©Christine Plenus

Les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne (RosettaL’enfant) sont à la Belgique ce que Ken Loach (I, Daniel BlakeKes) est au Royaume-Uni. Tous ont réalisé une grande quantité de films issus du réalisme social, ce courant qui met à l’avant-plan des drames sociaux poignants dans une réalité contemporaine crue. Le jeune Ahmed s’inscrit lui aussi dans ce courant et s’attaque à l’extrémisme religieux en Belgique. Présenté à la 72e édition du Festival de Cannes, ce film, plutôt que d’offrir aux frères leur troisième Palme d’Or, leur aura finalement valu le prix de la meilleure mise en scène, et avec raison. Ils présentent ici un drame frustrant mais authentique qui ne vous laissera pas indifférent.

Le film raconte l’histoire d’Ahmed (Idir Ben Addi), 13 ans, un jeune musulman vivant en Belgique en quête de repères. Il vit avec sa mère monoparentale (Claire Bodson), son frère et sa sœur. Il trouve finalement un ancrage dans la religion musulmane extrémiste à travers un imam radical (Othmane Moumen) qui promulgue un discours de haine envers les impies. Cela poussera Ahmed à tenter d’assassiner Inès (Myriem Akheddiou), sa professeure musulmane attentionnée, qui pratique un Islam plus moderne. Ahmed sera par la suite incarcéré dans un centre pour jeunes délinquants, où il devra apprendre à vivre avec les conséquences de ses actes.


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Le film nous fait vivre beaucoup d’émotions, mais principalement il nous laisse très frustré de l’entêtement du jeune Ahmed. Tout au long du film, il n’aura qu’une idée en tête, soit celle d’assassiner Inès. Pourtant, tous les personnages, à un moment ou à un autre, tentent de lui faire entendre raison, sans toutefois vouloir le détourner de la religion musulmane : sa mère, son frère, sa soeur, son éducateur, un juge, une psychologue, un avocat, les propriétaires de la ferme où il effectue ses travaux et leur fille Louise (Victoria Bluck), avec qui il tissera une brève et pécheresse amourette. Alors qu’on croit que l’un d’eux parviendra à le ramener sur le droit chemin, on nous ramène à un Ahmed totalement fermé, comme emprisonné dans la doctrine si chère à ses yeux. Tous se montrent tolérants envers lui, sans toutefois qu’Ahmed leur rende la pareille. C’est très frustrant à suivre en tant que spectateur, mais l’histoire témoigne de l’entêtement des fanatiques religieux, ou même des idéologues, tout simplement.

En effet, l’extrémisme ne se retrouve pas seulement dans la religion, bien évidemment. On l’observe assez fréquemment dans la sphère politique, auprès de certains nationalistes ou conservateurs, par exemple. J’avoue que l’une des raisons de mes frustrations lors du visionnement du film est ma haine de l’extrémisme en tout genre. Un personnage (ou, encore pire, une personne!) qui est très fermé d’esprit, idéologiquement ou spirituellement, m’exaspère énormément. Je comprends très bien le fait d’adhérer ou non à une cause, et de dicter chaque fait et geste en fonction d’elle. Plusieurs avancements sociaux ont été provoqués en raison de ces militants – extrémistes ou non. Toutefois, j’avoue ressentir un profond malaise lorsqu’il m’arrive (très rarement, heureusement) de discuter avec des gens fermés d’esprit. Le jeune Ahmed, c’est un peu une discussion d’une heure trente avec une personne que vous croyez réceptive, mais qui ne l’est pas du tout.


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Le personnage d’Ahmed est évidemment bien plus complexe que ça. Les frères Dardenne, sans toutefois justifier clairement d’où provient ce fanatisme religieux chez lui, nous offrent quelques pistes. Ahmed est le plus jeune de sa famille, dont le père est mort il y a plusieurs années. On pourrait assumer qu’il a trouvé une figure paternelle en l’imam, qui est bien évidemment heureux de le recruter pour un jihad qu’il souhaiterait accomplir dans un avenir rapproché. En lui enseignant un Islam radical, parfois mensonger, il parvient à créer une forte impression auprès du jeune et influençable Ahmed. Les seules autres figures d’autorité dans sa vie sont des femmes, qu’il considère comme moins que rien en raison des enseignements du Coran. Combiné à son cousin décédé dans un attentat sur les Juifs et qui est élevé en martyr par l’imam, on comprend comment l’idée de punir sa professeure impie ait pu surgir dans son esprit et, d’une certaine façon, son entêtement à poursuivre son combat jusqu’à la fin.

Deux choses sont essentielles pour que Le jeune Ahmed soit efficace : une bonne mise en scène et une excellente interprétation du personnage principal. Ces deux éléments sont réunis ici. On sent les Dardenne dans leur élément, proposant de longues scènes ininterrompues caméra à l’épaule et, la plupart du temps, en plans rapprochés. Le réalisme social veut bien évidemment faire ressortir l’authenticité des situations, et c’est très bien réussi ici. Une scène où des parents rencontrent la professeure au sujet d’un cours sur l’enseignement de l’arabe vous donnera particulièrement le tournis, à cet égard. Et que dire de la performance du jeune Idir Ben Addi, qui en est à son premier film seulement, mais qui le porte à bout de bras. Sa performance sensible et sobre, presque glaciale d’Ahmed nous donne froid dans le dos tout au long du film. Il laisse percer quelques lueurs d’espoirs sur un éventuel changement dans la psyché de son personnage, avant de nous ramener brusquement dans sa réalité contraignante. Ces lueurs sont particulièrement perceptibles lorsqu’il se trouve avec Louise, interprétée de belle façon par Bluck, qui en est elle aussi à sa première expérience au cinéma.


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Le jeune Ahmed fait ce qu’il doit faire, c’est à dire nous plonger dans une situation difficile au destin tragique. Ce n’est évidemment pas un film qui plaira à tous, et il est loin d’être le meilleur des frères Dardenne. Toutefois, il dresse un portrait intéressant d’un personnage en quête d’identité, et dont la seule faute est d’avoir rencontré la mauvaise personne au mauvais moment. Le film apporte bien peu de nouvelles thématiques sur la table, certes, mais il met bien en évidence les multiples contradictions et interprétations du Coran, en particulier auprès d’une population musulmane immigrante. C’est un film qui aborde son sujet avec sensibilité, mais qui à terme vous laissera frustré.

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