Que sea ley (Femmes d’Argentine)
« Nous devrions séparer l’Église de l’État, ceux qui sont religieux devraient particulièrement apprendre à séparer l’institution de la foi. Car ils nous ont fait croire pendant longtemps qu’ils vont ensemble, mais c’est faux. »
Ces paroles, prononcées par Lorena, résument en deux phrases un débat épineux sur le droit à l’avortement. Ce débat, il fait rage actuellement dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie, aux États-Unis ainsi qu’en Amérique latine, l’une des plus grandes concentrations de population chrétienne au monde. Femmes d’Argentine, plus récent film de Juan Solanas (Upside Down, Nordeste), s’attaque justement à cette problématique qui secoue l’Argentine et ses élu.e.s. Alliant témoignages et débats de parlementaires, Solanas tente tant bien que mal de nous montrer les deux côtés de la médaille du fléau social que représente l’avortement, mais au vu des arguments présentés, la logique devrait en théorie l’emporter sur la foi. En théorie…
Le film est centré autour d’un projet de loi déposé en 2018 voulant légaliser l’avortement, présenté pour la septième fois devant la Chambre des députés à Buenos Aires. Ce sont les manifestations pacifiques monstres qui ont entouré ce dépôt qui ont d’abord attiré l’attention du réalisateur, qui a voulu en capter rapidement les images d’allure historiques. Après un débat sans précédent de 24 heures, le projet est approuvé, et doit maintenant faire son chemin jusqu’au Sénat. La partie n’est pas gagnée d’avance, toutefois. Alors qu’au Canada le tout n’aurait été qu’une formalité, la réalité est différente en Argentine, surtout auprès de sénateurs conservateurs. Entre le moment de son adoption en Chambre et celui du Sénat, Solanas tient à expliquer la problématique de l’interruption volontaire de la grossesse (IVG), non seulement mal vue par l’Église et l’État, mais également interdite et passible d’emprisonnement. Ce faisant, plusieurs des femmes qui souhaitent avorter le font clandestinement, au péril de leur vie et de leur réputation.
Ce débat semble loin dans la mémoire des Québécois.e.s, mais redevient périodiquement un sujet d’actualité, la proximité d’avec les États-Unis oblige. Surtout, on oublie que beaucoup de pays n’ont toujours pas accès à l’avortement pour des raisons principalement religieuses. L’opposition entre pro-choix et pro-vie semble irréconciliable car les motifs de chacun sont basés sur des idéologies qui dépassent bien souvent la théorie scientifique. D’un côté, c’est la liberté individuelle, la liberté de choix, de l’autre c’est la conscience morale derrière le fait de mettre fin à une vie. Les tenants de cette idéologie ont bien souvent recours à des arguments moraux issus de la religion, un discours qui, entendu aujourd’hui dans un pays laïc, nous semble passéiste. Il est en effet difficile de ne pas se rallier aux arguments des pro-choix puisque la liberté individuelle est un droit qui a guidé la plupart des sociétés occidentales depuis les années 1960.
Solanas fait à mon avis un bon travail de présenter les deux points de vue, même s’il est difficile de pencher vers l’un plutôt que l’autre. Surtout lorsqu’on constate les effets néfastes que les avortements clandestins entraînent auprès d’une jeune génération de femmes argentines. On estime entre 350 000 et 500 000 avortements clandestins par année en Argentine, soit 40 par heure. Environ 50 000 hospitalisations dans les hôpitaux argentins sont dues à des complications d’un avortement illégal. Depuis le milieu des années 1980, ce sont plus de 3000 femmes qui sont mortes dans les hôpitaux des suites d’une IVG. Ces chiffres témoignent d’une triste réalité et d’un mal social qu’il faut éradiquer, et qui, lorsqu’on outrepasse notre inconfort moral, est assez facile à endiguer. Et pourtant…
Malgré les questionnements et les indignations qu’il soulève, Femmes d’Argentine n’amène pas grand-chose de nouveau au débat, si ce n’est de faire la lumière sur la situation argentine. On a droit aux histoires d’horreur de femmes qui ont osé tenter un avortement clandestin, et la stigmatisation avec laquelle elles ont du vivre, que ce soit par leur famille, leur communauté, l’Église ou même les médecins. Ces témoignages sont nombreux et généralisés, ce qui démontre l’étendue du problème. Toutefois, le film tombe parfois dans la redondance, ce qui pourrait agacer certains spectateurs.
La présentation visuelle pourra également en laisser certains sur leur faim. Solanas opte pour une image saturée, rappelant presque les filtres Instagram, qui dérange parfois l’oeil. Le rendu est fade, gris, et n’apporte malheureusement aucune plus-value au documentaire. À travers cette image quasi-monochrome, les sous-titres et le texte à l’écran se perdent à l’occasion, pour notre plus grande frustration. La structure est elle aussi assez conventionnelle, trop peut-être.
Femmes d’Argentine est un documentaire efficace qui ne tente pas de révolutionner le débat sur l’avortement. Il veut plutôt exposer une tare sociale majeure qui sévit encore aujourd’hui en Argentine et dans plusieurs pays de l’Amérique latine. La pertinence du documentaire réside peut-être moins dans son sujet que dans sa conclusion, anti-climatique et franchement décevante. La faute ne revient pas à Solanas, bien évidemment, mais plutôt à une mentalité bornée qui semble n’attribuer aux femmes que bien peu de respect. Vivement un changement de mœurs qui résultera en la sécularisation des démocraties mondiales. Que sea ley!
Les images sont une courtoisie de Maison 4:3.