Fishing with John: Episode 1 – Montauk with Jim Jarmusch (1992) – MUBI

Avant que Jerry Seinfeld reçoive des artistes dans une voiture dans Comedians in Cars Getting Coffee, ou que James Corden tienne des entrevues-karaoké dans Carpool Karaoke, John Lurie décidait en 1991 d’aller pêcher avec des artistes et de rapporter le tout en six épisodes de moins de trente minutes. Fishing with John allie plusieurs styles à la fois. Ces voyages de pêche sont autant d’occasions de découvrir des pays éloignés, de se familiariser avec plusieurs types de pêche, de plonger au cœur de légendes urbaines et de converser à mi-chemin entre l’entrevue et l’anecdote de pêche.

Les cinq artistes reçus par John Lurie sont le réalisateur Jim Jarmusch, le musicien Tom Waits et les acteurs Matt Dillon, Willem Dafoe et Dennis Hopper, ce dernier étant présent dans deux épisodes. À travers ces voyages, on a donc pêché un requin au large de Long Island, pêché en Jamaïque, au Costa Rica, pêché sur la glace dans le Maine, et jusqu’en Thaïlande à la recherche d’une pieuvre géante.

The Criterion Contraption: October 2005

L’une des grandes forces de Fishing with John est sans aucun doute la narration. Si on enlevait ces quelques lignes prononcées par Robb Webb, le ton des épisodes ne serait pas du tout le même, car il ne s’y passe jamais vraiment grand-chose au final, mais cette voix nous amène dans des aventures plus grandes que nature. Le meilleur exemple serait assurément l’épisode double où on tente de trouver une pieuvre géante en Thaïlande avec Dennis Hopper. Alors que la narration nous guide à travers les péripéties reliées à cette pêche impossible, aucun des deux participants n’évoque jamais cette mythique pieuvre, qui serait une légende urbaine thaïlandaise. Il ne se passe honnêtement rien dans ces deux épisodes ; Lurie et Hopper ne remontent jamais de poissons dans leur bateau, ils s’arrêtent pour manger dans un restaurant thaïlandais où Hopper réalise qu’il y avait de la glace dans son smoothie et le retourne en raison du danger de l’eau dans son verre, et ils s’achètent de glorieuses casquettes scintillantes dans un marché. Lorsqu’ils s’endorment dans le bateau, la narration dira que c’est la pieuvre qui exerce une force sur les gens et leur fait perdre la conscience et la mémoire. Quand on rencontre un autre bateau plus loin, la voix nous apprend qu’il s’agit d’autres pêcheurs venus au même endroit dans le même but. Mais rien de tout cela n’est jamais mentionné par les deux artistes. Dans l’épisode où l’on pêche avec Jim Jarmusch, celui-ci raconte l’anecdote d’une femme qui a compris qu’elle avait quelque chose à la poitrine quand des dauphins avaient repéré un cancer du sein et ne cessaient de la frapper avec leur nez au même endroit. En raison de cette « alerte » pour le moins particulière, ses médecins ont pu déceler le cancer à temps et le traiter adéquatement. Comme s’il fallait en rajouter, le narrateur nous explique ensuite que cette anecdote était drôle car la femme ne savait pas qu’elle avait un cancer et que les dauphins l’en ont avertie. Il ajoute « les voyages de pêche viennent souvent avec des anecdotes de voyages de pêche ». Il y a bien d’autres exemples de situations comiques créées par cette narration ; le fait est que celle-ci amène un ton plutôt parodique auquel on adhérera, ou non.

Fishing with John (1992) | The Criterion Collection

Robb Webb mis à part, une chose qui peut surprendre de Fishing with John est qu’on se déplace dans plusieurs lieux différents et qu’on s’essaie à divers types de pêches également. Au départ, la prémisse laisse entendre que John Lurie ne sait pas pêcher et qu’il invite des artistes pour y faire des entrevues avec cette activité en arrière-plan. Finalement, on constate qu’aucune question ne sera posée aux invités, et, bien qu’on ne sache pas pêcher, on se risque à des grandes aventures. Si vous vous attendez à six séances de pêche aux États-Unis où l’on cherche du saumon, vous serez surpris de vous rendre à l’autre bout du monde pour découvrir des espèces plus exotiques. Et quand on reste en Amérique, on pêche un requin ou on tente de survivre au milieu de nulle part dans l’hiver du Maine pendant plusieurs jours (ce à quoi la narration réplique que les deux artistes, Lurie et Willem Dafoe, n’ont pas survécu en raison du manque de nourriture). On regarde finalement davantage des hommes pêcher que des artistes parler du travail, à quelques exceptions près avec Dennis Hopper qui évoque son temps sur le plateau d’Easy Rider.

Fishing with John est donc une série parodique qui ne se prend absolument pas au sérieux. La chanson thème vous restera coincée dans la tête longtemps et vous prononcerez se paroles avec la même intonation que Lurie (qui l’interprète) en ayant du plaisir à le faire, tant le tout est sans émotion. Le ralenti du générique vous fera rire et les deux ensemble pourront presque vous rappeler la douceur de The Joy of Painting de Bob Ross ou encore le ton de la chanson de Mister Roger’s Neighborhood. Lorsque vous aurez vécu le doux plaisir du générique vous vous retrouverez dans six aventures où les silences sont nombreux. L’épisode avec Matt Dillon, par exemple, n’est qu’une suite de silences, Lurie voulant au départ inviter son ami Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers, qui ne pouvait pas y être finalement. Les aventures sont diverses et les artistes sont presque tous contents d’y participer, à l’exception de Tom Waits, qui a tellement détesté son expérience qu’il n’a pas parlé à Lurie pendant 2 ans après. Cette première série de la Collection Criterion a grandement changé le rythme et le genre auxquels on s’était habitués jusque-là. Elle nous aura permis de prendre une pause et de ne pas chercher trop loin un sens à ce que l’on regardait. Dommage qu’il n’y ait eu que six épisodes, on en aurait assurément pris d’autres!

 

Fait partie de la Collection Criterion (#42).

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