Sérieux prétendant à l’Oscar du meilleur film international, La nuit des rois a été reconnu partout où il est passé. Le nouveau film de Philippe Lacôte explore le microcosme de la MACA, cette prison haute sécurité d’Abidjan qui possède ses propres lois, et, ce faisant, expose la société de castes ivoirienne. Cette prison est sous l’autorité de Barbe Noire (Steve Tientcheu), qu’on retrouve ici à l’article de la mort. La tradition exige que le chef des détenus se donne la mort s’il n’a plus la force de conserver sa position. Barbe Noire, question de gagner du temps, profite d’une pleine lune rouge pour organiser une nuit de festivités où un nouveau détenu (Bakary Koné) doit occuper le rôle de « Roman », sorte d’équivalent au titre de griot dans la société africaine, et raconter une histoire qui tiendra le groupe en haleine toute la nuit, sous peine d’être exécuté le jour venu.

Le cinéma africain des dernières années s’est beaucoup intéressé au mysticisme des sociétés traditionnelles transposé dans un contexte contemporain. L’afrofuturisme est un courant maintenant établi et reconnu parmi les cinéphiles, et si La nuit des rois s’inscrit davantage dans le réalisme magique que l’afrofuturisme, il en comporte néanmoins certaines caractéristiques clés. On est toujours à mi-chemin entre la fantaisie et le réalisme, entre la tradition et la contemporanéité, bref, entre l’histoire et le mythe. L’épopée de Zama King, ce récit conté par le jeune détenu aux autres prisonniers, est au centre du récit de Roman. Reconstituée ici dans des scènes d’une beauté certaine, son histoire se tient sur la ligne entre la réalité et la fiction. On prend plaisir à voir évoluer cette histoire, de laquelle une tension inhérente découle.

La nuit des rois carbure à la testostérone et au pouvoir de la tradition orale. Clairement inspiré des contes des mille et une nuits, le film puise sa construction dans le cinéma d’horreur, dont l’un des plus vieux codes veut que le protagoniste principal doit survivre toute une nuit dans des conditions hostiles. Cette tension dont nous parlions plus tôt s’y fait ressentir et nous garde en haleine tout du long, surtout lorsque les détenus, qui agissent tous d’une façon particulièrement hostile, se font menaçants.

Il y a beaucoup de bons éléments à apprécier dans La nuit des rois, mais il pourra parfois être difficile d’adhérer à son univers, trop éclaté par instants. Certes, la construction narrative est intéressante et innovante, alliant conte, théâtre et même comédie musicale (ou du moins chœurs grecs), dans un amalgame excentrique assumé. Oui, l’univers créé est prenant et réellement angoissant nous laissant véritablement croire que la MACA est la seule prison au monde dirigée par les détenus. Les décors simplistes et la direction photo exemplaire sont gages de qualité. Toutefois, ceux qui ne sont pas amateurs de l’art issu du réalisme magique (pensez notamment à Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez), ou qui ont un esprit trop cartésien, ne trouveront probablement pas leur compte dans ce récit représentant une réalité alternative et pour le moins dérangeante.

Pourtant, tout est bien exécuté ici. La distribution est excellente et on fait un bon effort de représenter au grand écran le flou entre l’histoire et le folklore caractéristique des populations de l’Afrique subsaharienne, tirant du même coup profit du médium visuel qu’est le cinéma. Pour un auditoire sensible à ses thématiques, La nuit des rois pourra se révéler comme un véritable chef-d’œuvre, mais il pourrait décourager le grand public.

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