Le plus récent film de Joachim Trier, qui a fait sensation au dernier festival de Cannes, a depuis retenu l’attention du public partout où il a été présenté. Plus tôt cette semaine, Julie (en 12 chapitres) a décroché deux nominations aux Oscars, dont une dans la catégorie « Meilleur scénario original », et ce n’est pas pour rien. Ce film, qui clôt la « trilogie d’Oslo » amorcée par Trier il y a dix ans maintenant, est l’un des meilleurs de 2021. Prenant finalement l’affiche dans la belle province cette semaine, le public québécois pourra enfin voir l’une des comédies romantiques les plus originales des dernières années.

Comme le titre l’indique, le récit est découpé en douze chapitres, en plus d’un prologue et un épilogue, et suit de près la vie de Julie (Renate Reinsve), une jeune femme dans la vingtaine qui a de la difficulté à trouver son chemin dans la vie. L’éventail de possibilités de carrières la paralyse, et elle passe tour à tour de la médecine à la psychologie et à la photographie, avant de quitter ses études pour travailler comme commis dans une librairie. Sa rencontre avec Aksel (Anders Danielsen Lie), un bédéiste de quinze ans son aîné, lui redonne un certain élan, mais la magie de leur relation s’estompe peu à peu, et Julie en vient à s’éprendre d’un autre homme, Eivind (Herbert Nordrum), avec qui ce cycle se reproduit. Ces chapitres segmentent donc quelques années dans sa vie, et permettent d’explorer plusieurs thématiques comme la féminité, la carrière, l’amour et la pression de performer, qui caractérisent la génération des milléniaux.

Ce découpage est certes original, mais ce n’est pas ce qui singularise le récit présenté ici. C’est plutôt la façon assez subtile dont Trier et Eskil Vogt, son partenaire d’écriture de longue date, abordent les thématiques susmentionnées. C’est évident que Julie (en 12 chapitres) fera plus grande impression auprès d’une population plus jeune qui, pour la plupart, vivent ou ont vécu ce que Julie traverse. Toutefois, contrairement à d’autres films qui abordent cette désillusion qui semble affliger les milléniaux, le tout est amené avec assez de nuances pour qu’un public plus âgé puisse éprouver de l’empathie et non du découragement envers les problématiques qui touchent cette génération.

Mais quelles sont ces problématiques? Il y a d’abord le sentiment de tourner en rond, d’être incapable de s’arrêter, comme nos parents et grands-parents l’ont fait, sur une seule carrière, un seul métier, et ce, jusqu’à la retraite. Il est indéniable que de nos jours les jeunes doivent davantage se scolariser pour obtenir un emploi, ce qui retarde bien évidemment leur entrée sur le marché du travail, mais ce qui donne également l’impression que les vingtenaires d’aujourd’hui sont d’éternels adolescents. Il n’est pas rare qu’en plein parcours académique une certaine remise en question se fasse, ce qui peut mener à un prolongement des études et, inévitablement, un sentiment de faire du surplace. C’est précisément ce qu’éprouve Julie ici, qui a envie de tout explorer, mais qui semble incapable d’aller au bout de quoi que ce soit, ou plutôt de se contenter d’être arrivée au bout et d’accepter qu’il n’y ait rien de plus à tirer d’une expérience.

Cette pression de trouver son but dans la vie s’accompagne immanquablement de la pression sociale d’avoir une relation amoureuse stable et des enfants à un âge raisonnable. Dans une scène simple, mais ingénieuse, on aperçoit les ancêtres de Julie, qui, à trente ans, savaient ce qu’ils voulaient faire dans la vie et avaient déjà plusieurs enfants. Julie n’est pas contre l’idée d’avoir des enfants, mais elle ne se sent pas prête, une fois la trentaine arrivée, à s’établir et fonder une famille. Elle souhaiterait avoir accompli quelque chose, une pression qui se fait de plus en plus sentir puisqu’Aksel, plus âgé, est déjà prêt à passer à la prochaine étape de sa vie. Ce choc des générations se fait beaucoup sentir auprès des jeunes et vient avec son lot d’incompréhension intergénérationnelle difficile à exprimer.

Ces réflexions sont très intéressantes et amenées avec beaucoup de nuances, mais elles n’ont pas d’égal face à la romance qui est au centre de l’histoire. Trier avoue avoir tenté de s’éloigner des clichés habituels de ce genre de films – histoire d’amour simple et sans ambiguïté, où tous les personnages comprennent leurs sentiments et savent comment agir – et sur ce plan le film est une réussite totale. Cela passe évidemment par des performances authentiques de son trio principal (et surtout de Reinsve, qui porte le film sur ses épaules de brillante façon et qui peut exprimer de nombreuses émotions complexes à même son visage), mais aussi par les situations douces et vraies que le réalisateur met en scène.

Deux scènes véritablement touchantes feront leur marque sur vous. Il y a d’abord la première rencontre entre Julie et Eivind, alors que, tous deux en couple, flirtent en se questionnant sur les limites de ce qui représente l’adultère. La passion qui émane des deux acteurs est palpable et touchante, et ce moment de douceur est particulièrement réussi. À l’inverse, la scène de rupture entre Julie et Aksel est, elle aussi, singulière puisque si honnête qu’elle nous semble presque improbable. C’est, je crois, l’une des plus belles ruptures qui m’ait été donné de voir au cinéma. Contrairement à ce que le titre anglophone laisse croire (The Worst Person in the World), Julie n’est pas méchante ni cruelle lorsqu’elle choisit Eivind plutôt qu’Aksel. Elle fait un choix qui, pour certains, pourrait être considéré comme de l’individualisme, mais qui passe ici, en raison des nuances que Trier et Reinsve amènent, pour du bien-être personnel, car elle fait preuve d’empathie envers ceux qu’elle peut blesser en faisant les choix qui lui sont propres. Nous ne vivons qu’une seule vie, la nôtre, alors autant suivre nos sentiments plutôt que de vivre jusqu’à la fin de nos jours dans une situation malheureuse et le regretter lorsque notre heure est venue.

Julie (en 12 chapitres) est un coming-of-age certes tardif selon la définition du terme, mais qui évolue au rythme de sa protagoniste. Rehaussé par la réalisation d’apparence improvisée de Trier, des effets de styles intéressants et des performances franchement convaincantes, le film parvient à s’élever parmi les meilleurs du genre, que même le ralentissement du dernier tiers ne permet d’entacher sérieusement. Si Julie semble prisonnière d’un cycle sans fin de décisions inabouties, le film nous transmet le courage de ne pas se démonter malgré les échecs, et nous montre qu’il n’y a rien de mal à recommencer à zéro et à commettre des erreurs, tant que nous sommes honnêtes avec nous-mêmes et avec les autres. Nous n’avons, après tout, qu’une vie à vivre, aussi bien la rendre la plus agréable et stimulante que possible.

Fait partie de la Collection Criterion (#1132).

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