Insomnia (1997)
Le cinéma scandinave récent regorge de très bons films policiers, dont l’influence peut provenir des nombreux auteurs de polars issus de ces mêmes pays. On peut notamment penser à la trilogie Millenium qui révélera Noomi Rapace et Michael Nyqvist. L’un des premiers films de ce genre à se démarquer à l’international est Insomnia d’Erik Skjoldbjærg. Ce récit policier angoissant, se déroulant au nord de la Norvège (dans une région où le soleil ne se couche pas), fera une grande impression, si grande qu’un remake sera produit cinq ans seulement après l’original (réalisé par nul autre que Christopher Nolan). Pourtant, si le film sort des cadres traditionnels des films du genre, on ne peut s’empêcher de rester sur sa faim à la conclusion du visionnement.
Quand Tanja, une jeune femme de 17 ans, est assassinée dans la ville de Tromsø en Norvège, les policiers Jonas Engström (Stellan Skarsgård) et Erik Vik (Sverre Anker Ousdal) sont appelés à enquêter. On remarque rapidement que ce ne sont pas des policiers typiques. Engström est en fait un Suédois exilé en Norvège puisqu’il a été surpris à avoir des relations sexuelles avec le témoin principal de l’un de ses cas, et Vik, près de la retraite, commence à avoir des problèmes avec sa mémoire. Après avoir observé le corps de Tanja, il décide de tendre un piège au tueur en le leurrant à l’endroit où ils ont retrouvé la jeune fille, soit une maisonnette près d’un lac. L’embuscade fonctionne, mais le tueur présumé parvient à s’échapper par un tunnel creusé à même le sous-sol de la cabane, à l’insu des policiers. Ils le suivent, mais se retrouvent, à la sortie, dans un épais brouillard. N’y voyant rien, Engström tire accidentellement sur Vik et le tue sur le coup, et ce, sous les yeux du tueur.
Comme on doit s’en douter, les choses iront de mal en pis pour Engström après cet événement. Il doit faire passer cet accident sur le dos du tueur de Tanja, puisque, selon les lois norvégiennes, les policiers ne sont pas autorisés à porter une arme sur eux. Il doit donc camoufler les preuves pour l’enquête sur la mort de Vik qui est instiguée et menée par Hilde Hagen (Gisken Armand), tout en tentant d’y voir plus clair dans le cas principal. S’élaborera ensuite un véritable jeu de chat et de la souris entre Engström et le tueur.
Comme c’est le cas dans plusieurs films policiers, on a droit à un personnage principal qui agit en dehors des codes de conduite traditionnels. Pourtant, ici plus qu’ailleurs, aucun effort n’est véritablement fait pour donner de la valeur à Engström. Il est antipathique du début à la fin, que ce soit par ses pratiques (tuer d’un coup de fusil un chien sans véritable raison, faire des attouchements à l’une des témoins) ou par son physique (son air renfrogné et grognon, accentué par son manque de sommeil en raison du jour éternel). Qu’on aime ou non le personnage, force est d’admettre que Skarsgård est comme toujours excellent pour l’interpréter. Il a cette prestance intimidante qui convient à souhait à son personnage, et le fait qu’il puisse interpréter des vilains comme des personnages plus comiques (pensons à son rôle dans le Marvel Cinematic Universe) démontre l’étendue de son talent. On a rarement la chance de le voir dans un premier rôle aux États-Unis, mais il nous prouve qu’il est capable de le faire avec Insomnia.
Malheureusement, sa performance est à mon avis le seul point fort du film. Dans ce genre de long métrage, l’histoire doit passer avant tout. Ici, sans être dénuée de rebondissements, elle est particulièrement confuse, du moins à la première écoute. Elle tombe à plat par moment, et très peu de péripéties s’y déroulent. Le cas est assez simple à résoudre, et le seul ajout véritable au genre est cette étrange relation qui se développe entre Engström et le tueur. Toutefois, j’ai trouvé que cet aspect était plus ou moins bien exploité. J’aimerais pouvoir dire qu’on met plus l’accent sur une étude de personnage plutôt que sur le cas, mais je ne crois pas que ce soit la véritable intention de Skjoldbjærg. Il tente en fait d’accomplir les deux, mais l’amalgame est douteux et parfois confus. On aurait souhaité qu’il choisisse une avenue ou l’autre, ou bien qu’il étoffe ces deux aspects.
Skjoldbjærg parvient cependant à faire un film indépendant convaincant, notamment en raison de sa maîtrise de la caméra. Question de bien représenter l’inconfort du personnage principal, il fait un effort pour saturer au possible tous les plans. On n’y retrouve que des couleurs froides, où le blanc prime. On associe bien évidemment le paysage scandinave à ces teintes, mais ici on pousse à l’extrême. L’intention est là une fois de plus, mais on dirait que l’on ne ressent pas suffisamment cet inconfort, ou du moins qu’on n’exploite pas assez les impacts de l’insomnie d’Engström sur son caractère.
J’ai été un peu déçu par Insomnia. C’est un film qui tente plusieurs choses tout en ne les exploitant pas suffisamment bien. L’histoire peut être intéressante, mais elle ne m’a pas convaincu. Ce n’est pas un mauvais film, loin de là, mais ses lacunes, à commencer par la confusion qui règne tout au long du film, ont grandement miné mon expérience. Il demeure néanmoins pertinent, surtout en raison de la très bonne performance de Skarsgård, l’un de mes acteurs favoris. Un film à voir si vous êtes friands de polars scandinaves.
Fait partie de la Collection Criterion (#47).