Flesh for Frankenstein
Si votre groupe d’amis vous mettait au défi de faire le film le plus inusité qui soit, quel résultat croyez-vous que vous obtiendriez? Si pour la plupart cela donnerait un film amateur probablement peu reluisant, pour Paul Morrissey et le groupe de la Factory d’Andy Warhol, la réponse se trouve dans le programme double Flesh for Frankenstein – Blood for Dracula, tous deux des adaptations contemporaines des histoires de monstres bien connues. En effet, un certain Roman Polanski aurait proposé à Morrissey un film de Frankenstein en 3D et, croyant que ce concept était totalement absurde, ce dernier décide d’aller de l’avant avec le projet. Il s’envole alors avec Joe Dallesandro (mannequin célèbre issu de la Factory) vers l’Italie et entreprend le tournage consécutif de ces deux films qui deviendront, lentement mais sûrement, cultes.
L’histoire de ce premier film est assez simple. Le Baron von Frankenstein (Udo Kier, acteur iconique des films de série B des années 1970) est obsédé par son travail. Il tente désespérément, avec son assistant Otto (le savoureux Arno Jürging) de créer la race serbe parfaite qui obéirait à ses commandes. Ils constituent ainsi, à l’aide de multiples parties corporelles provenant de leurs « victimes », un homme et une femme, dans l’espoir de les voir procréer. Frankenstein est satisfait de la femme qu’il a conçue (Dalila Di Lazzaro), mais tente toujours de trouver la tête idéale pour l’homme.
Cette tête, il la trouve en Sacha, ce jeune paysan chaste (et homosexuel) qui compte devenir moine sous peu. Lors d’une sortie avec Nicholas (Dallesandro) au bordel du village, le Baron et Otto attaquent les deux amis, et sectionnent la tête de Sasha pour la joindre aussitôt au corps du zombie. Nicholas, prenant peur, décide de quitter son travail aux écuries du château, mais lorsqu’il est aperçu par Katrin (Monique van Vooren), la femme et la sœur du Baron, elle lui propose de devenir son assistant personnel, qui devra assouvir tous ses désirs. Comme dans tout bon film de genre des années 1970, on a droit à plusieurs scènes assez osées entre ces deux, ou encore entre Frankenstein et sa zombie femelle, dans l’une des scènes les plus étranges du film.
Ce n’est pas peu dire, surtout que Flesh for Frankenstein regorge de ces scènes sanglantes et gratuites, symbole du divertissement dans sa plus simple expression. Quand ce n’est pas le Baron qui s’émoustille en palpant les organes de ses prototypes, c’est Otto qui lèche une cicatrice, ce sont des poumons et un cœur qui s’animent sous un bureau, ou encore une panoplie de morts par éviscération. On délaisse rapidement le fil conducteur de l’histoire pour attendre impatiemment la prochaine scène complètement déjantée que nous prépare Morrissey. Le film réussit bien là où il le doit : il nous divertit, nous fait rire (notamment dans la scène de décapitation), nous dégoûte, tout en offrant une ambiance visuelle au-dessus de mes attentes, je dois l’avouer. Tout est très stylé, même si on ressent le peu de budget de la production.
J’ai parlé précédemment du 3D du film. Si cette version est disponible sur YouTube, j’ai préféré l’écouter en 2D, comme le présente Criterion et sa version non-censurée. J’avoue que j’aurais de l’intérêt à le visionner en 3D éventuellement, notamment parce que certaines scènes sont pensées en fonction d’une présentation tridimensionnelle. Je crois toutefois que l’expérience serait plus pertinente au cinéma que sur un téléviseur, et, avouons-le, les chances que Flesh for Frankenstein soit présenté dans sa version originale au Québec sont assez minces. Peut-être en aurai-je l’occasion lors d’un éventuel voyage à l’étranger, ou lors d’un festival comme Fantasia, qui sait!
Les deux films ont une histoire assez intéressante, qui mêlent accusations pour fraude de la part de l’État italien (d’où provient le financement du programme double), pop culture (et l’étiquette d’Andy Warhol, qui n’aura finalement que prêté son nom par simple esprit de marketing) et problèmes de censure dans tous ses marchés. Le film possède certainement ses qualités, des performances surprenantes de sa distribution à son style aiguisé et aguerri. Cela dit, je répète ne pas être un amateur de ces films de genre dont le seul but est de divertir. Le scénario est si peu développé qu’il n’y a finalement que peu de choses à se mettre sous la dent. C’est l’un de ces films qui s’apprécie mieux au cinéma ou avec des amis, et dont les réactions du public et les discussions qu’on a pendant le film rehaussent l’expérience globale de visionnement. Ces deux éléments n’étaient pas réunis lors de mon visionnement ; Flesh for Frankenstein est tombé à plat dans mon cas. Je crois cependant que je n’hésiterais pas à le montrer aux amateurs de ce genre cinématographique, préférablement aux petites heures du matin. Il ne m’a pas découragé de poursuivre mon visionnement consécutif de Blood for Dracula, mais force est d’admettre que Flesh peut s’avérer assez banal lorsque pris dans les mauvaises conditions.
Fait partie de la Collection Criterion (#27).