Après plus d’un an de retard sur sa sortie initiale, voilà que Maria Chapdelaine, plus récent projet de Sébastien Pilote (La disparition des lucioles) prend l’affiche partout au Québec. Quatrième adaptation du roman de Louis Hémon (la première depuis celle de Gilles Carle en 1983), cette nouvelle version entend en mettre plein la vue aux spectateurs qui n’attendent qu’un film rassembleur pour braver les mesures sanitaires et retrouver le confort des salles de cinéma. Mais est-ce que ce film est la bouée de sauvetage tant attendue qui viendra relancer le box-office québécois en ce début d’automne qui s’annonce mouvementé? Probablement pas, bien que le visionnement, soyez-en assurés, en vaut le détour.

Calquée à plusieurs égards sur le matériel d’origine, l’histoire suit bien évidemment Maria (Sara Montpetit), une adolescente qui retourne dans sa famille vivant au nord du Lac-Saint-Jean, après un mois d’absence. Samuel (Sébastien Ricard), son père, vient d’y acheter un lopin de terre à défricher, au grand dam de Laura (Hélène Florent), son épouse, qui aurait plutôt souhaité que la famille conserve sa précédente concession près d’une paroisse. Qu’importe, Samuel est déterminé à ce que cette fois soit la bonne et travaille d’arrache-pied à « coucher le bois » qui jonche son terrain. Malgré le relatif isolement des Chapdelaine, la famille reçoit la visite de quelques amis du village et d’ailleurs. Eutrope Gagnon (Antoine Olivier Pilon) est le voisin chaleureux et serviable qui possède cet attachement indéniable à la terre ; François Paradis (Émile Schneider) est le coureur des bois aventureux et une connaissance de longue date de la famille ; Lorenzo Surprenant (Robert Naylor) est le Canadien-français en exil au Massachusetts et qui travaille dans les « factries » de textile. Tous tomberont amoureux de Maria, qui devra faire un choix déchirant parmi ces trois prétendants.

Pour ne connaître rien du matériel original lors de mon premier visionnement, j’ai été surpris de constater que pour un film qui s’intitule Maria Chapdelaine, on s’intéresse finalement moins à la jeune fille et davantage à la société qui l’entoure. Ainsi, Maria est bien souvent, tout comme l’auditoire, observatrice de ce qui se déroule autour d’elle au fil des visites qui s’enchainent saison après saison. En ce sens, nous avons droit à une reconstitution, fidèle, mais romancée, de la société canadienne-française du début du 20e siècle. Le rapport à la terre y est évidemment bien important, tout comme l’omniprésence de la religion et des valeurs purement nobles des habitants. Avec cette fresque, le film se présente donc de prime abord comme une leçon d’histoire imagée, une représentation de la réalité d’une famille typique d’une époque.

J’avoue avoir entretenu une difficile relation avec Maria Chapdelaine dès le départ. Ce qui frappera tout public est l’incroyable beauté que Pilote fait ressortir de la nature et des saisons qui défilent sous nos yeux. Pouvant rappeler Terrence Malick par moment, le réalisateur donne ses lettres de noblesse au paysage somptueux de son Lac-Saint-Jean natal en enfilant les plans somptueux, souvent éclairés de lumière naturelle (un peu à la manière de Barry Lyndon de Kubrick). Le travail du directeur photo Michel La Veaux est exemplaire en tout point, lui qui lègue ici probablement l’un des plus beaux films québécois de l’histoire, rien de moins. Le rythme contemplatif et méditatif du récit nous donne pleinement le temps d’admirer ces tableaux brossés pour le plus grand plaisir de nos rétines.

Toutefois, et c’est là que le bât blesse, la trop grande fidélité au récit d’origine est ce qui fait passer Maria Chapdelaine d’un film techniquement sublime à l’un des moins dynamiques. Comprenez-moi bien, il n’y a aucun mal à proposer une histoire lente et contemplative, en marge du cinéma excité et stimulant des dernières années, mais la ligne est souvent mince entre la lenteur et l’ennui au cinéma. Si le film possède indéniablement un magnétisme qui nous transporte souvent dans un état près de l’hypnose, à plusieurs moments il nous fait décrocher par son manque de dynamisme à l’écran. Autant on prendrait davantage d’Edwige (Martin Dubreuil) qui déracine des souches bien ancrées, autant on se passerait des nombreux monologues aux allures bibliques que plusieurs des personnages déblatèrent au fil du récit. C’est ici que l’on voit donc les limites de l’adaptation cinématographique : dans un roman, on accepte facilement le fait que les personnages racontent des histoires, mais au cinéma (un médium visuel, rappelons-le), il est particulièrement ennuyant de regarder un personnage qui raconte une anecdote.

C’est donc un pari perdu que d’avoir opté pour ce fil narratif, qui nous rappelle qu’au cinéma les meilleurs films sont souvent ceux qui se conforment au « show, don’t tell« . On ne peut en vouloir complètement à Pilote, qui veut probablement par cette tactique à la fois se rapprocher du roman d’origine (certaines phrases sont reprises textuellement, par ailleurs) et nous rappeler qu’à l’époque, l’une des seules formes de divertissement passait par les histoires qu’on se raconte le soir venu. Les intentions sont louables, mais force est d’admettre qu’une grande partie du public, ennuyé par la longueur des monologues, ne poussera pas la réflexion aussi loin.

On sent que toute la distribution est en ligne avec la vision de Pilote, ce qui donne l’impression d’un film méticuleusement planifié, qu’on aime ou qu’on déteste cette approche. La composition est excellente et les acteurs sont convaincants dans cette vision romancée du Québec d’origine. Du lot, c’est surprenamment Hélène Florent qui ressort en tant que mère travaillante et attachante, mais toute la distribution, tant secondaire que primaire, est authentique et crédible. Pilote, qui ne voulait visiblement pas dépeindre au goût du jour sa Maria et altérer le matériel d’origine pour en faire un récit féministe, nous rappelle toutefois à de nombreuses reprises l’apport majeur des femmes dans la société canadienne-française de l’époque. Non, les femmes ne font pas le ménage et le souper pendant que les hommes travaillent à défricher la terre. Elles participent au travail manuel qui doit être effectué, discours qui s’est peut-être perdu avec l’endoctrinement et l’appropriation du roman par des mouvements religieux au cours de la première moitié du 20e siècle. C’est en ce sens qu’une réadaptation de Maria Chapdelaine est encore pertinente au 21e siècle.

Que penser donc de ce Maria Chapdelaine, film d’auteur à gros budget sur lequel les cinémas fondent beaucoup d’espoir pour accompagner le retour progressif du public en salles. Si, d’une part, il m’a laissé sur ma faim au premier visionnement, j’ai tout de même pris la peine de lire le roman par la suite, puis de revisionner le film pour confirmer ou infirmer mes premières impressions, et ce second visionnement s’est assurément avéré le meilleur des deux. Il faut donc avouer que son magnétisme a fait son effet sur moi si j’ai eu envie d’y investir autant d’effort. Mais est-ce qu’il aura cet effet sur l’ensemble de son auditoire? J’en doute.

Les images sont une courtoisie de MK2 | Mile End.

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