La musica del silenzio (The Music of Silence)
Rares sont les personnes qui ont droit à un film biographique de leur vivant. Encore plus rares sont ceux qui, à la sortie dudit film, n’ont même pas encore 60 ans. C’est pourtant le cas d’Andrea Bocelli, ce ténor italien aveugle extrêmement populaire pour sa voix remarquable et ses nombreuses collaborations avec des artistes populaires. Pour faire suite à la parution de son autobiographie intitulée La musica del silenzio à la fin des années 1990, le réalisateur et co-scénariste Michael Radford (1984, Il Postino) décide de porter à l’écran cette histoire hollywoodienne parfaite d’un jeune garçon qui devient une célébrité internationale malgré l’adversité. Avec l’aide de Bocelli lui-même et de la scénariste Anna Pavignano (avec qui Radford avait été nommé à l’Oscar du meilleur scénario original en 1996), le réalisateur propose une histoire plus intimiste, loin des projecteurs, de la vie du chanteur. Le résultat, loin de convaincre, s’enfonce dans un gouffre profond de clichés que seuls les vrais amateurs de Bocelli pourront peut-être outrepasser.
Le film opte pour une construction narrative classique aux films biographiques. Après une brève scène dans le présent, on plonge au coeur de l’enfance d’Amos Bardi (un nom fictif dont on s’explique difficilement le choix), où on apprend qu’il est atteint d’une maladie qui affecte sa vision dès la naissance. Il n’est pas totalement aveugle, mais il le deviendra rapidement lorsqu’il reçoit un ballon de soccer en plein visage. Cette situation crève-coeur le pousse à revoir ses priorités, et il se lance dans le chant, ayant toujours entretenu une passion pour la musique, passion alimentée par son oncle Giovanni (Ennio Fantastichini). Toutefois, sa voix mue à l’adolescence, et Amos décide d’abandonner son rêve pour une profession stable. Il poursuit donc ses études en droit, et à mi-parcours, on le retrouve à l’âge adulte (où il est joué par Toby Sebastian), aux études. Il retrouve le goût au chant lorsqu’un camarade de classe, lui aussi musicien, l’incite à utiliser sa voix grave à bon escient. Il n’en fallait pas plus pour qu’Amos retrouve le goût de la musique, mais il devra faire de nombreux sacrifices s’il espère connaître du succès un jour.
Avec tous les ingrédients d’une recette gagnante (sur papier du moins), on est en mesure de s’attendre à une biographie efficace. Classique, mais efficace. Toutefois, on se rend compte rapidement que plusieurs éléments font défaut, à commencer par le scénario. Il est surprenant de voir qu’un duo de scénaristes aussi relevé puisse produire un script aussi cliché qu’embarrassant. Tous les dialogues ou presque sont vides, surtout ceux de la distribution secondaire, qui peine à véritablement s’investir dans le projet. On le constate d’entrée de jeu lorsque la femme de ménage est presque aussi émotive face à la naissance d’Amos que ses parents eux-mêmes, et ça se poursuit tout du long. En fait, je crois que le problème réside dans le fait que, pour atteindre un plus grand public, on a choisi de tourner en anglais et donner à tous et à toutes un accent italien aussi incompréhensible que peu crédible. Le film aurait grandement bénéficié à être tourné entièrement en italien, d’autant plus que certains acteurs semblent avoir été doublés en post-production pour camoufler le fait qu’ils ne parlent pas tout le temps en anglais. Ce faisant, le jeu est malaisant et peu inspiré, empêchant du même coup l’auditoire de pleinement plonger dans l’histoire. Cela dit, vous pourriez vous sauver de ce désagrément si vous visionnez la version française du film.
Je ne reviendrai pas en détails sur chacun des nombreux clichés du film, mais je soulèverai tout de même que la production a fait le pari de n’aborder aucunement la période d’apothéose du ténor, et de s’en tenir plutôt à la période pré-1990 de la vie de Bocelli. Cela peut être intéressant pour une personne qui est universellement connue (un membre des Beatles, David Bowie ou Madonna, par exemple), mais qui est plus difficile à faire avec une personne certes très populaire, mais qu’on ne connait pas vraiment. Pour nous garder intéressé, il faut que cette personnalité soit singulière, intrigante, bref, qu’elle ait quelque chose de palpitant. Ce n’est pas vraiment le cas ici, alors qu’on dirait qu’on ne met pas suffisamment l’accent sur l’adversité que rencontre Amos. Il est aveugle, certes, mais il ne suffit pas de mentionner ce fait pour qu’on compatisse automatiquement avec lui. Il faut nous montrer comment cela altère vraiment sa vie, ses ambitions, son destin, comment il parvient, malgré ce handicap, à s’élever parmi les meilleurs de sa profession. Amos est au contraire représenté comme quelqu’un qui baisse souvent les bras, et dont le succès repose davantage sur la chance que sur la force de caractère. Peut-être est-ce vraiment la personnalité de Bocelli, mais permettez-moi d’en douter. À chaque nouveau défi (mue, difficultés académiques, vœu de silence pour reposer ses cordes vocales) il s’apitoie sur son sort, et ce n’est qu’avec l’aide de sa famille, ses amis ou sa copine qu’il parvient à finalement faire face à tout. Même sa fameuse percée sur la scène musicale repose essentiellement sur le hasard d’un coup de téléphone. La vie est parsemée de hasard et de rencontres fortuites, mais si c’est véritablement fidèle à ce que Bocelli a vécu, je ne crois pas qu’un film sur sa vie était si nécessaire.
Il n’y a pas que du mauvais dans The Music of Silence, puisque Toby Sebastian livre une bonne performance, tout comme Antonio Banderas, qui joue le mentor d’Amos, qui n’est au final que peu présent. Les amateurs de Bocelli ou ceux et celles qui aiment les films biographiques pourront apprécier le film, à mon avis. Toutefois, les cinéphiles aguerris ne pourront passer par-dessus ses nombreux problèmes de rythme, son scénario décevant et ses interprétations fades. Radford fait le travail au niveau technique, mais il semble lui aussi peu inspiré par le projet. Après tout, il n’est probablement pas difficile de photographier les charmantes campagnes italiennes! Certains seront toutefois déçus par le fait qu’on délaisse en grande partie l’aspect musical de la carrière de Bocelli au profit d’un drame réchauffé.
The Music of Silence est disponible en location sur toutes les plateformes de vidéo sur demande québécoises dès le 26 janvier 2021.