Haute couture
La réalisatrice Sylvie Ohayon nous revient sept ans après son premier long métrage avec Haute couture, un film de nombreux contrastes et riche en étude de personnages. Bien que familière, l’histoire qui nous est présentée est attachante et témoigne que deux personnes issues de milieux différents peuvent se rapprocher lorsqu’une passion commune les unit.
Les deux femmes au cœur du récit se rencontrent pour la première fois dans le métro de Paris. Esther (Nathalie Baye) est première d’atelier dans la maison de couture Dior et s’approche dangereusement de la retraite. Jade (Lyna Khoudri) est une jeune arnaqueuse de banlieue. Après que cette dernière a, avec son amie Souad (Soumaye Bocoum), volé le sac à main d’Esther, Jade se fait proposer d’intégrer l’atelier comme couturière stagiaire. C’est le début d’une relation improbable entre deux femmes que tout semble séparer.
Il y a une familiarité qui nous prend rapidement au visionnement de Haute couture. Une femme sévère issue d’un milieu aisé, qui prend sous son aile une jeune des milieux populaires et qui souhaite en faire sa successeure est en effet une prémisse assez commune. Pourtant, il y a suffisamment à se mettre sous la dent pour ne pas trouver le tout redondant.
Cela tient à la fois au fait que les personnages créés par Ohayon et sa coscénariste Sylvie Verheyde sont crédibles, et que leurs interprètes, toutes deux efficaces, parviennent à leur insuffler tout juste assez de singularité pour qu’on s’intéresse à leur relation. Jade nous est particulièrement attachante malgré son air désinvolte, et la chimie indéniable entre Khoudri et Bocoum crève l’écran. Leur slang digne de La haine reflète bien la vie en banlieue parisienne, et le contraste devient flagrant avec toute la classe et la distinction qui caractérise la maison de couture (à cet égard, le public québécois pourra être déconcerté à certains moments par ce langage peu présent dans les productions françaises qui franchissent habituellement l’Atlantique).
Mais pourquoi deux femmes si différentes en viendraient à forger une relation de mentorat telle qu’elle nous est présentée ici? C’est en fait que chacune comble un manque dans la vie de l’autre. Esther, qui a toujours fait passer sa carrière devant sa famille, a coupé les ponts avec sa fille depuis plusieurs années. À l’opposé, Jade, qui prend soin de sa mère en dépression, est cruellement en manque d’un modèle à suivre. Lorsqu’elles sont unies par leur passion commune de la couture – une passion qui n’habite pas Jade dès le départ, mais qui la prend de plus en plus -, elles mettent de côté leurs différences et les canalisent dans la confection de robes.
Cette relation est assurément le meilleur élément de Haute couture, qui comporte toutefois son lot de lacunes. On tombe en effet rapidement dans les inévitables situations où Jade est confrontée à sa rivale Andrée (Claude Perron), se fait en Catherine (Pascale Arbillot) une alliée naturelle puisque issue, elle aussi, des banlieues, doit tourner le dos à sa mère pour le bien de son métier, sans oublier les tensions entre Souad et elle. On les accepte car ces clichés sont inoffensifs, mais le film aurait bénéficié de davantage de surprises et de nouveautés pour nous accrocher complètement. Certes, il y a quelques réflexions intéressantes sur le déclin des métiers traditionnels et la passation des pouvoirs, mais elles s’avèrent finalement inabouties. De même, les robes, qu’on croirait plus centrales au récit, sont relativement reléguées à la trame de fond. Elles sont néanmoins dignes des grandes créations de Dior.
Il est évident que Haute couture se compare négativement aux autres films qui abordent le mentorat (Dead Poet Society), la disparité des classes (Les intouchables) ou encore le monde de la mode (Phantom Thread). Toutefois, on ressent la passion d’Ohayon envers le métier de couturière dans la façon méticuleuse de représenter leur difficile réalité, et envers ses personnages féminins qui ont beaucoup à offrir. C’est un divertissement efficace et réussi qui nous fait espérer que la réalisatrice française ne prenne pas à nouveau une longue pause d’ici son prochain long métrage.