne. On ne connait que peu de choses à son endroit, si ce n’est des mémoires publiées par son ex-copine et sa fille dans les années 1990 et de biographies externes (qui ont donné lieu au film Rebel in the Rye en 2017). Toutefois, ceux et celles qui s’attendent à ce que le film tourne autour de l’auteur seront assurément déçus par le peu de moments entre celui-ci et Joanna. En fait, ces rencontres sont probablement les meilleurs segments de My Salinger Year, en partie en raison de cette fascination que plusieurs entretiennent envers Salinger. Les personnes qui ont lu le roman pourraient s’attendre à ce que l’auteur soit un personnage singulier, atypique, à l’image de Holden Caulfield, le protagoniste de son livre. Il en est tout autre ici, toutefois, du moins sur ce que l’on peut percevoir des quelques interactions entre Joanna et lui.

Cependant, le film s’intéresse davantage à Joanna et à son désir d’un jour publier son premier roman (ou recueil de poésie). Bien que son parcours soit intéressant à suivre et que la performance de Qualley rende justice au personnage, les principales péripéties ont un air de déjà-vu. Sa relation particulière avec Don (Douglas Booth), également un aspirant auteur, est au final trop peu intéressante et n’amène rien au récit. L’aspect le plus intéressant du film est peut-être la « relation » qu’elle entretient avec les admirateurs de Salinger, une relation fictive, mais très personnelle, car Joanna doit lire méticuleusement chaque lettre pour s’assurer de prévenir un éventuel tueur en série (David Chapman, assassin de John Lennon, a été arrêté alors qu’il lisait Catcher, ce qui a contribué à la réputation notoire du roman). Elle ne doit cependant en aucun cas leur répondre personnellement ou être empathique envers eux (ce qu’on sait pertinemment qu’elle fera à un moment ou à un autre). Ces lettres sont lues à haute voix devant la caméra par leurs auteurs en brisant en quelque sorte le 4e mur. Le tout s’insère de façon fluide dans le récit (et nous laisse voir Théodore Pellerin, dont la carrière internationale prend de plus en plus son envol), bien qu’on ne s’investisse jamais véritablement dans chacun des témoignages.

Le principal défaut de My Salinger Year est son manque de surprise ou d’une quelconque forme d’étincelle. Tous les protagonistes, à l’exception de Joanna, sont trop présents pour être des personnages de soutien, mais trop peu exploités pour qu’on s’y attache véritablement. Weaver livre une performance en-deça des attentes et l’ensemble de la distribution manque de chimie. Le film, quoique bien exécuté en fonction du matériel d’origine, ne vient jamais nous stimuler émotionnellement, et ne nous apprend que peu ou pas de choses sur Joanna ou Salinger. Tristement, on ressortira du visionnement avec un sentiment de vide et de désintérêt.

Les images sont une gracieuseté de Métropole Films.

My Salinger Year prend l’affiche le 5 mars au Québec.

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