John Cleese a déjà mentionné que le problème avec les comédies est que le rythme doit tellement être soutenu que le moindre ralentissement fait habituellement décrocher le public, et que c’est pour cette raison que les films de ce type donnent souvent l’impression d’être peu travaillés, peu aboutis. On peut difficilement être en désaccord avec cette affirmation, et c’est probablement pourquoi les comédies ne connaissent que rarement un succès critique, malgré qu’elles parviennent parfois à s’inscrire durablement dans la mémoire collective d’une génération. Heureusement pour Cleese, Life of Brian a su rallier à la fois le public et les critiques, en plus de devenir un film culte avec les années. La situation aurait très bien pu se retourner contre eux toutefois car, à sa sortie, il a connu sa part d’opposition de groupes religieux chrétiens. Il faut croire que finalement, c’est peut-être ce qui a causé son succès.

La prémisse a en effet de quoi déranger les pratiquants puristes. Très grossièrement, le film raconte l’histoire de Brian (Graham Chapman), né au même moment que Jésus dans la maison d’à côté. Les Rois mages, pensant qu’il est le fils de Dieu, viennent porter à sa mère (Terry Jones) l’or, l’encens et la myrrhe. Ils réalisent cependant qu’ils se sont trompés de chaumière et reprennent les présents pour les donner à Marie et Joseph. C’est le début d’une succession de mésaventures – similaire à celles du Christ – qui affligeront Brian tout au long de sa vie. Des disciples friands de ses préceptes à la crucifixion en passant par la réalisation de « miracles », Brian deviendra malgré lui l’idole d’un peuple, ce qui le mènera inévitablement à son trépas.

Après les succès d’une série télé et de Monty Python and the Holy Grail, la troupe d’humoristes britanniques récidive en 1979 avec ce qui est probablement leur production la plus aboutie. Ne se détachant pas complètement de sa formule de film à sketchs, son scénario est néanmoins beaucoup plus cinématographique et sa trame narrative bien plus soignée que ceux de leurs précédents projets. On sent que cette prémisse de base a grandement stimulé leur processus créatif et les a inspirés à écrire des scènes purement comiques, plutôt qu’ils aient écrit des blagues qu’ils ont par la suite essayé de faire cadrer dans l’époque à laquelle se déroule le récit. Si je n’ai jamais véritablement ri aux éclats, j’apprécie la qualité du scénario qui atteint à mon avis à des sommets inégalés par le groupe.

Le fait que les Monty Python soient six membres qui ont tous un peu leur type d’humour fait en sorte que chacun des spectateurs pourra y trouver son compte. Il y a des sketchs que j’ai trouvés hilarants et d’autres qui sont à mon avis moins réussis, et pourtant ces derniers sont probablement les préférés d’une autre personne. Je ne me lasse pas de voir et revoir la scène où le People’s Front of Judea se demande ce que les Romains ont fait pour eux, ni celle où Brian se fait donner une leçon de latin par un garde romain alors qu’il est mandaté d’écrire sur le palais de Ponce Pilate « Romans go home » (« Romains, retournez à la maison »). À l’inverse, le segment où l’on se moque du trouble de la parole de Pilate – l’une des scènes iconiques du film – m’a à peine fait sourire.

Cela explique en peu de mots l’ingratitude du métier d’humoriste. Si les gens rient, leur mission est réussie, s’ils ne rient pas, c’est un échec. Mais qu’est-ce qui fait rire? C’est très difficile à deviner. Parfois, un comédien va travailler fort sur la structure ou le punch d’un gag, mais le public rira à un moment inattendu (une intonation particulière, une mimique improvisée, etc.) Impossible donc de savoir ce qui plaira ou non aux spectateurs. Dans Life of Brian, la diversité des blagues fait en sorte que tout le monde trouvera son compte. Du burlesque à la satire en passant par l’humour chanté et les moqueries des particularités régionales (que seuls les Britanniques capteront, probablement), il y a de tout pour tous les goûts.

J’ai passé beaucoup de temps à parler d’humour et bien peu à aborder les thématiques centrales qui font de Life of Brian bien plus qu’une comédie, vous m’en excuserez. Je crois toutefois qu’il est possiblement l’un des meilleurs films religieux de l’histoire du cinéma. Il questionne non pas la foi ou la religion catholique, mais bien ceux et celles qui interprètent les préceptes de celle-ci (et de toute autre religion, à bien y penser). Le célèbre critique Roger Ebert a une excellente façon de décrire le film. Pour lui, la morale de l’histoire est que la plupart des choses qui passent pour des vérités au sein de la religion sont le résultat de siècles d’opinions et de spéculations. On l’observe en effet à quelques reprises, notamment au début du film quand, lors d’un discours proclamé par Jésus, les gens à l’arrière de la foule ne comprennent pas vraiment ce qu’il dit. « Blessed are the cheesemakers!« , entendent-ils. Si la lecture de la Bible nous donne une position privilégiée des réussites de Jésus, la réalité de l’époque devait assurément être moins glamour.

En fait, je crois que le dénominateur commun de plusieurs des gags des Monty Python à travers leur œuvre est justement de tenir pour acquis que l’être humain ne change pas beaucoup de siècle en siècle, et qu’il est toujours aussi bête peu importe le contexte. Ils questionnent ainsi la glorification qu’on fait de certains mythes ou légendes (du Christ au roi Arthur) en mettant des personnages somme toute contemporains dans des contextes d’époque, et tentent de voir comment ils les ont véritablement vécus. Évidemment, il ne faut pas prendre leur interprétation pour la vérité vraie, mais leur cynisme est ce que j’apprécie le plus de leur humour. Cela passe par des sketchs plus grands que nature (comme se moquer de la crucifixion qui, certes, est un supplice sordide, mais très commun à l’époque, et non une pratique spécialement réservée à Jésus) ou par des petits segments anodins (comme celui de l’ex-lépreux qui a perdu son revenu de mendiant après que Jésus l’eut guéri).

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur le film – de son générique d’introduction inspiré des James Bond au numéro musical qui clôt le film -, mais il faut le vivre pour pleinement l’apprécier. Bien sûr, l’humour du film n’a pas toujours fonctionné pour moi, mais c’est lors d’un second visionnement que je suis parvenu à vraiment saisir l’excellence de son écriture et sa profondeur thématique. Plusieurs n’apprécient pas l’absurdité des Monty Python, il est donc évident que Life of Brian n’est pas pour tout le monde. Toutefois, si vous n’avez qu’un film de la légendaire troupe britannique à visionner, c’est celui-ci.

Fait partie de la Collection Criterion (#61).

Fait partie des 1001 films à voir.

Laissez un commentaire