Nées au milieu des années 1880, les écoles ménagères avaient la cote auprès des familles qui souhaitaient que leurs filles apprennent comment devenir des épouses parfaites pour leurs futurs maris. Dans une France à l’aube des grandes perturbations de Mai 68, plusieurs de ces écoles ferment à la fin des années 1960. Martin Provost nous amène ici à l’institution Van der Beck quelque part en 1967, alors que les inscriptions se font plus rares, que les problèmes financiers sont nombreux, et que le pantalon trouve lentement sa place au milieu des jupes et des tailleurs.

Paulette (Juliette Binoche) et Robert Van der Beck (François Berléand) sont à la tête d’une école ménagère réputée qui accueille aux deux ans une trentaine de jeunes filles pour leur enseigner les sept piliers qui feront d’elles des épouses exemplaires. Cette année, elles seront dix-huit, ce qui inquiète madame mais semble n’avoir aucun effet sur monsieur. Au cours de ces deux années, les adolescentes apprendront à tenir le budget de la maisonnée, préparer des repas variés et avec amour, récurer un plancher, broder, jardiner ou même s’asseoir, et l’importance de s’adonner au devoir conjugal. Lorsque Robert meurt d’une crise cardiaque pendant le repas, Paulette doit à son tour apprendre comment négocier avec les banques, conduire une voiture et gérer les finances de l’école, qui croule sous les dettes de jeu de feu son époux. Aidée de sa belle-sœur Gilberte (Yolande Moreau), professeure de cuisine amoureuse de la vie, et de Sœur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky), femme au fort caractère, Paulette tentera de sauver l’école et, peu à peu, les jeunes filles qui s’y sont inscrites.

Au milieu des enseignements transmis aux adolescentes de l’école, La bonne épouse est avant tout un récit d’émancipation. De Paulette, assurément, mais des femmes en parallèle. Paulette n’avait aucune idée des problèmes financiers de l’école avant que son mari ne la laisse avec ses dettes. Selon Robert, la place d’une femme n’était pas dans des livres de comptabilité. C’est donc avec beaucoup d’angoisse qu’elle se présentera à la banque pour obtenir un crédit supplémentaire et en ressortira plutôt avec un compte à son nom, une première pour elle qui n’a jamais eu de carnet de chèques personnel. Robert croyait aussi que la place d’une femme n’était pas non plus derrière le volant d’une voiture, ce qui n’empêchera pas Paulette d’apprendre à conduire en quelques mois, par fierté, par nécessité et tout simplement par envie d’évasion. La sœur de Robert, Gilberte, change également sa vie alors qu’elle s’adonne à une métamorphose juste avant que les filles se rendent à Paris pour un congrès d’arts ménagers. Les étudiantes, quant à elles, vivent leur sexualité à la limite entre la pudeur et l’expression. Certaines ont déjà une quelconque expérience, d’autres ne savent pas ce qu’est un clitoris et quelques-unes s’affirmeront dans leur orientation sexuelle différente, chose plutôt taboue dans le contexte de leurs enseignements mais qui ne sera pas vraiment amené comme tel.

Il y a peu d’hommes dans le récit. Robert n’est présent que quelques minutes pendant lesquelles il espionne les filles à quatre pattes à récurer ses planchers, ou convainc (car c’est le mot) sa femme à faire l’amour en s’écroulant de tout son poids sur elle. Le banquier, André (Edouard Baer), plus jeune et nettement plus charmant, tentera de séduire Paulette, mais c’est toujours elle qui prendra les décisions et aura le dernier mot. Avec Robert, Paulette portait fièrement des tailleurs roses et chacune de ses phrases était pesée pour les élèves. Avec André, la directrice ose le pantalon bourgogne et est plus franche dans ses discours. L’espoir de ce bonheur retrouvé, en parallèle à la détresse de certaines des étudiantes, la remettra grandement en question, juste à temps pour une scène finale particulière.

Malgré les thématiques plutôt lourdes desquelles il traite, La bonne épouse le fait de façon comique, même lorsque le sujet s’y prête moins. Les spectateurs pourraient vouloir que le ton soit plus constant. Certain.e.s aimeront cette légèreté, d’autres seront agacés par celle-ci. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas s’attendre à un récit profond, même sur une trame de bouleversements politiques et sociaux. La bonne épouse c’est plutôt le témoignage de la mort d’une époque et ses mœurs, pour faire place à une nouvelle façon de vivre, plus libre, plus permissive.

Mené d’une main de maîtresse par une Juliette Binoche en pleine possession de ses moyens, le film de Martin Provost amènera quelques réflexions intéressantes sur la place et surtout la force des femmes, qui n’ont finalement jamais besoin des hommes pour s’épanouir. Il témoigne d’une époque où les femmes, d’abord instrumentalisées à renforcer ce système patriarcal, prennent peu à peu conscience de leur levier dans l’éducation des générations futures. Cette jeune génération, interprétée avec brio par un groupe d’actrices talentueuses, est véritablement celle qui va élever le féminisme vers de nouveaux sommets, en ralliant au passage certaines femmes plus âgées. La finale grandiose et éclatée du film pourra en rebuter quelques-un.e.s, mais c’est un moment libérateur pour ces femmes qui s’apprêtent à prendre part à la révolution!

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