House of Gucci
Après The Last Duel sorti il y a moins de deux mois, voici que le vétéran réalisateur britannique Ridley Scott (Blade Runner, Alien, Gladiator) nous arrive avec son plus récent projet : House of Gucci. Bénéficiant d’une belle attention médiatique et d’une distribution cinq étoiles, le film a-t-il ce qu’il faut pour s’imposer au box-office international? On peut au moins dire qu’il affiche assez de glamour pour au minimum attiser la curiosité.
À la fin des années 1970, la maison Gucci, fleuron de la haute couture italienne fondée en 1921 à Florence, est menacée par des rumeurs de malversations et minée par un certain manque d’innovation. Faisant fi des conseils de son père, Maurizio (Adam Driver), l’héritier présumé de la dynastie, épouse Patrizia Reggiani (Lady Gaga), issue d’un milieu modeste, mais prête à tout pour se tailler une place au sein de sa prestigieuse famille.
Le film a fait couler beaucoup d’encre depuis la sortie de sa première bande-annonce, surtout au sujet de l’accent italien douteux utilisé par l’ensemble de la distribution. S’il est vrai que celui-ci est relativement déstabilisant d’entrée de jeu, on finit étonnamment par s’y faire, quoique son utilisation fait naître une réflexion plus grande sur la façon dont les films hollywoodiens approchent ce type de récits. J’ai toujours grandement douté de l’utilité des accents non-anglophones dans les films qui se déroulent à l’extérieur des États-Unis, mais bénéficiant d’une distribution américaine. Je suis d’avis que dans un film où tous les personnages sont de la même nationalité – disons l’Italie pour prendre l’exemple de House of Gucci – on devrait soit prendre des acteurs italiens et les faire jouer dans leur langue natale, ou alors y aller avec une distribution anglophone et accepter que tout le monde y parle anglais, sans accent.
Pourquoi en effet utiliser un accent italien, alors qu’on sait très bien que tous les personnages ne se parlent pas en anglais dans le récit? Les accents ne devraient servir que lorsqu’un personnage de langue étrangère s’exprime en anglais à un personnage anglophone (comme dans Inglourious Basterds, par exemple). Dans un monde de plus en plus globalisé comme celui d’aujourd’hui, on devrait profiter du fait que les spectateurs sont de plus en plus ouverts aux sous-titres et essayer d’obtenir des performances authentiques en langue maternelle. Est-ce que l’histoire du cinéma pourrait se passer de l’interprétation toute italienne de Robert De Niro dans The Godfather II? Assurément pas. Alors pourquoi ne pas avoir choisi l’un de ces deux camps plutôt que de faire dans la demi-mesure? Nul ne le sait.
Ma longue tirade sur les accents peut sembler exagérée, voire superflue dans la présente critique, mais elle est en fait au cœur du principal problème de House of Gucci. L’utilisation de ces accents mine complètement le visionnement du film, non pas parce qu’ils ne sont pas réussis, mais plutôt parce qu’on a l’impression que la distribution fait tellement un grand effort pour proposer un accent convaincant que les acteurs oublient de jouer leur personnage. On fait tellement attention de prononcer chacune des répliques que le résultat final a l’air trop peu authentique. Tout le monde livre son texte au ralenti et avec si peu d’émotion qu’on se demande si le film serait meilleur à vitesse 1.5.
Plusieurs ont salué la performance de Lady Gaga en Patrizia Reggiani. Si son interprétation est effectivement inspirée, elle ne parvient jamais à venir toucher la corde sensible du spectateur. On ne peut cependant l’accuser de tous les torts, pour des raisons scénaristiques que j’exposerai sous peu. Du lot, c’est Adam Driver qui s’impose ici, dont la performance stoïque tout du long est assurément la plus crédible. Leto, à qui on a apposé de nombreuses prothèses pour lui faire ressembler à Paolo Gucci, semble jouer dans un tout autre film que les autres. Sa performance détonne négativement parmi celle des autres membres de la famille Gucci, qui compte notamment Al Pacino et Jeremy Irons, tous deux convaincants.
Si on outrepasse ces performances plus que rigides, on constate que House of Gucci souffre également d’un scénario déficient. Le ton du film, qui oscille entre le soap opera, le film de gangster et la comédie, n’est jamais vraiment clair. Les situations traînent en longueur (rappelons que le film dure 2h37) et le dosage entre les scènes superflues et les véritables scènes qui font avancer l’histoire est inadéquat. Alors qu’on s’attend à un House of Cards familial, nous avons plutôt droit à une version dramatique du Cœur a ses raisons. Je n’ai rien contre les films qui prennent le temps d’établir tous les paramètres de l’histoire. Je suis d’ailleurs nostalgique de l’époque des Godfather ou Goodfellas, ces drames qui frôlaient souvent les trois heures de visionnement. Par contre, ici, on a l’impression que tout avance à tatillon et la fin, qu’on attend avec impatience, semble précipitée. Lorsqu’on connaît le sort qui attend Maurizio et l’implication de Patrizia dans toute cette histoire, on est surpris de constater que, alors qu’on devrait mettre l’accent sur cette dernière, question de motiver le dénouement final, on s’embourbe dans des questions d’actionnaire majoritaire de la compagnie. Le point central du récit devrait graviter autour de Patrizia, alors qu’on la délaisse complètement dans les moments charnières du film.
Lorsqu’on rajoute à tout cela le rôle de la tireuse de cartes (Salma Hayek), qui sert surtout de confidente à Patrizia, notre attention s’effrite peu à peu et on attend impatiemment que tout se termine. La réalisation démodée de Scott et son manque de jugement par moments (comme ajouter des bruits de chats qui se battent dans un moment dramatique du film) est le dernier clou d’un cercueil qu’on veut sceller au plus vite. On n’en apprend au final que très peu sur l’assassinat de Maurizio et on se dit que tous les acteurs travaillent très fort pour essayer de décrocher une nomination aux prochains Oscars.
Plutôt que de s’attendre au prochain Godfather, il vaut mieux aller voir House of Gucci en se disant qu’on aura droit à un mélodrame glamour qui ne se prend pas vraiment au sérieux. En ce sens, c’est la performance posée de Driver qui détonera, mais au moins vous ne serez pas déçu du résultat final. Ceci dit, et je l’avoue candidement, j’aurais vraiment aimé avoir une histoire crédible et sérieuse à me mettre sous la dent, plutôt que de ressortir de la salle avec un goût amer en bouche.