La fille au bracelet
Les drames de justice (courtroom dramas) sont parfois un couteau à double tranchant. Si l’histoire est prenante, elle peut facilement nous faire oublier que l’on regarde un huis clos procédural. On peut citer à titre d’exemple 12 Angry Men, Kramer vs. Kramer ou To Kill a Mockingbird. Ce sont souvent les retournements de situations qui nous tiennent collés à notre siège et qui nous font constamment pencher entre l’un ou l’autre des côtés de la situation. Si La fille au bracelet ne possède peut-être pas ce type d’histoires fortes en émotion, elle nous propose d’observer ce cas par l’entremise du père de l’accusée. Ce faisant, on se retrouve dans un drame procédural, certes, mais également dans quelque chose de bien plus profond, soit l’incompréhension générationnelle entre un père et sa fille.
Le cas à l’étude est bien simple, malgré ses multiples zones grises. Lise (Melissa Guers) a 18 ans, elle vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d’avoir son bac. Mais depuis deux ans, Lise porte un bracelet électronique car elle est accusée d’avoir assassiné sa meilleure amie. Son procès est sur le point de s’amorcer, et Bruno (Roschdy Zem), son père, ne sait que penser de l’affaire. Sa fille a beaucoup changé depuis ces deux dernières années, et un profond fossé semble désormais les séparer. Bruno constatera à travers ce procès qu’en fait il ne connait tout simplement rien de sa fille, mais démontrera également la réalité des jeunes adolescentes échappe à la cour, et surtout à l’avocate générale (Anaïs Demoustier). Ce qui devait être un tribunal pour meurtre deviendra rapidement un procès pour mœurs.
Plusieurs choses sont importantes à accomplir pour s’assurer d’avoir un bon drame de justice. Nous avons évoqué que le cas doit être l’élément central pour nous tenir investis. Ici, l’histoire n’est pas exceptionnelle, mais elle possède suffisamment son lot de rebondissements pour éveiller notre curiosité et essayer de nous faire notre propre tête sur la situation. Environ 80% du film se situe au tribunal, il faut donc avoir assez de matériel pour meubler ce huis clos. L’une des forces du film à cet égard est d’avoir rendu très crédibles toutes les procédures. Je ne suis pas expert en droit français, mais il y a définitivement un sentiment d’authenticité, surtout lorsqu’on apprend que le président du tribunal (Pascal-Pierre Garbarini) est un avocat assez connu en France (surtout en Corse). Annie Mercier (l’avocate de Lise) et Demoustier font également un excellent travail à leur façon. Mercier est très posée ; elle nous donne l’impression d’être une mère qui défend son enfant contre toutes les attaques qu’elle subit. Car elle en subit de nombreuses, grand merci à Demoustier qui malmène les témoins et Lise à outrance durant ce procès. Elle nous démontre une fois de plus l’étendue de ses talents, l’actrice qui, rappelons-le, a remporté plus tôt cette année le César de la meilleure actrice pour Alice et le maire.
Si lorsqu’on est au tribunal on est placé en quelque sorte dans la peau d’un juré, quand on en sort, nous suivons surtout Bruno qui, après chaque journée de procès, en vient à se questionner sur sa fille et, surtout, sur l’apparent détachement dont elle fait preuve envers la situation. C’est en effet que Lise ne semble pas triste ou révoltée face aux accusations qui pèsent sur elle. Sa meilleure amie vient d’être assassinée, mais pourtant elle peine à évoquer la moindre trace de remords ou, si elle n’a pas accompli le meurtre, de ressentiment. Certains spectateurs aimeront ce détachement, mais il peut aussi agacer. Quoi qu’il en soit, Guers, qui en est à une première expérience au grand écran, interprète très bien son personnage, tout comme Zem, dans la peau de qui nous sommes placés. Il ne souhaite que le meilleur pour sa fille, mais il n’a pas la certitude que celle-ci n’a pas tué son amie, et c’est ce flou sur la conception qu’il se fait de sa fille, flou accentué par les témoignages et les confessions qu’il apprend lors du procès, qui le torture le plus.
La fille au bracelet, c’est d’abord et avant tout un film sur ce choc générationnel, qui semble être de plus en plus frappant au fil du temps, surtout avec l’augmentation constante de la technologie dans nos vies. Si le cas initial tente de trouver le coupable dans cette histoire de meurtre, les motifs de celui-ci impliquent une histoire sexuelle particulière. Nous n’entrerons pas dans les détails question de garder quelques éléments de surprise, mais on en vient finalement à plus tenter d’explorer et de comprendre la sexualité des adolescents et adolescentes qu’à traiter des aspects techniques incriminants (alibi, arme du crime, etc.) La cour semble par moment déconnectée de la réalité de cette jeunesse plus libérée sexuellement, ce qui n’est pas sans choquer l’avocate générale, pourtant la plus jeune juriste du lot. C’est un retournement habile, qui donnera quelques cheveux gris supplémentaires au père de Lise.
Avec son troisième long métrage, Stéphane Demoustier parvient à proposer un très bon drame de justice. S’il existe plusieurs chefs-d’œuvres du genre, son film parvient non pas à s’élever à leurs côtés, mais à être suffisamment prenant pour ressortir du visionnement avec un bon souvenir. Il ne réinvente rien, mais explore chaque facette de ce cas sans tomber dans un piège. La fille au bracelet saura plaire aux amateurs de ce type de films, et assure suffisamment de diversité dans l’offre cinématographique limitée des salles québécoises pour pouvoir tirer son épingle du jeu.